les boules et les chocottes streaming

TELERÉALITÉ - La chaîne de la TNT D17 est à la recherche de candidats pour sa prochaine émission : rencontrer l’amour sur une île déserte entièrement nus ! Lesboules et les chocottes : Deux équipes qui ignorent l'existence l'une de l'autre sont lâchées dans la forêt tropicale du Panama, où elles vont tenter LESBOULES ET LES CHOCOTTES : Voix off de la bande annonce par le comédien voix Thierry Legrand, émission diffusée sur Canalsat Vous pouvez nonton love 2015 full movie sub indo. Episode 01 Titre La malédiction de la jungleTitre original The Jungle CurseAnnée de production 2013Pays Etats-Unis Genre Durée 43 min Synopsis de l'épisode 1 de la saison 1 Deux aventuriers nus font le pari de survivre pendant 21 jours dans une forêt tropicale du Costa Rica. Ils doivent faire face à la pluie, aux malad... Episode 02 Titre Terreur en TanzanieTitre original Terror in TanzaniaAnnée de production 2013Pays Etats-Unis Genre Durée 43 min Synopsis de l'épisode 2 de la saison 1 Deux survivalistes doivent survivre 21 jours sans nourriture, ni eau, ni vêtements dans l'un des sites les plus isolés du globe. Pourront-ils échap... Episode 03 Titre L' île de l'enferAnnée de production 2013Pays Etats-Unis Genre Durée 50 min Synopsis de l'épisode 3 de la saison 1 épisode L' île de l'enfer Episode 04 Titre Punition au PanamaTitre original Punishment in PanamaAnnée de production 2013Pays Etats-Unis Genre Durée 43 min Synopsis de l'épisode 4 de la saison 1 Sur une île du Panama pendant 21 jours, Clint et Laura sont confrontés à des mouches des sables et à des serpents. Toutes leurs ressources sont néc... Episode 05 Titre Escapade à BornéoTitre original Breaking BorneoAnnée de production 2013Pays Etats-Unis Genre Durée 43 min Synopsis de l'épisode 5 de la saison 1 Débarqués dans la jungle de Bornéo à des heures de marche du premier village, un homme et une femme survivent dans l'environnement le plus extrême ... Episode 06 Titre Gare au bayouTitre original Beware the BayouAnnée de production 2013Pays Etats-Unis Genre Durée 43 min Synopsis de l'épisode 6 de la saison 1 Deux aventuriers nus doivent survivre 20 jours dans un marais de Louisiane. Les serpents mortels et les alligators sont leurs ennemis principaux Episode 07 Titre On l'a faitAnnée de production 2013Pays Etats-Unis Genre Durée 50 min Synopsis de l'épisode 7 de la saison 1 épisode On l'a fait Episode 08 Titre 40 jours plus rien ne vaTitre original 40 Days Falling ApartAnnée de production 2015Pays Etats-Unis Genre Durée 50 min Synopsis de l'épisode 8 de la saison 1 Les aventuriers doivent absolument se procurer de la nourriture, indispensable à la survie. Mais un acte isolé va mettre à mal tous leurs efforts c... Episode 09 Titre 40 jours tensionsTitre original 40 Days Filth and FuryAnnée de production 2015Pays Etats-Unis Genre Durée 50 min Synopsis de l'épisode 9 de la saison 1 Les aventuriers arrivent à la dernière étape - la plus difficile de l'aventure. Les tensions montent alors qu'il faut avancer sur un terrain traître Episode 10 Titre Dirty Dozen ReturnTitre original Dirty Dozen ReturnAnnée de production 2015Pays Etats-Unis Genre Durée 50 min Synopsis de l'épisode 10 de la saison 1 Les participants sont réunis pour la première fois depuis l'aventure qui a changé leur vie. Ils reviennent sur les bons, les mauvais moments de ce ... Episode 11 Titre 40 jours et 40 nuitsTitre original 40 Days and 40 NightsAnnée de production 2013Pays Etats-Unis Genre Durée 50 min Synopsis de l'épisode 11 de la saison 1 Douze aventuriers expérimentés sont lâchés dans les Badlands en Colombie. Ils doivent survivre 40 jours et 40 nuits sans nourriture, sans eau et sa... Episode 12 Titre Man On FireTitre original Man On FireAnnée de production 2015Pays Etats-Unis Genre Durée 50 min Synopsis de l'épisode 12 de la saison 1 Lâchés en terre hostile, 12 aventuriers doivent repousser leurs limites à l'extrême pour espérer survivre. Combien d'entre eux pourront endurer cet... Episode 13 Titre À la conquête de l'HimalayaAnnée de production 2013Pays Etats-Unis Genre Durée 50 min Synopsis de l'épisode 13 de la saison 1 épisode À la conquête de l'Himalaya Episode 14 Titre Année de production 0Pays Genre AventuresDurée 50 min Synopsis de l'épisode 14 de la saison 1 épisode Episode 15 Titre Année de production 2015Pays Etats-Unis Genre Durée 50 min Synopsis de l'épisode 15 de la saison 1 Lâchés en terre hostile, 12 aventuriers doivent repousser leurs limites pour espérer survivre. Combien d'entre eux pourront endurer cette épreuve ? Episode 16 Titre Conséquences mortellesTitre original Deadly ConsequencesAnnée de production 2015Pays Etats-Unis Genre Durée 50 min Synopsis de l'épisode 16 de la saison 1 Lâchés en terre hostile, 12 aventuriers doivent repousser leurs limites pour espérer survivre. Combien d'entre eux pourront endurer cette épreuve ? Episode 17 Titre La maladieTitre original The SicknessAnnée de production 2015Pays Etats-Unis Genre Durée 55 min Synopsis de l'épisode 17 de la saison 1 Lâchés en terre hostile, 12 aventuriers doivent repousser leurs limites pour espérer survivre. Combien d'entre eux pourront endurer cette épreuve ? Episode 18 Titre Le dernier rugissementTitre original The Last RoarAnnée de production 2015Pays Etats-Unis Genre Durée 50 min Synopsis de l'épisode 18 de la saison 1 12 aventuriers sont lâchés dans la nature. Ils doivent survivre 40 jours et 40 nuits sans nourriture, sans eau et sans vêtements Les boules et les chocottes version XL Télé-réalité 2015 Disponible sur myCANAL, Molotov TV Lâchés en terre hostile, 12 aventuriers doivent repousser leurs limites à l'extrême pour espérer survivre. Combien d'entre eux pourront endurer cette épreuve? Tout public En vedette Michael Brown, Charlie Frattini, Jeff Zausch Distribution et équipe technique À propos TÉLÉ-RÉALITÉ Informations Studio Discovery Channel Genre Sortie Classé Audio original Anglais États-Unis, Anglais Australie © Discovery Communications Inc. Langues Audio Français France AAC Complet Non-censuré Complet Informations Genre Téléréalité Année 2015 Résumé de l'Episode 2 40 jours et 40 nuits Douze aventuriers expérimentés sont lâchés dans les Badlands en Colombie. Ils doivent survivre 40 jours et 40 nuits sans nourriture, sans eau et sans vêtement Informations Genre Téléréalité Année 2016 Résumé de Les boules et les chocottes version XL Les dessous Les participants sont réunis pour la première fois depuis l'aventure qui a changé leur vie. Ils reviennent sur les bons, les mauvais moments de ce défi de 40 jours et s'expliquent Sauront-ils travailler en équipe? Trouveront-ils de quoi se nourrir en évitant les morsures et les piqûres des animaux sauvages? Suivez le parcours de ces aventuriers un brin nudiste dans leur retour à l'état originel! Aujourd'hui, Les Boules et les Chocottes XL a décidé de réunir les meilleurs survivalistes pour un nouveau défi. Six femmes et six hommes ayant déjà participé au programme vont cette foisci devoir survivre tous ensemble 40 jours et 40 nuits dans les profondeurs de la jungle équatoriale colombienne. Déposés d'abord par groupe de trois ou quatre dans différents coins de cette zone inhabitée, ils vont devoir s'adapter rapidement à l'environnement et s'affronter pour obtenir les ressources nécessaires à leur survie. Sauront-ils travailler en équipe? Trouveront-ils de quoi se nourrir en évitant les morsures et les piqûres des animaux sauvages? Suivez le parcours de ces aventuriers un brin nudiste dans leur retour à l'état originel! Videos4350Les boules et les chocottes XL Colombie S01 E039 1K viewsYouTube4346Les boules et les chocottes XL Colombie S01 E0112K viewsYouTube4318Retour à l'instinct primaire Canada73K viewsYouTube145 Comment chasser un Varan? 41K viewsYouTube217 Ils se rapprochent en se cherchant des poux! Non-censuré Les informations recueillies sont destinées à CCM Benchmark Group pour vous assurer l'envoi de votre newsletter. Elles seront également utilisées sous réserve des options souscrites, à des fins de ciblage publicitaire. Vous bénéficiez d'un droit d'accès et de rectification de vos données personnelles, ainsi que celui d'en demander l'effacement dans les limites prévues par la loi. Vous pouvez également à tout moment revoir vos options en matière de ciblage. En savoir plus sur notre politique de confidentialité. You pour le sol Les boules et les chocottes xl streaming vf Litiere granulés bois chevaux du Les boules et les chocottes xl streaming ita Grossiste D'epices Herbes En Vrac GreenVrac Fournisseur Vrac Grille de chantier Ou trouver de la confiture d airelles Gingembre pour visage pour Les boules et les chocottes xl streaming video Les boules et les chocottes xl streaming online Les boules et les chocottes xl streaming sur Qu on fasse connaissance Voirfilms' » Retour à l'instinct primaire Restons groupés Date de la première transmission 2015-07-12 Date de la dernière transmission 2022-05-22 Pays d'origine US langue originale en Temps de fonctionnement 60 minutes Production Discovery Channel / Discovery+ / Genre Reality Réseaux de télévision Investigation Discovery Discovery Life discovery+ Retour à l'instinct primaire Restons groupés Nombre de saisons 8 Nombre d'épisodes 79 Aperçu Des anciens participants de l'émission sont de retour au cœur de l'impitoyable jungle des Philippines. Durant 40 jours et 40 nuits, 12 hommes et femmes devront faire face aux requins, aux serpents mortels, aux infatigables insectes et à de féroces varans. Lors d'un rebondissement inédit, deux autres anciens candidats rejoindront le groupe après avoir réussi leur propre défi de 21 jours. Les survivants connaîtront la faim, l'hypothermie, les orages violents. Mais si la pire menace qui pouvait les empêcher de réussir ce défi, c'était les autres? Qu'est-il supposé advenir lorsque vous déposez une femme et un homme entièrement nus sur une zone isolée du globe?... Discovery Channel avait commencé à explorer la question dans Les Boules et les Chocottes en réunissant des duos de parfaits inconnus sur des terrains hostiles afin de tester leurs compétences en matière de survie. Sans eau, sans nourriture et sans vêtement, juste munis d'une mini-caméra et d'un objet personnel, ces couples devaient survivre pendant une période de 21 jours en pleine nature pour une aventure hors du commun. Aujourd'hui, Les Boules et les Chocottes XL a décidé de réunir les meilleurs survivalistes pour un nouveau défi. Six femmes et six hommes ayant déjà participé au programme vont cette foisci devoir survivre tous ensemble 40 jours et 40 nuits dans les profondeurs de la jungle équatoriale colombienne. Déposés d'abord par groupe de trois ou quatre dans différents coins de cette zone inhabitée, ils vont devoir s'adapter rapidement à l'environnement et s'affronter pour obtenir les ressources nécessaires à leur survie. 0202 heure miroir 2019 See other formats LES CONTRÉES MYSTÉRIEUSES ET LES PEUPLES INCONNUS. TYPOGRAPHIE FIRHIN'-niDOT. MESNTL EURE. VICTOR TISSOT et CONSTANT AMERO. LES CONTREES MYSTERIEUSES ET LES PEUPLES INCONNUS. OUVRAGE ILLUSTRE DE G GRANDES CARTES ET DE 277 GRAVURES DANS LE TEXTE, DONT 54 GRANDES PLANCHES. PARIS, LIBRAIRIE DE FIRMIN-DIDOT ET CIE,- IMPRIMEURS DE L'iNSTITUT, RUE JACOB, 56. 1884. Reproduction et traduction réservées. i LES CONTRÉES MYSTÉRIEUSES ET LES PEUPLES INCONNUS. GÉNÉRALITÉS. Les voyages d'exploration, — qu'on appelait autrefois voyages autour du monde », — ont cessé de captiver l'attention. Il n'y a plus de nouvelles terres à découvrir. Les îles de l'Océanie, même les plus pe- tites, sont classées et cataloguées, comme le sont sur les cartes sidérales les planètes et les étoiles. Et pourtant plus de la moitié de notre globe reste à conquérir à la civilisation, au progrès ; plus de la moitié de la terre n'a jamais été foulée par le pied d'un Européen, voyageur, mis- sionnaire ou trafiquant. Il y a non seulement des contrées inconnues, mais des régions qui semblent absolument impénétrables, — les pôles par exemple, — le pôle nord, pour lequel l'impossible est journellement tenté; le pôle sud, bieu autrement inaccessible encore, et contre lequel est venue se briser la téméraire énergie des Cook, des Dumont d'Ur- ville et des James Ross. Aujourd'hui les véritables voyages autour du monde se font comme une partie de plaisir, — en quatre-vingts jours , si l'on est pressé. — Du Havre ou de Liverpool on se rend à New- York ; en une semaine de che- min de fer, on atteint San-Francisco, puis, reprenant la mer, on se di- rige sur Yokohama, Shanghaï, Hong-Kong, Calcutta ou Bombay; en- fin on revient par Suez, Port-Saïd et Marseille. C'est la grande route du tour du monde, — une route connue et bat- tue, où il n'y a plus même de l'imprévu à attendre. CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 1 2 GÉNÉRALITÉS. Aussi ceux que tourmente le besoin de changer de place, ceux qu'a- niment l'esprit d'aventures, le prosélytisme religieux, ceux qui sont stimulés par des intérêts scientifiques ou commerciaux, devaient-ils chercher d'autres directions à leur activité. Aujourd'hui, l'on essaye de traverser l'Afrique ou l'Australie de part en part ; on remonte aux sources des grands fleuves ; on pénètre par la ruse dans les contrées fermées » où des gouvernements jaloux exercent de loin une suzeraineté nominale, — comme au Thibet et dans plusieurs autres parties de l'Asie ; — on tente la conquête du pôle nord ; on s'ap- prête à donner à ses forteresses de glace un dernier et victorieux assaut. Ce n'est certes pas de nos jours seulement qu'on a vu des explora- teurs intrépides les annales des voyages sont pleines des grands noms de Magellan, de Jacquemont, de Caillé, de Duperrey, de Cook et tant d'autres! Mais on peut affirmer que jamais, pas même au lendemain de la découverte du nouveau monde, il n'y eut un tel empressement, un tel concours d'émulation entre les nations civilisées pour remplir les feuillets, demeurés en blanc si longtemps, de l'inventaire de notre pa- trimoine terrestre. Et pour que rien ne soit perdu des résultats acquis par les pion- niers lancés en avant, on fonde partout des Sociétés de géographie ; on crée des musées ethnographiques, on publie des journaux de voyage ; des Relations nombreuses, soit originales, soit traduites, ont créé une véritable littérature des voyages. Si l'impulsion donnée se poursuit chez nous, nous cesserons bientôt de mériter l'épigramme des savants allemands, qui ont ainsi défini les Français Un peuple spirituel, ai- mable, — c'était avant la guerre de 1870, — et qui ne sait pas un mot de géographie. » On ne se fait pas une idée de la somme de vie humaine répandue sur notre globe. Ce chiffre énorme a donné lieu à bien des controver- ses. M. Charles Vogel, dans son beau livre , le Monde terrestre, l'a éva- lué à 1,250 millions, peut-être un peu plus, en ne dépassant pas, toute- fois, 1,500 millions Behmet Wagner s'étaient arrêtés à 1,391 millions d'âmes, dont 321 millions pour l'Europe, 800 millions environ pour l'A- sie, 200 millions pour l'Afrique, 85 millions pour les deux Amériques, GÉNÉRALITÉS. 3 et 4 ou 5 millions pour l'Australie et l'Océauie. Mais combien la civili- sation est clairsemée au sein de ces masses humaines! A mesure que s'agrandit le domaine de la géographie positive », se restreint le champ de cette prétendue science du monde, qui était autre- fois à la géographie ce que l'astrologie est à l'astronomie. S'il y a en- core beaucoup de terres inconnues, il n'y a plus, heureusement, de ces régions fabuleuses, fertiles en inventions ridicules et décevantes. L'El- dorado, le pays d'or » de la tradition des Indiens du Pérou, et le pré- tendu lac Farime sont depuis longtemps relégués dans le royaume des chimères, après avoir défrayé bien des générations qui rêvaient de cette contrée où la terre était pavée d'or et fleurie de pierreries. Ce qui peut expliquer en partie l'étrangeté des conceptions des voya- geurs anciens , c'est que l'espèce humaine est, dans son unité , extrême- ment diverse. Un essai de classification des races ne serait peut-être pas déplacé ici; mais c'est un sujet bien scabreux! On se heurte tout de suite à des questions graves, telles que l'unité de l'espèce humaine selon la théolo- gie, et la diversité des races selon la science. Chercher les solutions nous entraînerait trop loin. Il serait tout aussi difficile d'obtenir sur de tels sujets un accord de vues absolu. L'anthropologie est une science trop récente, trop vaste, elle touche de trop près à tous les problèmes religieux, philosophiques, sociaux, qui préoccupent notre génération, pour que les adeptes de cette science ne se trouvent pas fréquemment en parfait désaccord, — et cela précisément sur les questions capitales. Que serait-ce si nous voulions appeler à notre secours l'étude des types, des traits du visage, de la conformation du crâne? Nous trouvons- dans l'atlas d'un in-4° américain, la tête d'un orang-outang mise en pa- rallèle avec celle d'un cocher hottentot, et le crâne d'un chimpanzé dont l'angle facial offre quelque supériorité, comparé au crâne d'un nègre créole. Ce n'est pas nous qui nous chargerions de fixer la mesure de telles exagérations... Qu'il nous suffise donc, en adoptant les principes de l'application de la méthode naturelle à la classification des races, selon M. de Quatrefages, de partager l'ensemble des races humaines pures en trois troncs blanc, 4 GÉNÉKALITÉS. jaune, nègre comprenant huit branches, dix-huit rameaux et trente-neuf familles; les grandes races mixtes d'Asie et d'Amérique, qui se relient plus ou moins au tronc jaune, sont réparties en vingt-deux familles. Une particularité bien connue, c'est que l'homme supporte assez bien les températures extrêmes. Or, ces températures extrêmes peuvent va- rier de 120 à 130 degrés. C'est énorme! Et cependant l'homme est apte à s'acclimater à peu près partout. De 120 à 130 degrés! Il y a, en effet, une telle différence entre les plus grands froids de la Sibérie pendant lesquels le thermomètre tombe jusqu'à 60 degrés au-dessous de zéro, et les chaleurs excessives des pays chauds. Ce n'est pas sous Téquateur, — comme on le croit commu- nément, — que sont les chaleurs extrêmes. Les fours de la terre, dit M. Louis Figuier, sont le nord et l'est du Sahara, le pied de l'Himalaya, la vallée du Gange sacré, les steppes sans fin de l'Afghanistan et de la Boukharie les maxima observés ont été de 55 degrés à l'ombre, de 70 degrés au soleil. Pourquoi, dit le dicton afghan, as-tu créé l'enfer, Allah? N'avais-tu pas déjà créé Ghaznan? » Sur cette question de l'acclimatation de l'homme il ne faut pourtant rien exagérer. On a pensé jusqu'ici que la race humaine jouissait d'une aptitude illimitée pour l'acclimatation ; mais on ne s'est peut-être pas assez rendu compte des effets moraux et physiques qui se manifestent chez l'homme, transporté dans certains climats, moins favorables à son développement que ceux de la zone tempérée. Le climat exerce sur la vie de l'homme une influence incontestable ; la nourriture même , qui sert à renouveler périodiquement les forces de l'homme, varie suivant le climat, et il est impossible que le corps ne se ressente pas d'une ré- volution dans l'alimentation. D'autre part, la température, en ouvrant ou resserrant les pores plus que de coutume, agit sensiblement déjà, dans les simples changements de saison; qu'est-ce alors quand on change de pays? Il reste encore à tenir compte de la géographie physique de la nou- velle contrée qu'on habite l'élévation au-dessus du niveau de la mer, l'humidité ou la sécheresse du sol; les cours d'eau, et plus encore la qualité de l'eau qu'on boit; la diffusion de la lumière, suivant que la contrée est plus ou moins boisée, ou que le ciel est habituellement plus GÉNÉRALITÉS. 5 ou moins nuageux ; enfin, la nature et la fréquence des vents dominants. On a remarqué qu'après un certain temps , l'action du climat sur l'é- tranger semble diminuer ; mais cet affaiblissement s'opère souvent à ses dépens il a insensiblement modifié ses babitudes, et il s'est fait en lui un changement de constitution. Si l'homme civilisé parvient à neutra- liser ces effets contraires, il ne les ressent pas moins à la longue et les transmet à sa descendance. L'Européen qui s'établit dans les Indes ou aux Antilles, par exenrple, n'est plus le même homme à son retour; s'il reste dans le pays, ses enfants, aisément acclimatés, ne se trouve- raient pas à leur aise en Europe. On peut croire qu'il s'est opéré au milieu des populations , dans le courant des siècles, des modifications qui ont fini par introduire dans le genre humain de profondes distinctions de race ; chacune de ces races ou familles s'est ressentie des influences climatériques qui l'entourent, et il en est résulté une organisation particulière. Il y a clans les races divers degrés d'aptitudes à l'acclimatation ; celles qui sont le plus favorisées au point de vue intellectuel ont plus de faci- lité que les autres à s'acclimater. Cela n'est point douteux. Néanmoins, chaque race se trouve comme enfermée dans de certaines limites géogra- phiques qu'elle ne peut pas franchir impunément. Toujours, qu'il s'a- gisse des Européens ou des Chinois, des Nègres, des Peaux Rouges ou des habitants des îles Sandwich , le changement de climat a eu pour effet la dégénérescence et souvent l'extinction. Il y a pourtant, semble-t-il, une exception à cette règle générale c'est l'Israélite qui la fournit. S'il est vrai que le climat puisse produire avec le temps les distinc- tions profondes qui séparent les diverses branches de l'espèce humaine, à quoi sert la dispute déjà vieille et toujours ardente de l'unité ou de la pluralité des races? Un professeur allemand a remarqué que le type de la race est bien plus accentué chez la femme que chez l'homme. Soumises aux influences du milieu et du moment, les femmes sont plus passionnées et donnent à tout leur être l'expression du sentiment momentané qui les agite... Voyez, dit-il, la Négresse sensuelle, impressionnable, naïve et de bonne humeur ; la Turque apathique , lourde et rêveuse ; la Juive aile- 6 GÉNÉRALITÉS. mande infatigable, de compréhension vive, d'une fidélité absolue à la parole donnée; la Polonaise adonnée à Y éclat, à toutes les passions; la Française impressionnable, spirituelle, gracieuse et vaniteuse c'est le professeur Reclam qui parle; l'Anglaise maladroite, de conception lente, mais opiniâtre et portée à son intérêt; voyez l'Allemande peu active, mais persévérante dans son travail, dans son dévouement, dans ses sympathies comme dans ses antipathies. Est-ce qu'elles n'expriment pas dans tout leur être les particularités de leur race, beaucoup plus nettement que leurs seigneurs et maîtres? Malgré le volume supérieur de sa cervelle, conclut le professeur, malgré son intelligence cosmique, l'homme est, au point de vue physiologique, moins distinct de l'animal que ne l'est la femme. » — Nous y souscrivons volontiers, — mais par pure galanterie. Comme le titre de notre livre le fait entrevoir, nous aurons à nous occuper beaucoup des races inférieures et des peuples plongés depuis des siècles dans un état qui semble ne souffrir aucune amélioration. Tels sont les ichtyophages , dont la gloutonnerie est toute bestiale ; les peuplades de l'Amérique qui se nourrissent de terre, celles qui ha- bitent les arbres ; — le docteur Crevaux a même rencontré dans les forêts de la Guyane des Indiens amphibies. — Tels sont encore les Nè- gres, qui s'accommodent assez bien de l'esclavage, et les Parias, repoussés par diverses races hautaines ; tous gens peu vêtus, mais qui ont des prétentions à la coquetterie, qui se teignent le corps et le visage d'une manière indélébile, grâce à l'opération du tatouage, qui déforment dès la naissance le crâne de leurs enfants pour lui donner la façon exigée par la mode ; ou encore qui aplatissent le nez de leur progéniture, — facile embellissement ; — qui se percent les oreilles, les lèvres ou le nez pour y passer des ornements d'un goût douteux ; qui se noircissent les dents ou se les aiguisent en dents de scie comme certains anthropophages. Les anthropophages! On croit rêver. Cette affreuse coutume sera plus difficile à extirper qu'on ne l'imagine. C'est qu'elle ne revêt pas, également partout le même caractère de férocité. Elle peut être acciden- telle, inspirée par la superstition ou par la vengeance. On a des récits pathétiques des efforts tentés , souvent avec succès,, par d'intrépides officiers de l'armée de l'Inde, pour sauver de la mort GÉNÉRALITÉS. 7 des milliers de Mériahs que les sept à huit cents villages des Khonds étaient habitués à sacrifier annuellement à la déesse de la terre, et aussi pour empêcher les infanticides. Ce fanatisme traditionnel, lié à des pra- tiques de cannibalisme, est loin d'être extirpé. A l'heure présente, la civilisation apparaît sérieusement aux prises avec l'homme sauvage. Quelques faits, qui doivent trouver leur place dans cette Introduction, établissent qu'il n'en est pas, dans les lois du progrès, comme en philosophie, où l'initié, — selon le mot profond de Ballanche, — tue l'initiateur. Ici, c'est le nouvel initié à la civilisation qui disparaît. Il y a là un grand motif de ne pas redouter de voir un jour les races que nous allons arracher à l'état de nature ou à la barba- rie, nous rendre en une seule fois toutes nos visites ; et nous devons écarter l'idée d'un retour offensif de plusieurs dizaines de millions de gens humiliés dans leur amour-propre. Hâtons-nous donc de faire connaître certains peuples, hier encore inconnus et qui n'existerout bientôt plus. Ce sont pour nous des peuples nouveaux et, tout à la fois, des peuples qui disparaissent. Un fait incontestable et hors de discussion, c'est que les indigènes de l'Australie, de la Nouvelle-Calédonie, de la Nouvelle-Zélande, des îles Sandwich, des îles Marquises, de Taïti, et de la plupart des îles de l'aire polynésienne sont atteints de maladies nouvelles dont les suites devien- nent fatales pour eux. On les voit s'étioler et s'éteindre, et ces faits se produisent au contact des Européens. M. de Pochas, M. Brainne, M. de Quatrefages, Darwin, tous les anthropologistes et tous les voya- geurs sont d'accord sur ce point. Faut-il admettre, avec les paléontologistes, dit M. de Fontpertuis, un ordre fatal de succession des races supérieures aux races inférieures? voir dans les Polynésiens les derniers représentants d'une race que le refroidissement terrestre aurait peu à peu refoulée vers Féquateur, seul point de la terre où elle puisse encore vivre, mais d'une existence difficile et compromise par le moindre écart? croire à l'insalubrité du climat? On sait ce que signifie, au point de vue moral, la succession des races supérieures aux races inférieures la destruction des Australiens et l'extermination des Peaux Rouges. » 8 GÉNÉRALITÉS. Dès l'arrivée d'au navire européen dans une terre de la Polynésie, des maladies épidémiques se déclarent parmi les indigènes ; Darwin a donné une explication de ce fait en l'attribuant aux miasmes putrides emma- gasinés à bord du navire pendant une longue traversée et qui, inoffen- sifs pour l'équipage, qui s'y est graduellement habitué, deviennent dé- létères et mortels pour quiconque est surpris par leur brusque atteinte. La phtisie pulmonaire, qui exerce de si cruels ravages dans les mêmes parages, pourrait bien y être aussi une importation du monde civilisé. Les naturels de la Nouvelle-Calédonie n'en' doutent pas; ils citent le fléau de Koturé, qui a coïncidé avec la venue des premiers caboteurs anglais ; et à en juger par la sensation inexplicable de froid que les Mao- ris et les Taïtiens disent éprouver à notre contact, l'affirmation ne manque pas de plausibilité. Ce sont les Européens qui ont introduit dans ces archipels de l'Océa- nie le tabac, le gin, le rhum, l'eau-de-vie ; or, l'abus de ces narcoti- ques et de ces liqueurs devait exercer des ravages sur des constitu- tions formées par une nourriture peu substantielle et incapables de supporter aucun écart de régime, aucun changement d'habitudes. M. Frout de Fontpertuis, que nous venons de citer, s'est souvent de- mandé s'il n'y aurait pas lieu de ranger parmi les causes de ce dépérisse- ment inexplicable l'impression de découragement et de tristesse qu'ont dû causer à des races flères les entreprises des Européens; leur nombre, leur audace, leur intelligence, et, il faut bien le dire, leur cupidité et leurs passions déréglées. M. de Quatrefages, tout en mentionnant ces causes, ne s'est pas arrêté à en examiner la portée ; mais Gratiolet leur a accordé beaucoup plus d'importance, et des faits que rapporte M. Sproat semblent bien donner raison à l'éminent physiologiste. En 1860, M. Malcom Sproat prit possession, au nom de l'Angleterre, de la partie de l'île Vancouver qui occupe le fond du Barclay-Sound, au nord de l'entrée du détroit de Fuca. Là vivaient plusieurs tribus, par- lant des idiomes différents ; elles semblaient placées à un degré très inférieur de l'humanité. Ces sauvages ne virent pas d'un bon œil la venue des Anglais ; ils abandonnèrent la côte et se retirèrent dans l'in- térieur. Cependant, durant un premier hiver ils parurent bénéficier du voisi- GÉNÉRALITÉS. 9 nage des Européens. Ils travaillaient volontiers pour eux. Lors des rè- glements de compte, les Anglais leur cédaient des vêtements, de la fa- rine, du riz, des pommes de terre. Mais à la fin de l'hiver M. Sproat et ses compagnons s'aperçurent d'un changement très marqué de disposi- tions chez ces indigènes. Tandis que quelques jeunes gens acceptaient avec empressement les bénéfices de la civilisation qui s'offraient à eux, les hommes faits, les vieillards, taciturnes, menaçants presque, se tenaient à l'écart, réfugiés au fond de leurs huttes. M. Sproat devina que la vue des Anglais, de leurs navires, de leurs machines et de leur industrie les affectait péniblement ; le sentiment de leur propre infériorité accablait ces pauvres sauvages ; ils perdaient toute confiauce en eux-mêmes, toute estime dans leurs traditions et leurs usages. Bientôt la maladie s'abattit sur eux et exerça de terribles ravages, qu'on ne sut à quoi attribuer M. Sproat avait défendu de leur vendre des liqueurs fortes. Cependant ils mouraient fatalement l'un après l'autre. Comment ne pas s'arrêter à l'idée qu'ils tombaient vic- times du découragement morne et stupide dont ils s'étaient sentis at- teints dès leur premier contact avec nue race mieux douée »? Un mot encore avant d'aborder notre sujet. Une étude de l'homme sauvage et barbare n'offre rien de rebutant il faut laisser répéter aux esprits chagrins les vers de Boileau De Paris au Pérou, du Japon jusqu'à Rome, Le plus sot animal, à mon avis, c'est l'homme. Non, l'homme est au contraire un animal des plus intéressants. Toutes les fois qu'on l'observera avec attention, on se convaincra bien vite qu'aussi bien chez l'Indien des bords de l'Ucayalé et le Noir afri- cain du lac Victoria, qui vivent dans une perpétuelle enfance, que chez la plupart des peuples civilisés, — lesquels n'entrent pas dans le cadre de notre livre, — il va des lois de milieu, d'âge et de développement, qui déterminent les caractères et les degrés de civilisation. Telle bar- barie qui nous' rebute ou nous indigne a peut-être ses raisons d'être aussi bien que la culture la plus raffinée. On en pénètre les secrets mo- biles, à l'aide des observations que nous fournissent les voyageurs, dans CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 2 III GÉNÉRALITÉS. leurs relations, et, en appréciant mieux les causes, on devient moins sévère dans ses jugements sur leurs effets. Voici dans quel ordre se présenteront les développements de notre livre. Nous visiterons d'abord les régions arctiques, où le froid semble avoir établi son immuable empire ; il y a là des peuples à peine entrevus dans le crépuscule polaire Esquimaux, Lapons, Sainoyèdes, Tongouses ou Yakoutes. Après cela nous appellerons l'attention de nos lecteurs sur le Nouveau Monde, depuis l'Amérique britannique jusqu'à la Terre de Feu ; nous leur montrerons les Peaux Rouges résistant désespérément aux envahissements de la race blanche. Nous doublerons ensuite le cap Horn comme de simples caboteurs, pour aller d'île en île à travers l'Océanie. Les archipels de la Polynésie, la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Calé- donie, le continent australien, la Nouvelle-G-uinée et plusieurs terres de la Malaisie nous offriront des stations successives. Nous aborderons ensuite l'Asie par la presqu'île de Malacca, et nous remonterons vers le nord, en étudiant ces pays inexplorés ou fer- més à la curiosité des Européens, ces peuples inconnus, sauvages ou barbares, qui s'échelonnent de l'Indo-Chine à la Sibérie. De la Mon- golie, du Thibet, nous passerons par-dessus les contrées de l'Asie centrale où se rencontrent et se heurtent les Russes et les Anglais ; nous traverserons les déserts de l'Arabie. L'Afrique est ouverte ; nous y pénétrerons à la suite des Livingstone, des Speke, des Grant, des Burton, des Lejean, des Brazza, des Cameron, des Schvv'einfurth, des Stanley, et des Serpa Pinto. PREMIÈRE PARTIE. LE POLE NORD ET LE POLE SUD. I. Le pôle nord. — Aspect des régions polaires. — Étranges lois physiques La lune et les para- sélènes. — Le soleil et les parhélies. — Une journée de quatre mois. — Un crépuscule de cinquante jours. — Dangers de la navigation. — Les icebergs » en mouvement. — Comment se forment les montagnes de glace. — L'hiver. — Les tourmentes de neige. — Les tempêtes qui désagrègent la banquise. — Le pack ». — Navires emprisonnés dans les glaces. — Les hummocks ». — Quartiers d'hiver. — La nuit polaire. — Son silence effrayant. — Aurores boréales. — Éloge du froid. — Ses bizarreries. — Ses curiosités. — Retour du soleil. — Tableaux d'été. — Effets de mirage. S'il est une contrée mystérieuse entre toutes, c'est bien cette région du pôle nord dont l'inconnu exerce une si grande attraction, qui fait naître des illusions si généreuses et ne livre un à un ses secrets qu'au prix de tant de sacrifices héroïques, de tant d'efforts, de tant de deuils! La fin dramatique de sir John Franklin et de ses compagnons dans les mers arctiques, les expéditions successives entreprises par l'Angle- terre et les États-Unis pour découvrir leurs traces, ont attiré l'atten- tion sur ces contrées hostiles, où la création semble finir et le chaos re- commencer. Le capitaine Mac-Clintoch constata, en 1859, que les équipages de YÉrèbe et de la Terreur avaient péri misérablement. Lorsque l'impres- sion douloureuse causée par la certitude de ce désastre se fut un peu dissipée, on se trouva ramené à l'objet même de l'expédition de Franklin, qui était, on se le rappelle, la recherche d'un passage d'Europe en Asie en suivant la direction nord-ouest. En même temps, les notions récem- ment acquises sur la configuration des terres boréales fournissaient la preuve que ce passage existait réellement, que sir John Franklin avait été bien près de l'atteindre, mais que la science seule devait profiter des résultats obtenus, ce passage ne pouvant être utilisé pour la na- vigation, du moins dans l'état actuel de nos moyens maritimes. u LE POLE NORD. Depuis la constatation, par M. Nordenskiôld, de la possibilité de suivre de l'ouest à l'est les côtes de la Norvège, de la Russie et de la Sibérie jusqu'au détroit de Behring, c'est-à-dire d'aller réellement d'Europe en Asie par l'océan Glacial, la recherche d'un passage par le nord-ouest a beaucoup perdu de son intérêt. Toutefois un grand pas a été fait dans la connaissance des régions circumpolaires. La géographie se trouve avoir largement bénéficié de tous les voyages entrepris depuis le commencement de ce siècle ; ils lui ont donné le tracé à peu près définitif d'une partie du globe jusque- là à peine entrevue. Ce n'est pas tout. Plusieurs découvertes faites par les Parry, les Mac- Clure, les Mac-Clintoch, les Kane, les Hayes, les Weyprecht intéres- sent diverses branches des sciences physiques, et doivent recevoir d'u- tiles applications. C'est dans la région arctique qu'a été trouvée la loi des courants mystérieux qui, semblables à deux fleuves immenses, traversent les vastes espaces de l'Océan le gulf-stream » et l'ice- stream » 1 le courant chaud qui s'élève au nord, et le courant glacé qui en descend. C'est dans la terre Boothia que les deux Ross ont atteint pour la première fois le pôle magnétique, ce point central au- tour duquel tourne l'aiguille de la boussole sur une moitié de l'hé- misphère nord. Les nombreuses observations des explorateurs autour de ce centre ont beaucoup ajouté à ce que nous savions sur les lois de la déclinaison et de l'intensité magnétiques. Les régions polaires offrent à l'imagination un attrait irrésistible. Rien ne s'y règle sur les lois auxquelles nous sommes accoutumés. L'hiver y dure neuf mois ; le printemps y apparaît en juillet. Au 80e degré de latitude, l'année n'a qu'un jour de six mois et une nuit d'une étendue égale du jour sans fin de l'été, on passe, à travers le crépuscule d'automne, à la nuit sans fin de l'hiver. Les fleuves, s'arrêtant dans leur marche, donnent naissance à d'im- menses glaciers auprès desquels ceux des Alpes ne sont que des minia- tures ; et de ces glaciers se détachent incessamment d'énormes monta- 1 Le ce courant du golfe » et le ce courant froid ». Prononcez g ueulf strime et aïce strime. 16 LE POLE NORD gues, que les courants charrient. Ces blocs, tribut des continents, en- vahissent la mer, tandis que celle-ci se solidifie sous l'action du froid et, se refusant à la navigation, permet les traversées à pied et en traîneau. On voit là des aurores boréales accompagnées d'étranges phénomè- nes météorologiques l'aurore boréale s'évanouit-elle , la lune radieuse demeure, une lune infatigable qui ignore son coucher; une lune victo- rieuse qui transforme en jours les longues nuits du solstice d'hiver. Tan- tôt, reine du jour et de la unit, elle s'entoure de halos et de grandes couronnes d'or; tantôt, comme si elle se mirait coquettement dans plusieurs glaces, elle se multiplie par le mirage de la parasélèue. Après les nuits du solstice d'hiver, lorsque la pâle étoile du jour a reparu dans le ciel, c'est le phénomène de laparhélie, qui se produit le plus souvent avec deux ou trois faux soleils, quelquefois avec quatre, avec huit et même seize spectres lumineux qui deviennent les centres d'autant de circonférences ; parfois même, horizontale au lieu d'être ver- ticale, elle entoure le spectateur d'une multitude d'images solaires et le transporte comme sous un dôme dont le pourtour serait illuminé par des lanternes vénitiennes. Tout enfin, dans ces régions, présente un sai- sissant contraste avec le monde dans lequel nous vivons. Nous venons de dire que sous le 80e degré un jour de six mois succède à une nuit d'une égale durée. Il convient de préciser. Nous ne voulons ni égarer nos lecteurs, ni être taxés d'ignorance. Sous le 80e parallèle, le soleil se maintient sur l'horizon pendant cent trente-quatre jours et reste couché pendant cent vingt-sept. Le pôle voit régner tour à tour une nuit et un jour absolus, l'une depuis* le milieu du mois de novembre jusqu'au commencement du mois de février, et l'autre depuis le 21 mars jusqu'au 23 septembre. Le crépuscule polaire n'est pas le phénomène le moins remarquable et le moins curieux qu'offrent ces contrées lointaines. On sait que le crépuscule est dû à la réfraction, par l'atmosphère, des rayons du soleil abaissé au-dessous de l'horizon. Cette clarté indirecte s'affaiblit peu à peu, puis elle s'évanouit complètement et fait place à la nuit. Or, si l'on songe que le soleil tourne à quelques degrés au-dessous de l'horizon, pendant des mois entiers , au commencement et à la fin de l'hiver po- laire, on s'expliquera la longue durée du crépuscule sous ces latitudes. ET LE POLE SUD. 17 Il semble, en ces contrées, que la nature ait voulu dire à l'homme Tu n'iras pas plus loiu. » Cependant rien ne l'arrête. A peine le marin a-t-il quitté Uppernawick, dernier établissement danois sur le littoral du Groenland, qu'il se trouve aux prises avec les dangers d'une navigation pour laquelle un apprentissage ne peut avoir été fait ailleurs. Aux tempêtes qui se déchaînent sur toutes les mers, s'ajoutent ici des périls inaccoutumés. Ce sont d'abord des montagnes de glaces flottantes, des icebergs », qui s'avancent de plus en plus rapprochés entre eux, parfois enveloppés d'un brouillard intense qu'ils semblent retenir autour de leurs sommets, comme pour traîtreusement se cacher. De ces masses glacées, il y en a qui ont jusqu'à cent mètres et même deux cents mètres d'élévation au- dessus de l'eau, ce qui suppose une hauteur totale de six cents à mille mètres... Eoss a mesuré un de ces icebergs qui, dressant au-dessus de l'eau sa tête menaçante, à une hauteur de cent mètres, présentait un développement de quatre cents mètres de longueur. Malheur aux na- vires qui n'évitent pas la rencontre de ces colosses, de ces Léviathans de la mer polaire! Plus d'un baleinier à la robuste membrure a été écrasé comme une coquille de noix entre deux icebergs qui se ren- contraient. Et ce n'est pas le seul péril à craindre ! Parmi ces icebergs il y en a qui, datant de plusieurs saisons, sont crevassés par les dégels de l'été, minés par les attaques de la mer, évidés et percés à jour comme des clochers de cathédrales gothiques le moindre choc, la détonation d'une arme à feu, — même un cri d'effroi, — peuvent produire une commotion et un effondrement fatal. Ces énormes glaçons s'avancent au hasard des vents et des cou- rants, se pressant au débouché des détroits qu'ils obstruent, terribles avec leurs profils aux arêtes aiguës ou leurs sommets sourcilleux- qui surplombent l'abîme... L'un, — au clair de lune surtout, — prend la forme d'un être fan- tastique, goule ou vampire , traînant après soi le linceul blanc d'un cer- cueil violé ; un autre rappelle une de ces pyramides où les Pharaons dorment depuis des siècles leur dernier sommeil; un autre un temple féerique, avec des tours d'une architecture étrange, des flèches deu- CONTKÉES MYSTÉRIEUSES. 3 18 LE POLE NORD. telées, des dômes audacieux, édifiés pour uu culte démoniaque ; ou uu vieux château aux murailles démantelées dans les efforts d'un siège. Tel bloc offre l'image d'une ville maudite qui s'écroule, sous la foudre invisible d'un châtiment divin. Dans une autre direction se présente un assemblage de cavernes mystérieuses, d'antres profonds dont quel- que esprit jaloux semble avoir interdit l'entrée par un entassement capricieux de stalactites gigautesques ; il y a de vastes portiques béants qui paraissent s'ouvrir sur des gouffres noirs d'ombre, des arcs dont la hardiesse pourrait défier celle de l'arc-en-ciel; tel cône se tient renversé sur son sommet par une puissance occulte qui se rit de toute loi d'équilibre ; une large table pareille à un autel de sacrifices drui- diques est couchée horizontalement sur deux blocs qui lui servent de base. Il y a des menhirs comme il y a des dolmens ; et cette archéo- logie polaire qui n'aura peut-être qu'une heure de durée écrase par la comparaison toutes les pierres levées du Morbihan, toutes les hautes- bornes, toutes les chaires-du-diable... De distance en distance s'élèvent, le long des côtes, les glaciers im- menses, véritables remparts de cristal, dominant de plus de ceDt mètres le niveau des eaux et miroitant aux dernières lueurs du jour d'été De neiges, de glaçons entassements énormes ; Du temple des frimas colonnades informes ; Prismes éblouissants dont les pans azurés, Défiant le soleil dont ils sont colorés, Teignent de pourpre et d'or leur éclatante masse ; Tandis que triomphant sur leur trône de glace, L'hiver s'enorgueillit de voir l'astre du jour Embellir son palais et décorer sa cour 1 ! A eux, Lamartine pourrait aussi adresser cette apostrophe Le nuage en grondant parcourt en vain vos cimes. Le fleuve en vain grossi sillonne vos abîmes, La foudre frappe en vain votre front endurci... Tout à coup, au sein du calme, un bruit formidable, semblable à la T attelle en assez grand nombre. Fig. 34. — Traîneau moderne. Les mêmes chiens, ou leurs congénères, sont utilisés de même en Laponie, et dans le nord de la Sibérie, de l'Obi au détroit de Behring. Ces sortes de chiens peuvent demeurer impunément en plein air sans trop souffrir. Ils se creusent un trou dans la neige, en ne laissant à l'air que l'extrémité de leur museau sur lequel ils ramènent leur épaisse queue pour résister à l'âpreté du froid. L'été, dans les lieux où les moustiques les tourmenteraient, ils savent se creuser des trous dans la terre pour échapper aux cuisantes morsures. Toute une bande de chiens étant attachée au traîneau d'un Esquimau, dit M. Elie Reclus, il n'aurait jamais de fouet assez long pour atteindre les premiers. Que fait-on quand on veut aller vite? Le conducteur cingle un bon coup de fouet sur le dernier chien, qui, méchant et hargneux comme ils le sont ET LE POLE SUD. 85 Kg. 35. — Table d'os de morses. tous, ne veut pas rester sur sou coup de fouet, et, ne pouvant se re- tourner, se venge par un coup de dent dans l'arrière-train de celui qui le précède, lequel le transmet à sou précurseur, lequel le fait passer plus loin, et en un rien de temps ils ont tous été fouettés ou mordus, et le traîneau file rapidement par la neige, au milieu des protestations, grogne- ments et hurlements de l'équipage. Oh! les amis, quoi de plus humain ! Le soir venu, on attache le roi de chaque meute près de son traîneau, sujets et sujettes l'entourent et se couchent à ses pieds. Cette soumission est loin d'être cons- tante, et le plus souvent n'est que le résultat de la fatigue et de l'épuisement. Dans la gent cynique, elle aussi, les monarques ont fort à faire pour gou- verner leurs vassaux, dont les femelles surtout sont d'humeur vagabonde. Ou voit les mâles tirer sur la corde, grognant et relevant les babines, impatients de l'heure où ils pourront se mesurer avec leurs rivaux, et décider qui sera le chef suprême. Une longue suite de combats établit l'autorité du plus hardi; encore cette autorité n'est pas longtemps respectée. Ces chiens aiment le tumulte, et la bataille est la condition naturelle de leur exis- tence. » Les Esquimaux ont de singu- lières coutumes matrimoniales. Lorsque l'un d'eux a fait choix de la fille qu'il veut épouser, il s'adresse à la maman. Si la future belle-mère reconnaît au prétendant les aptitudes suffisantes, c'est-à- dire si par sa chasse et sa pêche il est en état d'entretenir une femme, elle s'empresse de donner son consentement. Le fiancé se procure alors des vêtements de choix pour celle qu'il aime et les lui offre; et l'on va Fig. 36. — Siège des Esquimaux. 86 LE POLE NORD voir que la cérémonie nuptiale se réduit à l'acceptation de la ' cor- beille ». En effet, la jeune fille, par le seul fait qu'elle se pare de ces vêtements, prononce un oui » solennel. Il ne lui reste plus qu'à aller trouver dans sa hutte de neige celui dont elle est la femme dès ce mo- ment même. Le guide Hans, cet Esquimau qui a fait partie de plusieurs expéditions, perdit dans l'une d'elles sa belle-mère, qui l'avait rejoint, et les Amé- ricains assistèrent avec curiosité à un enterrement esquimau la morte fut enveloppée dans une peau et descendue dans un trou autour duquel sa fille dansa pendant une heure, laissant tomber successivement un couteau, des aiguilles et du fil tiré des nerfs de phoque ; le trou fut fermé, et c'est ainsi que la cérémo- nie s'acheva. Mais Hans et les siens étaient civilisés ». Il existe chez les Esquimaux une coutume horrible celle d'enterrer Blg. 37. - Chien en tenue de campagne. eilCOre vivantes les perSOUlieS doilt la mort semble prochaine. Voici un fait de ce genre le capitaine Hall avait donné des soins à une malheureuse femme, nommée Nuketou; un jour, comme il allait lui rendre visite, il trouva les voisins occupés à lui bâtir un nouvel iglou ». Il questionna les travailleurs et apprit d'eux que cette hutte de neige devait être le tombeau vivant de la malheureuse femme! C'é- tait la coutume, et personne ne songeait à s'y dérober. Quelques jours après, la pauvre Nuketou fut transportée dans l'i- glou. Quatre femmes l'avaient étendue sur nue civière de peau de renne ; elles l'introduisirent par une entrée ménagée à cet effet derrière la hutte, et non par l'entrée ordinaire, qui ne fut ouverte qu'après cette première partie de la cérémonie. Les porteuses pétrirent des blocs de neige et l'ouverture fut bouchée sous la direction de l'une d'elles, restée auprès de la mourante. Lorsque Hall put pénétrer dans Tiglon, il trouva Nuketou calme , résignée et reconnaissante même de tout ce qu'on faisait pour elle. ET LE POLE SUD. S 7 Elle savait que cette hutte devait être son tombeau ; mais avec les idées de sa race, et sentant qu'elle devenait un fardeau pour les autres, qu'au surplus ses jours étaient comptés, elle se résignait, attendant qu'on l'abandonnât à son sort, qu'on la laissât mourir... Ce qui fut fait, Nous constaterons plus d'une fois chez les sauvages cette dureté de Fig. 38. — Un tombeau d'Esquimau. cœur qui les porte à vouer à la mort ceux qui leur sont h charge. Les Esquimaux ne sont pas absolument dépourvus d'idées reli- gieuses ; ils croient à l'existence d'esprits bons et mauvais, mais ils ne semblent pas faire de différence entre eux. Ils vivent sous l'in- fluence de sorciers, qui cumulent les fonctions de prêtre et de médecin. On nomme cet homme précieux un angeko ». En passant des terres polaires de l'Amérique et du Groenland au 88 LE POLE NORD nord de la péninsule Scandinave et de la Russie, nous retrouvons les petits hommes, — après les Esquimaux, les Lapons. Ces hommes, a dit Regnard dans son Voyage de Laponie, sont faits tout autrement que les autres. » — On peut croire qu'ils n'ont pas changé depuis la visite dont les honora notre grand poète comique. La hauteur des plus grands n'excède pas trois coudées ; et je ne vois pas de figure plus propre à faire rire. Ils ont la tête grosse, le visage large et plat, le nez écrasé, les yeux petits, la houche large et Fig. 39. — Derniers restes de funérailles. une barbe épaisse qui leur pend sur l'estomac. Tuus leurs membres sont proportionnés à la petitesse du corps les jambes sont déliées, les bras longs; et toute cette petite machine semble remuer par ressort... Voilà, ajoute Regnard, la description de ce petit animal qu'on appelle Lapon ; et l'on peut dire qu'il n'y en a point, après le singe, qui ap- proche plus de l'homme. » Plus loin, dans sa relation, le poète co- mique dit encore Il est constant que tous les Lapons et les La- ponnes sont extrêmement laids... Leur visage est carré, les joues extrêmement élevées, le reste du visage très étroit, et la bouche se coupe depuis une oreille jusqu'à l'autre. » Les Lapons sont robustes et agiles. Leur teint, d'un brun olivâtre, est rendu plus foncé encore par la fumée dans laquelle ils vivent. ET LE POLE SUD. 80 Chrétiens pour la plupart, ils vivent eu uomades. Cependant il y a, clans le voisinage des Norvégiens et des Suédois, des Lapons qui sont devenus sédentaires ; mais la hutte ronde de ceux-là ressemble étrange- ment à la tente des autres, — avec son ouverture laissée dans le toit pour le passage de la fumée du foyer, avec son revêtement de branches de bouleau et de mottes de gazon. La grande ressource du Lapon est le renne ; chaque famille en pos- sède plusieurs centaines ; moins, ce serait pour elle la misère profonde. Ces animaux sont bien précieux pour eux ils leur fournissent du lait, — dont on fait aussi des fromages ; — leur chair est à peu près la seule viande qu'on mange; le renne sert aussi d'animal de trait et donne ensuite sa peau pour la confection des vêtements, — robes, bottes, gants, — et l'édification des tentes. Ces bottes méritent une description. Très larges et doublées à l'intérieur de menu foin, elles sont sans semelles. Grâce à ces chaussures, il est possible d'aller à travers des terrains accidentés couverts de neige. Les Lapons nomades, qui vivent dans les forêts et auprès des cours d'eau, chassent et pèchent. Ils se servent encore d'arcs et d'arbalètes. Le gibier est très abondant. Il faut noter dans l'alimentation des Lapons l'écorce tendre qui se trouve au sommet des pins ou des bouleaux, trempée dans l'huile ou cuite sous la terre chaude, ou broyée avec des os de poisson, et aussi une sorte de bouillie faite avec du suif et de la farine cette farine, ils l'obtiennent des Russes ou des Suédois par voie d'échange, en donnant des quartiers de viande sèche toujours le renne!, du poisson fumé et des fourrures. C'est encore ainsi qu'ils se procurent le tabac et Teau- de-vie qui leur plaisent tant. Les voyageurs ont signalé depuis lougtemps un fait qui a toutes les apparences du merveilleux dans le voisinage d'un village de Laponie, nommé Ponoï, situé à l'embouchure de la rivière du même nom, sur la côte nord-ouest de la mer Blanche et de la presqu'île de Kola cap Orloff, on trouve une espèce de poussière légère, blanchâtre, assez sem- blable à du talc, laquelle est ramassée par les indigènes et consommée comme aliment. La vérité est que cette nouvelle manne du désert ne se mange pas toute seule, mais mélangée à de la farine ordinaire, et, CONTRÉES .MYSTÉRIEUSES. 12 90 LE POLE NORD. par ce moyeu, convertie en pain. La terre en question forme nue couche importante, épaisse de deux ou trois pieds, sous le sable et l'argile de la rivière Atsche-Ejeka, qui se jette dans la mer Blanche, près de la rivière Ponoï. C'est un silicate de potasse finement pulvérisé. Il pro- vient sans doute des débris d'un lit schisteux que la fonte des neiges ou les pluies amènent dans la vallée de l'Atsche-Bjeka, où ils sont déposés en couche comme la terre à porcelaine. Avec sa vieille pipe et sa goutte de liqueur assurée, le Lapon en- tretient l'incroyable indolence qui lui est naturelle. Ajoutons qu'il se montre aussi crédule et superstitieux qu'il est indolent. Les jeunes femmes possèdent, en Laponie,ce qu'on appelle ailleurs la beauté du diable; mais en vieillissant elles enlaidissent étrange- ment ; au demeurant, épouses fidèles et bonnes mères. On les voit va- quant à de rudes travaux, portant, retenu sur leur dos par une courroie, le berceau et le nourrisson. Les mères sont peu fécondes, et dans ees climats rigoureux la mortalité frappe cruellement les nouveau-nés; Ou peut croire que les enfants qui survivent auront la vie dure; et de fait les Lapons atteignent des âges fort avancés. Reguard nous a donné nue exacte description du traîneau lapon Cette machine, qu'ils appellent pulea, est faite comme un petit canot, élevée sur le devant pour fendre la neige avec plus de facilité. La proue n'est faite que d'une seule planche, et le corps est composé de plusieurs morceaux de bois qui sont cousus ensemble avec un gros fil de rhenne sans qu'il y entre un seul clou, et qui se réunissent sur le devant à un morceau de bois assez fort, qui règne tout du long, par-dessus, et qui, excédant le reste de l'ouvrage, fait le même effet que la quille d'un vaisseau. C'est sur ce morceau de bois que le traîneau glisse ; et comme il n'est large que de quatre bons doigts, cette machine roule continuel- lement de côté et d'autre on se met dedans jusqu'à la moitié du corps, comme dans un cercueil ; et l'on vous y lie, en sorte que vous êtes en- tièrement immobile, et l'on vous laisse seulement l'usage des mains, afin que d'une vous puissiez conduire la rhenne, et de l'autre vous sou- tenir lorsque vous êtes en danger de tomber. Il faut tenir son corps dans l'équilibre ; ce qui fait qu'à moins d'être accoutumé à cette manière de courir, on est souvent en danger de la vie, et principalement lorsque 92 LE POLE NORD le traîneau descend des rochers les plus escarpés sur lesquels vous courez d'une si horrible vitesse qu'il est impossible de se figurer la promptitude de ce mouvement, à moins de l'avoir expérimenté. » Le même voyageur parle aussi de ces longues planches de bois de sapin avec lesquelles les Lapons courent d'une si extraordinaire vi- tesse, qu'il n'est point d'animal, si prompt qu'il puisse être, qu'ils n'at- trapent facilement, lorsque la neige est assez dure pour les soutenir ». Ces planches extrêmement épaisses, dit-il, sont de la longueur de deux aunes et larges d'un demi-pied; elles sont relevées en pointes sur le devant, et percées au milieu dans l'épaisseur, qui est assez considé- rable en cet endroit pour pouvoir y passer un cuir qui tient les pieds fermes et immobiles. Le Lapon qui est dessus tient un long bâton à la main, où, d'un côté, est attaché un rond de bois, afin qu'il n'entre pas dans la neige, et de l'autre un fer pointu. Il se sert de ce bâton pour se donner le premier mouvement, pour se soutenir en courant, pour se conduire dans sa course, et pour s'arrêter quand il veut; c'est aussi avec cette arme qu'il perce les bêtes qu'il poursuit lorsqu'il en est assez près. Les femmes ne sont pas moins adroites que les hommes à se servir de ces planches. Elles vont visiter leurs parents et entreprennent de cette manière les vojrages les plus difficiles et les plus longs. » Le professeur Nilsson croit que la race naine à tête ronde, — dont nous entretenons présentement nos lecteurs, — était, à l'âge de la pierre taillée, plus largement répandue dans le pays qu'elle habite qu'elle ne l'est aujourd'hui ; ce qui ne détruit pas l'opinion que les premiers habi- tants de la Scandinavie appartenaient à une race à tête longue semblable à la race germano-gothique occupant actuellement la péninsule. Nous avons dit que la plupart des Lapons sont chrétiens ; ceux qui sont demeurés païens se livrent à des pratiques mystérieuses. Quelle est leur croyance? Parmi les dieux primitifs des Lapons, Jean Scheffer mentionne le dieu Hysé, dont la fonction est de commander aux ours et aux loups ; le même auteur, dans son chapitre des Cérémonies ma- giques et de la magie des Lapons », fait figurer l'ours, — que les Lapons appellent le seigneur des forêts, — sur le tambour magique, en compa- gnie de Thor, du Christ, du soleil et du serpent, — dieux en ce pays-là, — et de quelques autres animaux, par exemple le loup et le renne. Mais ET LE POLE SUD. cette existence d'un culte des animaux chez les Lapons n'est nullement prouvée. Eu parlant des Samoyèdes, nous avons encore à présenter à nos lec- teurs un peuple d'une taille au-dessous de la moyenne. Ces nomades, riverains de la mer de Kara, sont gros et trapus. Leur teint est d'un Fig. 41. — Répression d'une émeute. jaune brun, leur visage large, avec des yeux petits, un peu obliques, des pommettes saillantes, un nez déprimé, la bouche grande et des lèvres relevées; peu de barbe. Leur tête est rasée, sauf le sommet où ils lais- sent pousser une touffe de cheveux. Les femmes ont parfois dans leur jeunesse une physionomie avenante; leurs cheveux, portés longs, for- ment deux tresses qu'elles laissent tomber sur les épaules. Chez les Samoyèdes, hommes et femmes s'habillent de robes de peaux de renne et de culottes de peau. Les femmes vont la tête et le visage découverts. Elles portent à leurs oreilles des pendants de corail. 94 LE POLE NORD. Leurs robes, ouvertes par devant, sont fixées à la taille au moyen d'une ceinture. Elles n'enlèvent point leurs vêtements pour se coucher. Un mot des habitations ce sont des tentes en peau de renne, sem- blables pour la forme à celles des Lapons. Les Samoyèdes vivent du produit de leur pêche et de leur chasse, s'accommodent fort bien des baleines mortes qui viennent échouer sur leurs rivages, et ont un goût très prononcé pour les liqueurs fortes. Ils se servent de traîneaux longs et légers attelés de rennes ou de chiens. Ils possèdent des troupeaux de rennes assez nombreux. Après un naufrage mémorable, le lieutenant Krusenstern et ses compagnons d'infortune, abordant aux rives de la mer de Kara sur un glaçon, furent secourus par un Samoyède qui était propriétaire de plus de mille de ces animaux. Chez ce peuple, la femme occupe une très humble condition ; elle est la servante de son mari, ne mange pas avec lui, et doit se contenter de ses restes. On devine que tous les gros ouvrages de la c sant le détroit sur la glace solide encore, se répandent sur les diverses îles du labyrinthe polaire. C'est ainsi que les rennes s'avancent jus- qu'au 80e degré de latitude. Les oiseaux dépassent de plusieurs degrés cette limite, et s'en vont par vols épais faire leur ponte annuelle sur les rochers des îles les plus septentrionales, comme s'ils étaient sûrs de trouver sous le pôle un climat plus doux, des eaux libres, des terres moins froides, que leur instinct leur fait deviner. Fig. 59. — Baie de IMville. Un fait certain encore, c'est que la vie animale, qui avait fait défaut à l'expédition dans le sud, apparut d'une manière saisissante » à Morton et à son guide esquimau , lorsqu'ils eurent atteint le littoral de la mer libre. Là, l'eider, le canard royal, l'oie de Brent, étaient si nombreux que les voyageurs en abattaient deux d'un seul coup de fusil. L'oie de Brent, dit le docteur Kane, est bien connue du voya- geur polaire comme un oiseau émigrant du continent américain. Ainsi que ceux de la même famille, cet oiseau se nourrit de matières végé- tales, généralement de plautes marines avec les mollusques qui y adhèrent. Il est rarement vu dans l'intérieur des terres, et ses habi- 130 LE POLE NORD tudes en font un indice de la présence de l'eau... Les rochers étaient couverts d'hirondelles de mer, oiseaux qui ne vivent qu'auprès d'une eau libre, et qui y étaient déjà au moment de la ponte... Tous ces oi- seaux occupaient les premiers milles du canal Kennedy ; c'est le nom que prend vers sa fin le détroit de Smith depuis le commencement de l'eau libre; mais plus au nord, ils étaient remplacées par des oiseaux nageurs. Les mouettes étaient représentées par quatre espèces au moius. » Un peu plus avant, Morton remarqua le pétrel arctique, oiseau Fig. 60. — Cap York, daiis la baie de Melville. qui n'avait pas été vu depuis que l'expédition avait quitté les parages fréquentés par les baleiniers anglais, à plus de 200 milles au sud. Le docteur Kane fait remarquer que la nourriture du pétrel, essentielle- ment marine, consiste surtout en petits poissons nommés acalèphes, et il ajoute Il s'attroupe rarement , excepté dans les parages fré- quentés par les baleines et les plus grands animaux de l'Océan ». Sur les bords de la mer libre, des troupes de ces pétrels se balançaient au-dessus de la crête des vagues, comme le font les représentants de la même espèce dans les climats plus doux... Il est impossible, en rap- pelant les faits relatifs à la découverte d'une mer libre, — la neige fondue sur les rochers, les bandes d'oiseaux marins, la végétation de- ET LE POLE SUD. 137 venant de plus en plus abondante, l'élévation du thermomètre dans l'eau, — de ne pas être frappé de l'existence probable d'un climat plus doux vers le pôle. » Morton constata que les rivages n'étaient pas privés de toute végé- tation ; elle s'y montrait relativement active ; plusieurs espèces de fleurs, lychnis, hespéris, joubarbe, etc., s'épanouissaient à la lumière... La vie Fig. Cl. — Cap Alexandre. semblait réellement renaître sous ces latitudes qui se rapprochaient du pôle. Ce n'était pas la première fois, — nous l'avons dit, — que des navi- gateurs apercevaient des eaux navigables au nord des détroits où ils s'étaient engagés. Plusieurs déjà avaient cru trouver la fameuse mer, objet de tant d'aspirations. Aussi les conclusions du docteur Kane fu- rent-elles timides. Rappelant les prétendues découvertes faites par ses prédécesseurs, toutes, disait-il, ont été illusoires, bien que notées avec une parfaite CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 18 138 LE POLE NORD. bonne foi et plusieurs peuvent penser que mon observation , quoique faite sur une plus grande échelle, doit se ranger dans la même caté- gorie. Mais la mer que je me suis hasardé à appeler libre », a été suivie pendant nombre de milles le long de la côte , et vue d'une élé- vation de 480 pieds, sans limite à l'horizon et sans glaces à la sur- face, — mer véritable se soulevant et se brisant contre les rochers du rivage. » Tel était l'état de la question lorsque le docteur Hayes entreprit un nouveau voyage aux mêmes lieux. Le plan de l'entreprise qu'il a exécutée en 1860, Hayes l'avait formé à l'époque où il faisait partie, en qualité de chirurgien, de l'expédition de son compatriote Kane. Dans ce premier voyage, c'est lui qui avait découvert la terre de Grinnell, faisant face, dans le détroit de Smith, au littoral d'où Morton a signalé une mer libre. Il espérait ouvrir assez loin parmi les glaçons une route à son navire, puis, à l'aide des chiens indigènes, transporter sur la banquise un canot, et enfin, si pareille fortune » lui était réservée, se lancer dans la mer libre, pour continuer sa route vers le nord. » . Convaincu, disait le docteur Hayes, que l'Océan ne peut être gelé autour du pôle nord, qu'une vaste mer libre, dont l'étendue varie selon les saisons, se trouve encadrée dans la formidable ceinture de glaces qui a défié tant d'au- dacieux assauts, je désirais ajouter encore aux preuves accumulées à cet égard, d'abord par les anciens navigateurs hollandais et anglais, plus tard par Scoresby, Wrangel, Parry, Kane. » Le docteur Hayes retrouva ces eaux libres, — du moins à ce qu'il a prétendu, — et il les contempla d'un autre point du littoral de cet océan présumé. Parti le 4 avril 1861, en traîneau, il s'avança bien près du 82e degré. Le 18 mai, après une pénible marche de quarante-six jours il arrivait à la baie de lady Franklin. Là, il escalada une pente escarpée et se hissa sur une saillie de rochers à huit cents pieds environ au-dessus de la mer. 0 bonheur! au-dessous, la mer étalait sa nappe immense, bigarrée de taches blanches ou sombres, ces dernières indiquant les endroits où la glace était presque détruite, ou avait entièrement dis- paru ; au large, ces taches devenaient plus foncées et plus nombreuses, 140 LE POLE NORD jusqu'à ce que, formant une bande d'un bleu noirâtre, elles se confon- dissent avec la zone du ciel où se reflétaient leurs eaux. Les vieux et durs champs de glace dont les moins grands mesuraient à peine moins d'un kilomètre, et les rampes massives et les débris amoncelés qui en marquaient les bords, étaient les seules parties de cette vaste éten- due qui conservassent encore la blancheur et la solidité de l'hiver. » Tout me le démontrait, ajoute le docteur Hayes, j'avais atteint les rivages du bassin polaire, l'Océan dormait âmes pieds! Terminée par le promontoire qui, là-bas, se dessinait sur l'horizon, cette terre que je foulais était une grande saillie se projetant au nord, comme le Séverro Vostochnoï, hors de la côte opposée de Sibérie. Le petit ourlet de glace qui bordait les rives s'usait rapidement. Avant un mois la mer entière, aussi libre de glaces que les eaux du nord de la baie de Baffin, ne serait obstruée que par quelque banquise flottante, errant çà et là au gré des courants et de la tempête. » L'approche du printemps, le dégel rapide, obligeaient le docteur Hayes à revenir en arrière pour ne pas compromettre son retour aux côtes groënlandaises. Son but était, du reste, atteint. Il avait pu hisser ses pavillons sur le point le plus septentrional où l'on fût par- venu jusqu'alors dans ces régions, et ce point était justement baigné par un océan inconnu... Mais le navigateur quittait avec peine ces lieux. Ils exerçaient sur lui une fascination puissante Notre proximité de l'axe du globe, a-t-il écrit dans sa relation, la certitude que de nos pieds nous tou- chions une mer placée bien au delà des limites des découvertes précé- dentes, les pensées qui me traversaient l'esprit en contemplant cette vaste mer qui s'étendait devant nous, l'idée que peut-être ces eaux ceintes de glaces baignent les rivages d'îles lointaines où vivent des êtres d'une race inconnue, tout cela paraissait donner je ne sais quoi de mystérieux à l'air même que nous respirions ; tout cela excitait notre curiosité et fortifiait ma résolution de me lancer sur cet océan et d'en reconnaître les limites les plus reculées. Je me rappelais toutes les générations de braves marins, qui, par les glaces, et malgré les glaces, ont voulu atteindre cette mer, et il me semblait que les es- prits de ces hommes héroïques, dont l'expérience m'a guidé jusqu'ici, ET LE POLE SUD. 141 descendaient sur moi pour m'encourager encore. Je touchais pour ainsi dire la grande et notable chose » qui avait inspiré le zèle du hardi Frobisher j'avais accompli le rêve de l'incomparable Parry! » Kane et Hayes ont proclamé leur découverte. L'un et l'autre ont publié, de leurs voyages, des relations qui ont été lues avec avidité. Le docteur Hayes n'a pas hésité à intituler son livre La Mer libre du pôle. Et cependant le doute est loin d'être dissipé. Ces eaux navigables peuvent-elles conduire jusqu'au pôle boréal? Sont-elles exemptes de glaces en tous temps? Occupent-elles le pôle lui-même, ou baignent- Fig. C3. — Dernière étape vers le Nord. elles un continent polaire auquel elles permettraient d'atteindre aisé- ment? Est-il possible, enfin, dans l'état de la science nautique, de dépasser le pôle sur ces eaux , pour revenir par un autre hémisphère dans le monde connu? En d'autres termes, le détroit qui sépare l'Asie et l'Amérique offrirait-il une issue à un navire qui, entré dans les régions arctiques entre l'Amérique et l'Europe, aurait atteint et dé- passé le pôle? Pour savoir définitivement à quoi s'en tenir sur ces divers points, Petermann en Allemagne, le capitaine Osborn en Angleterre, Gus- tave Lambert en France , étudièrent, préparèrent ou entreprirent même comme l'a fait Aug. Petermann de nouvelles expéditions qui de- vaient surpasser en hardiesse toutes celles successivement tentées par tant de navigateurs audacieux. 142 LE POLE NORD On connaît la fin du capitaine Lambert, tué pendant le siège de Paris ; après sa mort, l'hypothèse d'une mer libre au pôle nord a été à peu près abandonnée. Mais d'une manière générale les programmes scientifiques des expéditions futures se sont enrichis. Les exigences se multiplient les courants aériens et maritimes, la température de l'eau et de l'air, la pression atmosphérique et les marées, les variations de la pesanteur, celles de la direction et de l'in- tensité des forces magnétiques, les causes des aurores horéales, la formation et le développement des glaciers, et d'autres importantes lois de la physique du globe, constituent un ensemble de données encore assez confuses, qui ne peuvent que gagner à être étudiées sur place. Après la découverte réelle ou illusoire de Kane, confirmée pourtant par Hayes, d'autres expéditions se formèrent pour aller contrôler leurs assertions. Les principales sont celle du Tegethqff et celle du Polaris, signalées par tant d'incidents dramatiques, puis en 1875 l'ex- pédition entreprise avec YAlert et la Discovery sous le commandement du capitaine Nares et les lieutenants Marhham, Aldrich et Beaumont. Le capitaine Nares affirma n'avoir trouvé qu'un océan couvert de glaces éternelles, — des hummocks, — à l'endroit où Kane et Hayes avaient vu une mer libre et ouverte... Lui et ses officiers ont reconnu que le rivage, à la sortie du détroit de Robeson, fuyait d'un côté vers l'est, de l'autre vers l'ouest; mais devant eux se déployait au lieu de cette mer libre depuis si longtemps cherchée et vue par Kane et Morton ainsi que par Hayes, une immense étendue, rigide et blanche agglomération d'énormes banquises sécu- laires, incessamment accrues par les neiges d'innombrables hivers, et ayant de quatre-vingts à cent pieds d'épaisseur. Ce plancher de glace inégal, montueux, impraticable, pressait la côte du Groënland et, aussi loin que le lieutenant Aldrich put aller, le littoral de la terre de Grant; au nord, le lieutenant Markham en reconnut la continuité jusqu'au delà du 83° degré. Cette mer congelée a reçu le nom de Pa- léocnjstique, à cause de l'antiquité de ses glaces. L'œil exercé du physicien a reconnu à ces glaces le caractère qui appartient aux neiges accumulées depuis des siècles sur les hauts ET LE POLE SUD. 143 sommets des Andes ou de l'Himalaya. La surface semble se renouveler tous les ans, car elle paraît usée, tourmentée par l'action des étés ; mais cette action dissolvante n'atteint point la masse indestructible qui encombre ce bassin. On ne peut admettre la supposition d'une supercherie de la part de Kane et de Hayes ; ce qu'ils ont dit avoir vu ils l'ont vu réellement. Cela étant, n'est-on pas tenu de s'efforcer de concilier les deux opinions? La bonne foi des deux explorateurs américains admise, il est permis de croire que cet encombrement signalé par le capitaine Nares, tout en étant formé de glaces éternelles, a pu être produit par quelque mou- vement des eaux, par une cause accidentelle, et qu'un autre accident peut disperser les bummocks de la prétendue mer Paléocrystique. Les futures explorations donneront sans doute le mot de cette énigme. Quoi qu'il en soit, à l'heure présente, il est loisible à chacun d'ac- cepter sans réserve les affirmations du capitaine Nares et de ses lieu- tenants, ou de les rejeter en s'en tenant au contraire aux révélations de Kane et de Hayes touchant la mer libre. Petermann a soutenu l'existence de la mer libre ; M. Nordenskiôld, dont on ne contestera certes point la compétence, a donné aussi son avis sur cette question. Il affirme que s'il y a une terre à l'axe du globe, elle est improductive, même inabordable, et que s'il existe une mer, elle est gelée et impénétrable. En présence de ces divergences, il s'est produit ce fait curieux que sur certaines cartes on voit tracée la mer polaire de Kane à l'extrémité du canal Robeson, — qui fait suite au canal Kennedy ; — sur d'autres cartes, au même lieu, sous la même latitude on trouve indiqué l'océan Paléocrystique de Nares, avec sa banquise épaisse, formée de glaçons bouleversés. Nous avons nommé le Polaris. Qu'il nous soit permis, pour donner un exemple saisissant de la théorie des courants, de raconter les ter- ribles péripéties de cette aventure des mers boréales il s'agit de quel- ques hommes de l'équipage de ce navire, qui endurèrent pendant plus de six mois le supplice de se trouver abandonnés, en plein Océan arc- tique, sur un glaçon en dérive. 144 LE POLE NORD Le capitaine Georges Tyson, compagnon de l'infortuné Hall, — mort à la veille peut-être de résoudre le grand problème de la découverte du pôle, — Tyson se réfugia avec quelques matelots et quelques Esquimaux sur un glaçon entraîné par les courants et qui fondait peu à peu sous les effluves des vents du sud. Voici comment la séparation d'avec le Polaris avait eu lieu Un peu au-dessus du 80e degré, ce navire pris dans les glaces se mit à dériver ; délivré de sa ceinture, il fut repris par les glaces et dériva de nouveau vers le sud. Le 15 octobre, au milieu d'une tempête, un cri d'alarme se fit entendre Une voie d'eau ! » En peu de temps, tout le monde fut sur la glace. On y transporta la baleinière, les bateaux, les kayaks, des armes, des vivres, tout ce qu'on pouvait sauver. C'était une fausse alerte ; la voie d'eau n'existait pas. On remettait donc tout en ordre lorsque soudain la glace se brise avec fracas et le capitaine Tyson ainsi que plusieurs hommes de l'é- quipage se trouvent séparés du Polaris. George Tyson avait autour de lui dix matelots et tous les Esquimaux du bord. En tout, dix-huit per- sonnes , dont deux femmes et cinq enfants, un de ces enfants encore à la mamelle. Le Polaris restait en vue ; mais les naufragés n'avaient ni rames ni gouvernail, et ils demeuraient paralysés. Plus tard Tyson apprit que rames et gouvernail avaient été cachés par des matelots allemands qui, se voyant séparés du navire , voulaient tenter l'aventure du glaçon ils savaient que deux ans auparavant des matelots de leur pays étaient demeurés pendant plusieurs mois à l'est du Groenland sur un glaçon en dérive et qu'à leur rentrée en Allemagne ils avaient reçu du roi Guillaume une double paye; l'appât d'une ré- compense incertaine les poussait donc à s'exposer, eux et leurs com- pagnons, à d'immenses périls ; car il est à peine croyable qu'ils en soient sortis. Tyson et ses compagnons restèrent six mois et demi sur un radeau de glace, épuisés par le froid qui était de 40 et 50 degrés, dévorés par la faim ils avaient gaspillé les provisions, vivant des phoques que pé- chaient les Esquimaux Joë et Hans, d'un ours qu'ils avaient eu la chance de tuer. Un jour le glaçon s'émiette, il faut passer sur un autre glaçon. Les malheureux s'abritaient comme ils pouvaient sous des ET LE POLE SUD. 145 huttes de neige, en proie à tontes sortes de souffrances. Tyson fut sou- tenu par le dévouement sans bornes des Esquimaux, dont les Alle- mands indisciplinés avaient tout d'abord juré la perte. Dans ces conjonctures Noël arrive. Au milieu de ces épreuves, l'âme de Tyson, de cet ancien harponneur, s'est élevée, son langage même Fig. 64. — Hivernage du Polai is. s'ennoblit La Noël! écrit-il avec attendrissement dans son livre de bord, tout le monde chrétien célèbre la naissance du Sauveur; nous ferons comme les autres. Un peu de joie pénétrera encore une fois dans notre monde de glace, de froid, d'orages, de faim et de ténèbres. Nous sentons bien que Dieu ne nous a pas abandonnés, nous sommes encore ses enfants, il veille sur nous aussi bien que sur ceux qui habi- tent les villes et les plus somptueuses demeures. » Tyson tenait en ré- serve un dernier jambon, il le sortit de sa cachette. Chaque homme en CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 19 146 LE POLE NORD eut un morceau gelé, avec deux biscuits et quelques pommes tapées; le saug d'un phoque fournit la boisson. La nuit continuelle des régions polaires aggravait les maux et aug- mentait l'irritation de tous ; Tyson craignit plus d'une fois une révolte, une collision sanglante. Enfin le soleil reparut et le froid diminua. Mais alors survint un autre danger le glaçon sur lequel les marins du Polaris étaient réfugiés se désagrégea, et le 2 avril il se brisa en mor- ceaux ; heureusement il leur restait une embarcation grâce à laquelle on transborda tout le monde sur un autre glaçon. Enfin, le 28 avril, un bateau à vapeur passe au loin en vue des nau- fragés. Le 29 ils en voient un autre. Celui-là, à n'en pas douter, se dirige de leur côté ; ils crient, ils tirent des coups de fusil, enfin ils sont aperçus. Ce navire libérateur était le baleinier à vapeur la Tigresse. Quelle joie! quelles actions de grâces! Le 5 mai 1873, dit Tyson, le dimanche, nous entendîmes le service divin que le capitaine lut à haute voix à son équipage qui l'écoutait avec respect. Il y avait pour moi un délicieux rafraîchissement de l'âme à entendre de nouveau ces vieilles et grandes prières de l'Eglise. » Nous arrivons à l'examen des observations physiques recueillies par les explorateurs, et qui servent de base aux théories sur lesquelles s'é- difient toutes les entreprises qu'on pourra projeter. Ces observations portent sur le plus ou moins d'intensité du froid et sur la chaleur que donne le soleil ; sur les courants et particulièrement sur le courant nommé gulf-stream. Il paraît démontré que les pôles ne sont pas les points les plus froids du globe. En ce qui concerne le pôle arctique, des observations ther- mométriques déterminent deux et même trois pôles du froid situés, croit-on, daus le nord du Groenland, près de la Nouvelle-Zemble, et dans les environs du détroit de Behring. Ces positions varient, du reste, suivant les saisons. Mais ce qui est significatif, c'est que le froid ne va pas en augmentant à mesure qu'on s'achemine vers le nord. Les natu- rels de la baie de Baffin donnent aux régions situées au sud le nom de pays des glaces et des neiges », et la moyenne de température notée par les navigateurs est tout à l'avantage des latitudes les plus septeu- ET LE POLE SUD. 147 trionales. Les animaux, ou l'a vu dans ce qui précède, vout, à l'approche de l'hiver, y chercher un climat moins âpre, et ou sait que leur instinct est infaillible. Les rennes s'avancent jusqu'au 80e degré, les oiseaux le dépassent oies sauvages, mouettes, eider-ducks, émigrent par bandes et c'est dans les rochers des îles du nord qu'ils vont faire leur ponte annuelle. A mesure, aussi, que l'on s'avauce plus près du pôle, la deusité de l'air diminue. Diverses explications de ce fait ont été données. Le Com- modore Maury attribue les causes de cette raréfaction de l'air et la direction moyenne des vents vers le nord au dégagement des vapeurs produites par l'émersion d'un puissant courant sous-marin, capable de faire affluer au pôle des eaux d'une température élevée. Lorsque le vent souffle du nord, — et c'est sa direction constante au printemps, — l'atmosphère s'adoucit beaucoup. Ces vents favorisent le dégel et viennent donner aux régions arctiques quelques beaux jours. Il est impossible de ne pas admettre qu'ils se sont échauffés par leur passage au-dessus de terres ou d'eaux d'une température sensiblement plus élevée que celle des régions polaires moins septentrionales. L'encombremeut des mers par la glace provieut de la congélation de leurs eaux, de la neige qui tombe eu abondance dès la fin d'août et des masses qui se détachent des glaciers du rivage. L'eau se congèle ou se transforme en un corps solide à la température de zéro, quand elle est calme et pure. Chargée de sel, elle ne se fige qu'à des températures infé- rieures, qui peuvent même aller jusqu'à 15 degrés au-dessous de zéro dans l'extrême saturation. Pendant l'hiver les champs de glace que le dégel a disloqués, mais n'a pu faire disparaître totalement, sont res- soudés entre eux par la glace nouvelle. C'est la glace de formation ré- cente qui, chaque année, cède la première sous les influences du soleil et des courants tempérés. On peut admettre, a dit le docteur Hayes, que la surface seule de l'eau se réfrigère assez pour se changer en glace ; et que, lorsqu'elle est agitée par les vents les particules refroidies au contact de l'air se mêlent dans le roulis des vagues, avec les eaux plus chaudes des couches infé- rieures. Aussi la glace ne se forme-t-elle que dans les endroits abrités, dans les baies, où le fond est assez élevé et le courant assez peu actif 148 LE POLE NORD. pour ne mettre aucun obstacle à l'action de la température extérieure, ou bien encore, lorsque l'atmosphère est uniformément calme, circons- tance assez rare du reste, les vents se déchaînant avec autant de vio- lence sur la mer polaire que dans toute autre région du globe. Les glaces ne peuvent donc couvrir qu'une petite partie de l'Océan arctique et n'existent que dans les lieux où la terre les protège et les entretient. La banquise s'attache aux côtes de Sibérie , et, franchissant le détroit de Behring, elle presse les rivages de l'Amérique, engorge les canaux étroits de l'archipel de Parry, par où les eaux polaires s'écoulent dans la baie de Baffin, traverse cette mer, suit les bords du Groenland, at- teint ceux du Spitzberg et de la Nouvelle-Zemble, investissant ainsi le pôle d'un rempart continu de glaces adhérentes à la terre, plus ou moins disloquées en hiver comme en été, et dont les débris, flottant çà et là, sans laisser jamais entre eux de passes bien étendues, forment une barrière que n'ont pas encore pu forcer toute la science et l'énergie de l'homme. » Quelle peut être l'action du soleil sur la glace pendant cette longue journée de l'été durant laquelle il reste au-dessus de l'horizon? On l'a, croyons-nous, exagérée, en affirmant qu'elle a assez de puissance pour produire la fusion des masses glacées amoncelées par les hivers. Des physiciens qui ont étudié avec soin les lois de l'insolation, semblent trop compter sur ses effets bienfaisants. On leur a objecté, avec raison, que des champs de glace d'une très grande épaisseur ne peuvent être sensiblement influencés par l'action du soleil ; que si la Polynia des Pusses eu particulier n'a d'autre existence que par l'application de ces lois, certaines parties des mers polaires devraient jouir du même bé- néfice et offrir aussi de grands espaces d'eau libre, attendu que le so- leil a une action égale partout. Bien plus, au nord des continents d'Asie et d'Amérique, les glaces sont maintenues immobiles ; la banquise pré- sente partout aux navigateurs un obstacle impénétrable ; tandis qu'au nord du Spitzberg et à l'est du Groenland, les courants, par leur direc- tion constante vers le sud, facilitent puissamment la dérive des glaces. Le commodore Maury, — qui s'est montré fermement partisan d'une mer libre au pôle, — explique ainsi qu'il suit le phénomène dont nous parlons m m 150 LE POLE NORD Indépendamment, dit-il, de la dérive générale des glaces vers le sud, ce que les baleiniers nomment la glace du milieu middle-ice, dans la baie de Baffin, prouve qu'il y a chaque hiver une dérive spéciale de glaces qui descendent de l'océan arctique. La glace du milieu est la dernière qui cède à la chaleur de l'été, parce que, venant du nord, elle est pins compacte que les glaces formées des deux côtés du littoral, dans la baie de Baffin et le détroit de Davis. Cette bande de glaces, longue de mille milles environ 300 lieues, qui, l'hiver, descend du nord, doit être séparée d'une masse principale ; il y a donc de l'eau qui la transporte et cette eau libre, beaucoup d'autres raisons nous engagent à le croire, ne doit pas être éloignée de l'extrémité nord des détroits qui conduisent de la baie de Baffin à la mer polaire. » Qu'on nous permette de dire quelques mots des courants. Les inégalités de température observées dans les régions arctiques trouvent une explication plausible dans la présence ou l'absence d'un courant froid et d'un courant chaud. L'existence de ces courants est un fait incontestable. L'un, divisé en deux branches principales, monte au nord c'est le courant chaud. L'autre descend du pôle et ses eaux sont à une température extrêmement basse. Lorsque William Barentz cher- chait, au seizième siècle, un passage au nord de l'Asie pour aller aux Indes, il fut très surpris, étant à la Nouvelle-Zemble, de voir, au com- mencement de l'hiver, les glaces se détacher du littoral et dériver vers le nord. Yoilà une preuve de l'action des courants. Les voyages modernes en fournissent une autre l'un des bâtiments de l'escadre de sir Ed. Belcher, la Resolute, abandonné en mai 1854, près de l'île Byam-Martin, tout à fait au nord du labyrinthe formé par les nombreuses terres arctiques situées au delà de la mer de Baffin, fut rencontré au printemps suivant dans les eaux du Canada, en parfait état de conservation. Cette théorie des courants de la mer, si largement étu- diée en ce siècle, et qui doit tant au commodore Maury, est aujourd'hui assez certaine pour qu'on puisse admirer dans le tableau d'une double circulation de l'Océan, l'une des lois les plus merveilleuses de la cons- titution physique du globe. Une puissante artère va porter les eaux de la zone tropicale au pôle glacé c'est le gulf-stream. En retour, par le détroit de Davis, un cou- ET LE POLE SUD. 151 vaut hyperboréen, s'alimentant à de puissantes sources, descend du pôle et vient rafraîchir l'Atlantique. Aux eaux des grands fleuves asiatiques et américains, suspendus en hiver et qui reprennent leur cours quand le dégel arrive, se mêlent les fontes de neiges abondamment produites par les vapeurs atmosphériques sans cesse en voie de précipitation sous l'influence du froid. Il y a cette différence entre les courants chauds et le courant glacé, que l'action des premiers est permanente, tandis que celle de l'autre a lieu périodiquement à la fin de chaque hiver. Fig. 66. — Embarquement de l'expédition île Barcntz. Il est permis de supposer que la majeure partie des eaux du courant chaud ne se refroidit pas jusqu'au point de congélation, et que, dans les profondeurs du bassin polaire , une masse énorme d'eau tempérée doit fournir à la région qu'elle occupe une chaleur bien plus élevée que celle qui lui serait propre. Les eaux du gulf-stream, dont la température ini- tiale est de 30 degrés au-dessus de zéro, doivent conserver, en arrivant au point où elles émergent et s'arrêtent un moment, une chaleur d'au moins 0 degré centigrade. Mais quel est ce courant assez puissant pour porter jusqu'au pôle la chaleur et la vie? Le commodore Maury l'a ainsi décrit dans sa Géogra- 152 LE POLE NORD phie physique Le volume des eaux de ce courant reste invariable... Il n'a pas moins de 3,000 pieds de profondeur et 60,000 de largeur ; sa vitesse dans les détroits de la Floride est de 4 milles à l'heure... Si la chaleur transportée par ce prodigieux courant pouvait être utilisée, elle serait suffisante pour maintenir en constante activité un fourneau cy- elopéen, capable de donner un courant de fer fondu d'un volume égal à celui du pins grand fleuve... La vie pullule dans les tièdes eaux du gulf- stream, qui portent jusque sur nos rivières des milliers d'animalcules phosphorescents. Aussi, dans les nuits orageuses, le grand courant appa- raît-il lumineux sur la sombre mer, y traçant comme une voie lactée, plus étincelante que celle qui éclaire la voûte céleste... Le gulf-stream est un fleuve au milieu de l'Océan le volume de ses eaux est à lui seul plus considérable que celui de tous les fleuves du globe réunis. Son lit et ses rives sont d'eau froide, sa couleur est d'un bleu sombre et aisé- ment on le distingue des eaux qui le bordent. » En effet, dans certains parages la ligue de séparation des rives du fleuve est si nettement tranchée qu'on peut voir, à mer calme, les eaux bleues du courant jaillir sous l'avant d'un navire, tandis que l'arrière est encore dans les eaux vertes de la mei\Sa surface même, enflée dans son milieu, s'élève au-dessus du niveau des eaux environnantes. Plusieurs théories expliquent la marche du gulf-stream. Voici la plus accréditée. Les eaux glacées des régions du pôle austral sont sans cesse déversées dans l'Océan et forment un courant qui vient se heurter contre la côte ouest de l'Amérique méridionale. Il longe le littoral du Chili et du Pérou, puis s'infléchit dans une direction occidentale à travers l'océan Pacifique. Il baigne alors l'Australie, pénètre dans la mer des Indes, dépasse le cap de Bonne-Espérance , et, traversant l'Atlantique, entre dans le golfe du Mexique. La circulation du courant, un moment ralentie, prend une énergie nouvelle par la pression qu'il éj^rouve dans les limites étroites où il se trouve enserré. Quand il rentre dans l'Atlantique, le gulf-stream poursuit sa route vers le nord, longe les côtes occidentales des deux Bretagnes, de l'Irlande et de la Norvège, dotant les rivages qu'il baigne d'un climat plus doux que celui des mêmes latitudes. Entre le Spitzberg et la Nouvelle-Zemble, le gulf-stream rencontre les eaux glacées qui ET LE POLE SUD. 153 descendent du pôle et il se divise en deux branches dont l'une con- tourne le cap Nord, et l'autre, prenant une direction pins boréale, va baigner la côte ouest du Spitzberg. C'est grâce à l'influence du gulf-stream que certaines régions arc- tiques jouissent de températures plus élevées que celles de leur lati- tude. C'est ainsi que l'hiver est relativement fort doux aux îles Bear ou Cherry; qu'il y pleut même au mois de décembre, taudis que, sous Fig. 67. — Icebergs à la dérive. le même parallèle, à l'île Melville, par exemple, le mercure reste gelé pendant plusieurs mois. La température de la mer sur les côtes du Spitzberg n'est inférieure, à profondeur égale, que d'un demi-degré à celle des eaux qui baignent les Antilles, tandis que sur le littoral du Labrador, qui est longé par le courant glacé descendant du nord, le refroidissement de l'eau est de 4 degrés au-dessous de zéro. Les navigateurs, on le sait, rencontrent de grandes montagnes de glace sur les côtes du Groenland et du Labrador. Telle de ces mon- tagnes a un volume de plusieurs millions de pieds cubes et atteindrait une hauteur de mille pieds au-dessus du niveau du sol. La cause pre- CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 2U 154 LE POLE NORD. mière de la formation de ces montagnes de glace se rattache à l'exis- tence des prodigieux glaciers qui, sur les côtes du Groenland, des- cendent jusque dans la mer. Cependant les blocs qui se détachent des glaciers ne forment que le noyau des icebergs un bloc détaché plonge par sa base jusque dans une couche d'eau refroidie au-dessous du point de congélation, et, par ce contact avec de la glace toute faite, l'eau passe à l'état solide. Le bloc ne cesse de s'accroître ainsi dans sa course vagabonde et finit par devenir une de ces monstrueuses mon- tagnes de glace qui épouvantent les navigateurs dans l'océan Atlan- tique , jusque sous une latitude très avancée vers le sud. Le Spitzberg, bien qu'il possède aussi d'énormes glaciers, ne nous offre jamais de montagnes de glace qui se puissent comparer même de loin à celles du Groenland. C'est que les côtes du Spitzberg sont baignées jusqu'à une latitude de 80 degrés par les eaux encore tièdes du gulf-stream , et non point, comme les côtes du Groenland, par un courant froid originaire du nord. De là vient que l'on ne rencontre pas souvent dans les mers qui entourent le Spitzberg une couche d'eau très froide, et les noyaux qui se détachent des glaciers ne tombent point dans un milieu favorable à leur accroissement. Le gulf-stream atteint-il comme limite extrême de sa course le pôle boréal? C'est ce que les observations qui précèdent permettent de supposer. Mais enfin la vérification de cette hypothèse probable n'a pas encore été faite. On n'est pas fixé non plus sur l'importance du courant chaud du grand Océan qui , remontant le long des côtes orien- tales du Japon, franchit l'étroit espace qui sépare l'Asie et l'Amérique. Les uns pensent qu'arrivé air détroit de Behring après s'être brisé sur la chaîne des îles Aléoutiennes, il ne porte à travers le détroit qu'un volume d'eau très diminué. D'autres croient, au contraire, que franchissant plein de force le détroit, il n'est pas même arrêté par les glaces, qu'il plonge et disparaît sous leur voûte épaisse, et que s'infléchissant de plus en plus à l'est, il va mêler ses eaux refroidies au grand courant de surface qui descend par le détroit de Davis dans les latitudes méridionales. Il appartient aux futurs explorateurs de fixer la valeur de ces données. VI. Les anciennes et les futures explorations. — Les trois routes du pôle. — Le détroit de Smith, — Le détroit de Behring. — Entre le Groenland et la Nouvelle-Zemble. — L'expédition allemande. — Le capitaine Nares. — L'expédition autrichienne. — Les projets de Gustave Lambert. — Coup d'œil rétrospectif. — Wrarigel et sa mer libre. — Avenir des expéditions futures. — Création de stations fixes pour le ravitaillement des navires. — Expédition du lieutenant Sclnvatka. Les voyages de Kane, de Hayes, du capitaine Nares, au nord du détroit de Smith, de Weyprecht et Jules Payer dans les eaux de la Nouvelle-Zemble, ont prodigieusement agrandi nos connaissances sur la configuration des terres et des mers arctiques situées au nord de la mer de Baffin, c'est-à-dire aux limites extrêmes du continent amé- ricain, et au nord de l'Europe. Dans l'autre hémisphère, un de leurs émules, le capitaine américain Long, commandant le baleinier le Nil, entré par le détroit de Behring dans l'océan Glacial, au mois d'août 1807, prétend avoir reconnu, à environ soixante- dix milles au nord du cap Yakan, une vaste terre couverte de verdure où se jouaient des morses et des phoques ». L'amiral Kellet fut le premier homme blanc qui vit cette terre, — en 1849. Le capitaine Long avait recommandé instamment le choix du détroit de Behring pour une expédition au pôle. Cette voie a été suivie par l'expédition envoyée par sir Gordon Bennet dans les mers arctiques. La Jeannette dont l'objectif principal était la terre de Wran- gel ou celle de Kellet n'a pas réussi dans son entreprise. On se rappelle que ce navire, broyé dans les glaces, a été abandonné par son équipage, dont une partie a péri misérablement sur les côtes de la Sibérie. Enfin, une troisième route, celle qui pourrait permettre de s'élever 156 LE POLE NORD. au nord dans le large espace qui s'étend entre le Groenland et la Nou- velle-Zemble, a été aussi étudiée par Auguste Petermann. Longtemps, le savant géographe allemand médita l'exécution de ce voyage. Il s'était décidé pour la voie du Spitzberg, en se fondant surtout sur la tentative faite en 1827 par le capitaine Parry, tentative qui fit con- cevoir tant d'espérances sur la solution de la question dont nous nous occupons. La pointe la plus avancée du Spitzberg vers le pôle, le cap Hakluyt, n'est qu'à 600 milles environ du pôle. L'expédition allemande partit de Bergen, en Norvège, au mois de mai de l'année 1869. Le navire la Germania était un bâtiment à vapeur jaugeant 90 ton- neaux, ayant un équipage composé d'une quinzaine de marins brêmois. Ce n'est certes pas le manque de prévoyance qui a fait échouer l'en- treprise tout avait été sagement administré. Mais cette année-là, les parages du Spitzberg et du Groenland se montrèrent exceptionnelle- ment défavorables à la navigation. La mer se trouva fermée par une barrière de glace infranchissable, et la Germania ne put atteindre que le 81e degré 5 minutes. Cette latitude n'avait, du reste, été dé- passée jusque-là que daus la tentative faite en traîneaux par Edouard Parry. Le 10 octobre la Germania rentrait au port de Brème. La Hansa, envoyée aussi par M. Petermann sur la côte orientale du Groënland, rencontra des difficultés du môme genre. Depuis, Hall, en septembre 1871, en longeant la côte occidentale du Groënland , n'a dépassé le 82e degré que de quelques minutes ; de même Payer et Weyprecht, en avril 1874, au nord de la Nouvelle- Zemble, dans le voyage qui leur fit découvrir la terre à laquelle ils ont donné le nom de François-Joseph. Le capitaine Nares en s'avan- çant en traîneaux à l'imitation de Parry est arrivé si près du pôle nord qu'il n'avait plus que 170 lieues environ à parcourir pour l'attein- dre. On est infiniment moins avancé du côté du pôle sud où les glaces forment des amoncellements bien autrement considérables ; là, on n'a pas encore franchi le 78e degré; 300 lieues séparent donc de l'axe terrestre les régions connues de l'extrémité méridionale du globe. Rappelons brièvement les conditions dans lesquelles le capitaine Lambert voulait accomplir son expédition. 158 LE POLE NORD Gustave Lambert, persuadé que le plus graud danger de la navi- gation dans les mers arctiques est créé par les montagnes de glace flottantes qui peuvent à tout moment broyer un navire, avait choisi une autre voie que celle des détroits du nord de l'Amérique. Les icebergs se formant aux bords des côtes, le capitaine Lambert for- mulait cet axiome Fuir les terres. » Le détroit de Behring, par Fig. C9. — Hésidence d'automne de Sclmvtka sur la terre du roi Guillaume. où il voulait pénétrer dans la mer polaire, lui permettait, croyait-il, de se tenir éloigné de tout rivage. L'expédition de la Jeannette et, si l'on veut, celle du Rodgers, — navire envoyé à la recherche de la Jeannette, — n'ont pas réalisé les espérances du capitaine Lambert. Il convient de dire cependant que les marins du Rodgers ont visité pour la première fois la terre de Wrangel c'est ainsi qu'on avance toujours plus vers le point central. Le capitaine Lambert se faisait évidemment illusion sur cet espace d'eaux libres que les Russes ont appelé Polynia; c'était, selon lui, ET LE POLE SUD. 159 l'un des chemins du pôle. Notre regretté compatriote plaçait son projet sous la protection d'un grand nom, en affirmant que Cook avait indiqué le détroit de Behring comme la véritable route du pôle nord et que la mort empêcha seule l'illustre navigateur de changer cette hypothèse en certitude. En jetant un rapide coup d'oeil sur les principales tentatives faites pig. 70. — Résidence d'été de Sohwatka. jusqu'ici, et eu réunissant les observations recueillies, nous avons essayé d'établir quelles conditions de succès sont offertes aux promo- teurs d'entreprises nouvelles. Mais combien on perd de temps à chaque expédition nouvelle à refaire une route déjà faite tant de fois, à poursuivre un but déjà atteint; que de fatigues et quel mauvais emploi des forces! C'est souvent à l'état d'épuisement que l'on entreprend de pousser plus loin cette recherche fiévreuse que les devanciers ont abandonnée malgré 160 LE POLE NORD. eux, et qu'où abaudouuera soi-même après avoir poussé uu peu plus avaut la solution des problèmes... Mais à peiue est-on arrivé qu'il faut songer à se ménager la possibilité du retour. C'est cette préoccupation qui est fatale. S'il existait à proximité des régions encore iuconnues du pôle un ou plusieurs établissements fixes pouvant servir de bases d'opération, les expéditions se perpétueraient pour ainsi dire et l'éuergie des liommes de bonne volonté donnerait des résultats chaque jour plus marqués. On a doue songé à établir sur tous les points où l'on est déjà parvenu, sur ceux du moins où il est sinon facile, du moins possible de parvenir, des stations, des postes à demeure, au cap Shéridan par exemple, et encore au Spitzberg. De la sorte, la recherche se dédou- blerait; et en se dédoublant les chances de succès s'accroîtraient singulièrement. Des navires partiront sans cesse des ports- de l'Eu- rope et de l'Amérique et ravitailleront ces postes ; ils renouvelleront les instruments de toute sorte et de toute nature, les barques, les traîneaux, les chiens pour les mener; ils amèneront des marins, des savants, appelés à remplacer les hommes épuisés par la rigueur du climat, découragés ou saisis de la nostalgie de la lumière et de la chaleur, et ces hommes nouveaux, poursuivant avec des ressources inépuisables les explorations commencées, avanceront sûrement sans trop de mécomptes; chaque année marquera une étape, peut-être un succès ; avec le temps, les stations se multipliant, le pôle sera comme cerné, bloqué, et enfin conquis. On s'avancera d'un côté par les détroits de Smith, de Kennedy et de Robeson, — qui se font suite, — de l'autre par la rive occidentale du Groenland ; ici par le Spitzberg et la terre François-Joseph; là par la Nouvelle-Zemble; le détroit de Behring ouvrira lui-même sans doute ses champs de glaces impénétrables. La bonne direction donnée à son entreprise par le lieutenant Schwat- ka, lors de sa recherche, sur le littoral du Groenland, d'indications * propres à nous fixer définitivement sur le sort des compagnons du capi- taine Franklin, accusent un progrès notable et de bon augure dans la science des voyages aux régions polaires." A7 IL Le pôle austral. — Sa ressemblance physique avec le pôle boréal . — Point par lequel il diffère essentiellement. — Dumont-d'Urville. — Sir James Ross. — Les volcans ce Erebus » et ce Terror ». — Les deux œ glacières » des pôles et le futur déluge . Le pôle austral a de si nombreuses ressemblances avec le pôle bo- réal qu'il doit trouver sa place ici si nous ne voulons pas nous exposer à répéter ce que nous avons dit sur la nuit polaire, le froid, les glaces, et surtout ces tempêtes durant lesquelles les vagues s'élèvent à une hau- teur effrayante , déferlant par-dessus les montagnes de glace les plus hautes, précipitant et brisant ces masses énormes l'une contre l'autre, puis les engloutissant sous une couche épaisse d'écume blanche pour les lancer de nouveau dans l'air et les choquer sans répit avec une vio- lence épouvantable. Il y a pourtant une différence essentielle entre les deux pôles, c'est qu'on ne connaît aucun habitant dans les terres du pôle sud. Ni Cook, ni les baleiniers, ni Charles Enderby, ni le lieutenant Wilkes, de la marine américaine, ni le capitaine Dumont-d'Urville , ni, après lui, James Ross, — qui, le premier, s'est avancé au delà des limites de la vie végétale, — n'ont signalé d'indigènes sur les terres qu'ils ont dé- couvertes. Le danger qu'on court à reconnaître une côte, dans ces mers in- connues et glacées, est si grand, disait le capitaine Cook dans la rela- tion de son deuxième voyage, que j'ose avancer que personne ne se hasardera jamais à aller plus loin que moi, et que les terres situées tout à fait au sud, — s'il y en a, — ne seront jamais reconnues. Les brumes y sont trop épaisses, les tourmentes de neige trop fréquentes, le froid trop aigu, tous les dangers de la navigation trop multipliés. L'aspect CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 21 LE POLE SUD. 133 des côtes, plus horrible qu'on ne peut l'imaginer, accroît encore ces dif- ficultés. Ces régions sont condamnées par la nature à ne jamais sentir la chaleur des rayons du soleil et à rester ensevelies sous d'éternels frimas. » Le sillage des navires de Cook a néanmoins laissé une trace que d'au- tres explorateurs ont suivie. Le drapeau de la France a été planté sur les terres antarctiques par notre illustre Dumont-d'Urville. Le capitaine Cook, dont les travaux sont venus en aide à ses émules, n'avait rien exaeréré. Dumont-d'Urville a raconté toutes les difficultés qu'il a vues surgir devant lui les îles de glace, falaises dangereuses ne pouvant qu'entraîner à sa perte le navire qui fût venu un seul instant y chercher un abri contre le vent, des murailles droites dépassant de beaucoup la mâture des deux bâtiments de l'expédition il fallait s'y aventurer comme dans les rues étroites d'une ville de géants, ville ruinée aux toits surplombants. Dans l'épaisseur de ces glaces la mer s'engouffrait avec fracas dans de vastes cavernes ; mais comme dédom- magement le soleil d'été dardait ses rayons obliques sur d'immenses parois de glace, semblables à du cristal, produisant des effets d'ombre et de lumière vraiment magiques et saisissants. Malgré de tels obatacles, accumulés en si grand nombre qu'il n'a pas encore été possible de s'avancer aussi près de ce pôle qu'on l'a fait au pôle nord, sir James Clark Ross a vu, dans les terres antarctiques, des volcans trois ou quatre fois plus élevés que l'Hécla. Dans la nuit du 27 janvier, mois qui correspond au mois de juillet de France — le capitaine Ross avait jeté l'ancre au milieu d'une mer libre de glaces ; lorsque le jour parut il fut extrêmement surpris de trouver devant lui une montagne s'élevant à plus de douze mille pieds de hauteur au-dessus du niveau de la mer, et qui vomissait d'épais tour- billons de flammes et de fumée. Il appela ce volcan le mont Erebus et il donna le nom de Terror à un autre volcan éteint, situé à l'est du mont Erebus. La mer et le ciel, écrivait alors sur son journal sir W. Hooker, le savant naturaliste de l'expédition, étaient d'un bleu aussi beau et même plus foncé que celui qu'ils ont sous les tropiques ; toute la côte ne formait qu'une masse de pics de neige, d'une blancheur éblouisante qui , au moment où le so- ^avé par Rllausermaan Yig, 72. — Carte du pôle austral. LE POLE SUD. 165 leil approcha de l'horizon, prirent des teintes jaune d'or et écarlate de l'éclat le plus brillant alors s'éleva du cratère une épaisse colonne de fumée, au centre de laquelle étincelait un jet de flammes, la moitié noire comme la nuit la plus obscure, l'autre moitié éclairée par les rayons du soleil; et parfois, quand elle était parvenue en ligne droite à une certaine hauteur, un coup de vent la renversait à angle droit et l'em- portait, en l'éparpillant, à une distance de plusieurs milles. Il est im- possible de se faire une idée de la grandeur d'un pareil spectacle... » Le navigateur anglais ne s'est arrêté dans sa course hardie que devant une muraille de glace de cent à cent cinquante pieds de hauteur qui, sur une étendue de cinq cents milles, présentait un obstacle absolument infranchissable. Suivant M. Adhémar, l'ingénieux auteur de la théorie des déluges périodiques, la glacière » du pôle austral n'aurait pas moins de mille lieues- de diamètre sur vingt lieues d'épaisseur. Si les calculs de M. Adhémar sont justes, l'accumulation incessante de ces glaces éter- nelles doit, dans l'espace de dix mille cinq cents ans, déterminer le déplacement du centre de gravité de la terre et l'irruption diluvienne des eaux d'un hémisphère dans l'autre. Nous y marchons. Mais qu'on se rassure ; nous avons encore une belle marge ! DEUXIÈME PARTIE. LES DEUX AMÉRIQUES. L. Le Labrador. — Le pays des fourrures et la Compagnie de la baie d'Hudson. — Les missions catholiques de l'Amérique britannique. — A travers la région nord-ouest. — Rivières et lacs. — Navigation en canots. — Ce qu'on appelle portages », En revenant, — pour suivre notre plan, — au nord de l'Amérique, nous n'aurons pas à nous occuper des grandes îles situées dans le voisi- nage du Labrador et de la mer d'Hudson. Ces îles, — comme la terre de Fox, l'île de Sonthampton, — bien qu'au sud du cercle polaire, font en quelque sorte partie de ce damier » arctique que nous avons déjà visité; et comme nous ne faisons pas de géographie, il nous est permis de les omettre. Ainsi que les terres de la région boréale, ces terres, quoique moins sep- tentrionales, ne présentent durant neuf mois de l'année que des amas déglace, et, dans la saison chaude, une désagrégation des glaciers, au milieu de brouillards épais. Passant rapidement à travers les régions de l'Amérique britannique conquises à la civilisation, — comme le Canada, et le Manitoba, — nous allons traverser les grandes plaines du nord-ouest de l'Amérique. Nommons, pour mémoire seulement, le Labrador, qui fait vis-à-vis au Groenland. Le Labrador, dit M. Onésime Reclus, a des rivières tantôt molles et calmes, tau tôt frénétiques, des lacs que l'hiver cristal- lise, des marais, des étangs, des plateaux de mousse, des pins, des mé- lèzes, et des boideaux de grandeur convenable s'ils sont abrités des vents, nains quand la roche ne les protège pas. » .. La partie sud de cette froide terre est habitée Dans le nord-est, les seuls blancs sont des missionnaires moraves. Sur le pourtour de ses côtes on rencontre des Esquimaux en assez grand nombre, plus de douze cents. C'est à peu près le tiers de la population totale du CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 22 170 LES DEUX AMÉRIQUES. Labrador, composée de pêcheurs qui exportent pour six ou sept mil- lions de francs de poissons salés. Bien que le territoire du nord-ouest que l'Angleterre possède en Amérique renferme autre chose que des champs de chasse, et qu'il s'y trouve des terres excellentes entre la rivière Rouge et la rivière de la Fig. 73. — Le Labrador. Paix, la îompagnie de la baie d'Hudson domine toute cette immense région, sauf le territoire de l'ancienne Amérique russe, acquis par les États-Unis en 1867. Cette corporation riche et puissante possède des comptoirs fortifiés dans des régions perdues habitées seulement par des tribus d'Indiens, et plus au nord par les Esquimaux ; elle a des agents à sa solde, — une armée, — une cour régulière de justice pour son territoire dans sa colonie de la rivière Rouge et une cour spéciale dans l'île de Vancou- ver, dont la possession a été octroyée à la Compagnie en 1849 par la reine Victoria. LES DEUX AMÉRIQUES. 171 Les sauvages de cette partie de l'Amérique se réunissent périodique- ment autour des comptoirs de la Compagnie de la baie d'Hudson établis dans les principaux centres des tribus ; au milieu d'eux se trouvent des métis français du Canada, et quelques-uns de ces hardis trappeurs franco-canadiens qui continuent de faire prévaloir notre langue dans une région de l'Amérique où la France a laissé maintes traces de son passage. Les principales de ces factoreries sont situées sur la baie James, à l'embouchure de la rivière de Severn, dans la partie sud et vers les frontières du haut Canada, sur les lacs Supérieur, Ouinipeg, Atha- baska, et près des rivières Saskatchewan , Assiniboine, etc. Au Fort- York, qui commande le cours du fleuve Nelson, l'un des tributaires de la mer d'Hudson, se trouve le quartier général de la Compagnie, et c'est là qu'est établi son principal dépôt de fourrures. Le trafic des pelleteries a beaucoup perdu de l'importance qu'il avait autrefois ; cependant il est encore considérable et la faune de ces con- trées, voisines de la région arctique, est loin d'être épuisée. Les peaux les plus précieuses apportées par les Indiens sont les peaux d'ours noirs, de renards noirs, de renards argentés, de loutres, de pécaris, de martres, de foutreaux, de renards rouges et blancs ; on peut y ajouter quelques petites peaux, telles que celles de rats musqués, de castors, d'herminettes, et de même, des peaux de cygnes. Les missionnaires catholiques pénètrent dans les régions inconnues plus avant encore que les agents de la fameuse Compagnie, et ils par- viennent à s'établir au milieu de tribus de Peaux Rouges qui n'ont en- tamé aucun négoce avec les blancs. Il y a nue quarantaine d'années, un petit nombre de missionnaires, sous la conduite de Mgr Provencher, s'étaient réunis au confluent de la rivière Rouge, du lac Ouinipeg et de la rivière Assiniboine ; ils se multipliaient pour l'accomplissement de leur tâche. Aujourd'hui plusieurs évêques, aidés de plus de cinquante missionnaires, se parta- gent les immenses territoires qui s'étendent de la rivière Rouge aux embouchures du Mackensie dans l'océan Glacial, et de la baie d'Hud- son aux montagnes Rocheuses. La rivière Rouge a son embouchure sur le lac Ouinipeg, qui est par- 172 LES DEUX AMÉKIQUES. semé d'îlots très boisés. Supposons que reprenant les itinéraires des Hearne, des Raë, des Mackensie et des Franklin, nous partions de là pour visiter les solitudes qui s'étendent au nord jusqu'au cercle polaire, au moment où l'hiver vient de prendre fin et où la fonte des neiges dans les plaines et sur le versant des collines donne naissance aune multitude de ruisseaux qui charrient d'énormes masses d'eau vers l'océan Glacial. Il y a tout d'abord des facilités exceptionnelles pour ce voyage dans la multiplicité des cours d'eau considérables et des lacs commu- niquant entre eux, qui donnent à cette région un caractère particu- lier. Les rivières sont presque parallèles ; et il est d'usage de poursui- vre sa route en transportant de l'une dans l'autre le canot creusé dans un gros arbre qui sert à faire le voyage les stations où l'on s'arrête pour effectuer ce trajet par terre s'appellent jiortages, d'un mot français importé par les premiers colons du Canada, hommes d'a- ventures, passionnés pour les grands voyages et les longues chasses dans les solitudes du Nord. On utilise d'abord la rivière du Grand-Rapide, du moins jusqu'à l'endroit où toute navigation est rendue impossible par le rapide qui, sur une étendue de trois kilomètres, avec une largeur de cent mètres, présente des obstacles infranchissables. La rivière aux Cèdres offre un cours plus paisible aux voyageurs; puis le lac Bourbon lac des Cè- dres des Anglais, découvert en 1728 par M. de la Révérenderie. Après avoir traversé ce lac, on pénètre dans la rivière Rapide, aux eaux bourbeuses parsemées d'îlots couverts d'une végétation de joncs, de saules et de roseaux, et où viennent se reposer les oiseaux de pas- sage arrivant du sud dès que le loug hiver a pris fin les cygnes, les perdrix blanches, les aigles à tête chauve, les canards encapuchonnés de rouge, les guillemots, les eider-duks, les puffms. Sur un parcours d'environ deux cent cinquante lieues, la rivière Rapide ne présente pas une seule chute. Et toujours des rivières coulent vers le nord; et toujours des lacs marquettent de leur poli vaporeux les plaines incommensurables le lac Cumberland, la rivière Plate, le petit lac Castor, la rivière des Épingles, la rivière de la Queue-de-Loutre, le lac du même nom, peu LES DEUX AMERIQUES. 173 profond, émaillé dès les premiers so- leils de très larges fleurs jaunes, et encombré d'îlots ; puis la rivière aux Anglais, le lac Larrouge, la rivière Churchill, enfin le lac de l'île de la Crosse, siège de l'une des plus an- ciennes résidences des missions ca- tholiques, — située par 56° 25 de latitude nord et 106° 56 de longitude ouest. Ce qu'on désigne sous le nom d'île de la Crosse est un vaste territoire si bien entouré de petits lacs et de rivières qu'il peut produire l'illusion d'une île. Au rapport des mission- naires, ces rivières et ces lacs sont très poissonneux ; les îlots qu'ils con- tiennent sont assez bien boisés] sur les collines et dans les vallées cen- trales croissent des pins, des lyards, des trembles et des bouleaux. Enfai d'animaux on compte surtout en grand nombre l'élan, le renne, .. . les ours jaunes et noirs; les castors ont été pres- que détruits par les chas- seurs ; en revanche il y a beaucoup de^ martres , de pécaris, de lynx, de loutres, de foutreaux, de rats musqués. En été », dit M51' Faraud, qui a évangélisé dans les possessions britanniques du nord-ouest, le cygne, l'oie, ; le canard, le pluvier, l'outarde peuplent les lacs et les rivières ; le fai- 74. — Trappeur de la Saskatchewan. 174 LES DEUX AMÉRIQUES. san, la perdrix et le lièvre animent les vallées et les bois. Le huard fait retentir l'écho de sa voix criarde, le héron pousse son cri d'épou- vante, et les pélicans réunis en grand nombre sur les hauteurs y répondent par leurs cris plaintifs. » Et maintenant, si l'on veut pousser plus au nord encore que l'île de la Crosse, on rencontrera le grand lac du Bœuf, la rivière de la Loche, le lac Athabaska au delà duquel les roches nues font place à la ver- dure. Bientôt, apparaissent d'immenses forêts, aux arbres séculaires, peuplées de quantité d'oiseaux. Les cygnes et les grues traversent la rivière de l'un à l'autre bord, avec mille cris bruyants. C'est ainsi qu'on entre dans le lac, encombré de rochers granitiques chauves ou couron- nés de pins que, l'hiver, tordent les vents furieux. IL Une réunion de chasseurs et de trappeurs indiens au fort CHppeways, sur le lac Athabaska. — Indiens Chippeways. — Couteaux-Jaunes. — Sioux. — Sauteux. — Pieds-Noirs. — Assini- boines. — Cris. — Indiens Castors. — Indiens de l'Esclave. — Plats-Côtés-de-Chiens. — Peaux de-Lièvre, etc. Il y a sur le lac Athabaska, qui est réellement le centre des posses- sions britanniques dans l'Amérique du Nord, un poste commercial de la Compagnie, le fort Chippeways. Les Indiens qui battent le pays entre les montagnes Rocheuses et les rivages déserts de la baie d'Hud- son ne s'y réunissent guère qu'à deux moments de l'année, trois se- maines environ au printemps, et trois semaines en automne. Ils vien- nent y vendre les fourrures des bêtes qu'ils ont tuées dans la chasse d'hiver et la chasse d'été. Il faut les voir s'acheminant par groupes nombreux vers le fort. Leurs femmes, petites mais fortes, les suivent péniblement, transpor- tant sur leurs épaules les pelleteries, la tente et tout le matériel de la vie nomade. Traitées comme des animaux domestiques, ces malheu- reuses sont habituées de tout temps à accomplir les plus rudes tâches... La nouvelle s'est répandue au loin que le commandant du fort Chippeways, désireux d'encourager les chasseurs et les trappeurs, dis- tribuerait une douzaine d'excellentes carabines à ceux qui lui apporte- raient les précieuses fourrures en plus grande quantité. Aussi est-ce par centaines que les Indiens se sont mis en route. Un à un, leurs groupes, distincts de langage et parfois terriblement brouillés entre eux, viennent établir leur campement dans l'endroit assigné, en de- hors de la palissade de pieux et de planches qui constitue l'enceinte du fort. Ils dressent leurs tentes de peaux de buffle. Le printemps 176 LES DEUX AMÉRIQUES. polaire fait sentir son influence, mais les nuits sont encore très froides ; sur la surface du lac nagent, malgré les rayons du soleil, d'énormes glaçons aux arêtes irisées ; aussi, de bonne heure, le matin, la fumée du foyer s'échappe-t-elle par l'ouverture laissée béante au sommet des tentes. Le fort Chippeways tient en respect tout ce monde sauvage et iras- cible, à qui du reste les blancs ne sont nullement antipathiques. Le poste commercial est composé de deux maisons d'habitation, en bois, l'une pour les officiers et leurs familles, l'autre pour les soldats et les employés subalternes. Il comprend encore uu grand magasin et un hangar. Les Indiens sont attendus avec impatience par les agents de la Compagnie quelques Européens, un certain nombre de Canadiens et trois ou quatre métis, qui sortent à peine de leur lutte avec les horreurs d'un long hiver augmentées par des privations de toute sorte. Enfin un certain nombre des chasseurs annoncés se trouvant ras- semblés autour du poste, il est possible d'évaluer le rendement de la campagne d'hiver, et par suite de fixer le prix des pelleteries pour ce premier marché de l'année. Au jour fixé, les palissades sont fran- chies par une cohue tatouée, bariolée, empanachée, et dont des peaux de bison velues et des couvertures de laine aux couleurs voyantes, — bleues ou rouges, — jetées sur les épaules ou serrées autour des reins, composent le vêtement pittoresque. Ces gens se montrent pressés de faire affaire dans de bonnes conditions et les interprètes sont assail- lis de toute part. Quelques femmes, — leurs squaws », — se glissent timidement derrière les guerriers. Il y a entre tous ces sauvages une ressemblance et comme un air de famille c'est la peau bistrée ; ce sont les cheveux noirs, — ils ne blanchissent jamais, — longs, tombant de chaque côté du visage, chez quelques-uns avec une mèche sur le nez, parfois disposés en deux tresses, plus une petite queue descendant par derrière comme pour solliciter le couteau du scalpeur ; c'est la barbe rare ou même absente ; c'est l'œil noir profondément encaissé dans son orbite, avec des pau- pières obliques, et un regard calme qui fait évidemment partie d'un maintien composé; ce sont les pommettes saillantes, le nez aquilin, LES DEUX AMÉRIQUES. 177 les lèvres fines- et serrées, enfin les délicates extrémités des membres. Leur démarche à tous est grave, particulièrement celle des chefs. CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 23 178 LES DEUX AMÉRIQUES. Quant au costume, il offre de même divers points de ressemblance, mais il varie assez d'une tribu à l'autre pour qu'on puisse distinguer à quelle nation, à quelle tribu appartiennent les Indiens réunis dans l'enceinte du fort. Ainsi, cinq Chippeways, remarquables surtout à leur haute taille, à leurs larges épaules, à leur physionomie intelli- gente et réfléchie, sont vêtus uniformément de casaques de peaux et de manteaux de fourrures d'un certain effet. Ce costume de parade, exhibé par braverie, est complété par un bouquet de plumes d'aigle déployé en éventail au-dessus de l'abondante chevelure. Quelques détails, — tatouage, colliers, — indiquent par surcroît que ce sont des Chippeways du désert, appelés plus communément mangeurs de caribous ». Ils sont venus en canot de l'extrémité orientale du lac Athabaska. Ces Indiens paraissent frayer volontiers avec quelques Couteaux- Jaunes, de même nation qu'eux, du reste, habitués à vivre paisible- ment dans la région située entre le lac Athabaska et le lac des Es- claves, et qui sont venus au rendez-vous du fort Chippeways, attirés bien plus par le désir d'obtenir par voie d'échange quelques objets de première nécessité, qu'avec l'espoir de conquérir l'une des carabines promises. A vingt pas de ces sauvages pacifiques huit Sioux, très animés, sup- putent sur leurs doigts les bénéfices probables de leur voyage. Ils sont grands aussi, mais, aux traits communs à toute la race indienne, ils joignent un large front, d'épais sourcils et un air de férocité peu ordinaire. Leurs épaules sont couvertes d'une peau de buffle au poil long et soyeux ; sur le revers de cette peau sont peintes, en espèces d'hiéroglyphes, les victoires remportées sur leurs ennemis. C'est pour chacun de ces guerriers sa propre biographie qu'il porte sur lui. L'un de ces Sioux paraît être un chef, — un sachem. Son front est couronné d'une sorte de turban de peau autour duquel sont fichées des plumes rouges, jaunes et vertes. Il a chaussé ses pieds de mocas- sins brodés en perles ; il porte aux doigts de nombreuses bagues, aux oreilles des pendeloques d'argent de forme étrange et sur la poitrine diverses parures de métal, d'os et de coquilles nacrées. Le sachem et ses compagnons ont le visage peint de deux couleurs. Pourtant l'un 180 LES DEUX AMÉEIQUES. de ces Sioux montre un visage entièrement noir en signe de la perte récente d'une de ses femmes ; et comme il serre convulsivement le manche de son couteau à scalper, il n'en paraît que moins sociable. Toutefois, il s'est luxueusement coiffé pour la circonstance d'un cha- peau de feutre mou qui jure étrangement avec tout l'attirail sau- vage. Ces huit Sioux font bande à part. On devine à leur isolement qu'ils sont d'une nation guerroyant sans cesse contre toutes les tribus avec lesquelles elle se trouve en contact. Mais ceux-ci s'attirent surtout les regards de défi et de haine des Indiens Sauteux, qui ne les perdent pas de vue. Peut-être ces hommes se sont-ils rencontrés déjà autre part que dans les marchés île pelleteries de la Compagnie et peut- être y a-t-il entre eux quelque compte de chevelures à régler... Des Pieds-Noirs en assez grand nombre, — on peut en compter plus de vingt, — vont et viennent d'un air affairé, évitant toutefois cinq ou six Assiniboines du petit lac de l'Esclave et quelques Cris, appar- tenant les uns et les autres à des tribus avec lesquelles ils sont con- tinuellement en guerre. Ces Pieds-Noirs sont réellement cruels. Ils ne se contentent pas, — à l'exemple des Cris, — d'arracher la chevelure des morts et de célébrer les victoires qu'ils remportent par des chants et des danses autour des dépouilles humaines ils ouvrent la poitrine de leur ennemi vaincu et dévorent leur cœur ensanglanté, pensant aug- menter ainsi leur dose de courage ; bien plus, ils convient leurs femmes à ces monstrueuses curées. Les Cris qui offusquent ces Pieds-Noirs sont seulement au nombre de sept. Ils ne sont pas grands, mais ils paraissent décidés, provo- cateurs, prêts à tout... même à piller les magasins de la Compagnie. Ils sont venus des rives des lagons qui avoisinent la mer d'Hudson, faisant un trajet de cent lieues, moitié dans leurs canots, moitié à pied, au milieu des plaines détrempées par le dégel, et ils ont amené cinq femmes avec eux ; mais une de ces malheureuses a été tuée, le jour même de leur arrivée, [par son seigneur et maître, — dans un moment de colère. Tout un clan de Sauteux des environs du lac Ouinipeg, — et dont font partie les six Indiens qui] semblent là-bas défier les guerriers sioux, LES DEUX AMERIQUES. 181 leurs plus mortels ennemis, — assis par terre et formant un grand cercle, anime un coin de l'enceinte. Ces sauvages, échauffés par de trop nombreuses libations de wisky, prétendent absolument étaler leurs marchandises au soleil, pour en faire admirer l'opulence ; mais les agents regardent avec défiance cette exposition faite malgré eux de Fig. 77. — Camp d'Indiens au Nord. fourrures obtenues de seconde main, volées peut-être, et ils montrent à l'égard de l'honnêteté commerciale de ces trafiquants du désert de glace un manque de confiance parfaitement justifié. Dans un autre coin du fort se trouvent une quinzaine d'Indiens Cas- tors, de petite taille, chétifs, avec un visage blême et allongé, au teint hâve et maladif, accusant enfin tous les signes d'une irrémédiable décrépitude. Ils sont venus de la rivière de la Paix, dont les affluents 182 LES DEUX AMÉRIQUES. sont habités par des castors, — ce qui vaut à ces Indiens le nom qu'ils portent. Quelques trappeurs Esclaves, campant sur la rive ouest du grand lac des Esclaves, vont vers eux avec cet air affable qui leur est naturel. Essen- tiellement pêcheurs, ceux-ci n'ont à offrir à la Compagnie que les peaux de mince valeur des petits animaux pris au trébuchet au bord de l'eau. Des Plats-Côtés-de- Chiens s'effacent le plus qu'ils peuvent. Grands, sveltes, mais laids, avec un visage long, aplati, des yeux à fleur de tête, un menton et une mâchoire pointus comme s'ils ne parlaient que du bout des dents, vêtus de la peau des caribous tués à la chasse, ils personnifient la sauvagerie dans ce qu'elle a de plus original. Enfin, par-ci, par-là se montre quelque inoffensif Peau-de-Lièvre, grands mangeurs de lapins, quelque Loucheux, — terreur de l'Esqui- mau, — orné de son inséparable pipe, se promenant hautain, orgueil- leux, irascible malgré sa mince stature, et jetant autour de lui des regards louches », tout à la fois timides et sinistres. Au centre de plusieurs groupes, un orateur prend à tâche d'entre- tenir cette faculté de l'éloquence qui est l'apanage du Peau Rouge, et parle d'une voix lente, sonore, cadencée, soutenue par des gestes trop nombreux, mais empreints d'une certaine noblesse. Quelques soldats de la Compagnie, le mousquet sur l'épaule, se promènent lentement, désœuvrés et curieux, à travers tous ces hidalgos du désert, qui répondent fièrement aux noms à effet de Y Ours- Aff ile, du Corbeau-Mâle, du Chien-Rouge, du Faucon-Noir, du Chat-Tigre, de la Nuée-Rouge, de la Pluie-qui- Marche.. . C'est ici le lieu de dire que la population aborigène de l'Amérique britannique se divise en quatre races ou nations principales qui sont 1° les Esquimaux de la baie d'Hudson ; 2° les Algonquins Sauteux, Cris, etc.; 3° les Hurons-Iroquois Sioux, Assiniboines, etc.; 4° les Déué-Dindjié Castors, Loucheux, etc.. Si quelques chiffres n'effraient pas trop nos lecteurs, et surtout nos lectrices, nous établirons de la sorte le dénombrement de ces sauvages en nous réglant sur le genre de vie qu'ils mènent 15,000 environ fréquentent les abords des cours d'eau ou les côtes, 12,000 campent dans les prairies, et 30,000 dans les forêts. III. Caractère des Peaux Ronges. — Une vieille femme vouée à la mort par les siens. — Indiens anthropophages. — Histoire d'une petite fille sauvée par un missionnaire. Ou a reconnu des traits physiques de réelle parenté entre tous ces Indiens. Au moral, il y a également de nombreux traits qui leur sont communs à tous. Ainsi, en général, ils supportent la douleur avec une constance remarquable une plainte leur semblerait une lâcheté. Chez les Cris, si une femme en travail d'enfant poussait un seul soupir, on la jugerait indigne d'être mère, parce qu'elle ne pourrait mettre au inonde qu'un enfant dégénéré. L'Indien, habitué à se maîtriser, demeure calme, même dans ses plus grandes colères ; ses traits ne s'altèrent pas ; la fureur est dans son âme et la placidité sur ses traits ; il sait souffrir et se taire ; il sait dissimuler sa haine et le désir de se venger. Une grande sécheresse de cœur leur est aussi commune à tous. Ce n'est que par la réflexion, par un sentiment inné de justice propre à toute créature humaine, qu'ils peuvent être amenés à éprouver de l'a- mitié, de la reconnaissance et quelquefois de la compassion. Mais que dire de leur cruauté envers les vieillards et les enfants lorsque ceux-ci deviennent pour eux une charge? Les Indiens Plats-Côtés-de-Chiens sont peut-être, entre tous, ceux qui se débarrassent avec le plus d'indifférence des enfants en bas âge et des vieillards infirmes. Mgl" Faraud, dans son beau livre Dix-huit ans chez les sauvages de V Amérique britannique, raconte qu'en longeant un jour une rivière il vit au bord de l'eau une vieille femme qui se traînait sur les genoux. Il lui demanda ce qu'elle faisait en cet endroit et apprit que c'étaient 184 LES DEUX AMÉRIQUES. ses enfants qui l'y avaient amenée et abandonnée. Et où sont-ils, tes enfants? » demanda le missionnaire. La vieille montra de la main la rive opposée. La pauvre femme était si faible qu'elle semblait sur le point d'expirer. Le missionnaire tâcha de la ranimer, mais en vain, et voici tout ce qu'il put apprendre d'elle Elle avait six enfants dans la tribu des Montagnais... tous grands et forts... Ils lui avaient dit l'autre soir — Écoute, mère... tu es vieille, tu ne peux plus travailler, nous allons te laisser seule dans les bois... Dans peu de jours tu seras morte... et tu n'auras pins de misère... Ils avaient fait ainsi; et elle s'était traînée jusqu'au bord de l'eau, tourmentée par uue soif ardente. Maintenant elle n'avait plus soif. Et en parlant ainsi la pauvre Indienne expira. Une autre fois, en traversant en hiver une épaisse forêt, le même mis- sionnaire entendit des gémissements. Il s'avança avec précaution, écar- tant les branches des arbustes épineux sur la neige , gisait une pe- tite fille de six à sept ans. Il courut à elle. L'enfant avait déjà les pieds et les mains gelés. Le charitable missionnaire ranima comme il put la pauvre petite créature et apprit d'elle que son père et sa mère étant morts l'hiver d'avant, ses autres parents l'avaient prise avec eux; mais s'étant lassés de la nourrir, ils l'avaient amenée en cet endroit pour l'y abandonner, lui disant qu'elle était trop petite, bonne à rien... qu'on allait la laisser là, et que dans peu de jours elle ne souffrirait plus. • Le missionnaire indigné alluma du feu et parvint à réchauffer l'en- fant, qu'il put enfin emmener avec lui. Cette petite Indienne devait avoir un triste sort l'ayant confiée à des Cris, — l'homme et la femme, — qui se montraient désireux de re- cevoir le baptême, le missionnaire fut fort affligé de n'en plus avoir de nouvelles. Il entreprit un long voyage pour retrouver la tribu à laquelle appartenaient ces Cris, et quand enfin il put s'informer de l'enfant, il apprit avec un véritable désespoir qu'elle avait été mangée la sau- vagesse fut forcée de le lui avouer. ce Père, lui dit-elle avec une horrible ingénuité, l'hiver avait été mauvais; nous n'avions plus de viande... plus de poisson... La pauvre LES DEUX AMERIQUES. 185 petite était bien maigre... elle allait mourir... Mon mari et moi nous avions faim... alors nous l'avons mangée. » La plus exécrable inclination qu'on puisse reprocher à quelques- unes de ces tribus, c'est l'anthropophagie. Au premier rang se trouvent les Hommes-de-Saug Duccldeli-Ot- tiné, les habitants qui mangent les hommes. Ces malheureux, appelés plus communément le mauvais monde, habitent entre le 58° et le 63° latitude nord, et le 125° et 135° longitude ouest il est toujours bon de préciser quand il s'agit d'anthropophages. Ils sont très peu nombreux, et cela se comprend... ils poussent leur passion pour la chair humaine à ce point que la mère n'est pas en sû- reté auprès de son enfant, ni les enfants avec leur père. Les parents mangent leurs parents, les amis mangent leurs amis. Quand les chèvres et les moutons sauvages qu'ils chassent dans les montagnes Ro- cheuses leur font défaut, et que la disette de vivres survient, elle ré- veille en eux cet horrible besoin, et alors le plus fort dévore le plus faible. C'est ainsi que ces sauvages, petits et laids, finiront par se dé- truire tous, ou plutôt finiront par se manger... jusqu'à l'avant-dernier. Le missionnaire dont nous venons de parler s'en est souvent entre- tenu au fort Alkett, situé au centre de cette tribu, avec un vieillard lépreux, qui avouait avoir mangé, à lui seul, dix de ses parents ; aussi la maladie qui résulte de l'anthropophagie l'avait-elle atteint sa lèpre n'avait pas d'autre cause. Les Cris ne sont pas à proprement dire anthropophages ; cependant, dans quelques circonstances, ils se laissent, aller sans répugnance à faire usage de chair humaine. Il existe parmi eux un certain nombre d'hommes qu'on appelle manitokasou » ou magiciens. Dans cette classe privilégiée on devient aisément ce qu'on appelle windigo » ou mangeur d'enfants. On mange donc des enfants. Il est même permis de manger ses propres enfants. Mgr Faraud en cite deux exemples. Il réussit à dissiper chez un Cris cette fatale obsession. C'était un père possédé de la tentation irrésis- tible de manger ses deux enfants. Le missionnaire le convertit même à la foi chrétienne. Moins heureux envers un autre Indien Cris, dont il avait baptisé le fils et la fille, il arracha un jour au père de ces in- COXTRÉES MYSTÉRIEUSES. 24 186 LES DEUX AMÉRIQUES. fortunés l'aveu que, dans un moment où les vivres devenaient rares, sa femme n"ayant rien à donner à manger à leurs enfants, les voyant dépérir et eux-mêmes ayant faim, il les avaient tués pour se nourrir de leur chair. Heureusement de telles moeurs ne sont que des exceptions, — de hideuses exceptions. Fig. 78. — Indiens en embuscade. Le nombre de ces Indiens du Nord-Ouest va diminuant sensiblement. Ce n'est pourtant pas que les blancs les pourchassent, les traquent, les tuent comme le font les Américains à l'égard des Indiens du Far- West. Ils vivent paisibles possesseurs du sol sur lequel ils sont nés et la Compagnie de la baie d'Hudson a réussi à trouver en eux des auxiliaires utiles. Ici donc les causes de dépeuplement sont différentes. En ne tenant compte de l'anthropophagie que pour mémoire, il y a par-dessus tout les représailles incessantes, les guerres de tribu à tribu une tribu LES DEUX AMÉRIQUES. 187 voyageuse rencontre une tribu ennemie, c'est un combat d'extermina- tion. Doués d'une bonne constitution, ils auraient des gages d'une longue vie si des privations de toute nature, de terribles jeûnes ne les affai- blissaient pas avant le temps. Ainsi lorsqu'ils partent pour la chasse ils n'emportent pas de provisions et ils mourraient de faim plutôt que de rentrer avant d'avoir tué quelque gibier. Ces privations excessives sont souvent suivies d'excès contraires. Après une abstinence forcée de plusieurs mois, si l'abondance survient, ils mangent avec gloutonnerie, et ceux qui ne sont pas morts de faim meurent alors d'indigestion. Une chose qui contribue surtout à abréger leur existence, c'est l'abus des liqueurs fortes. On sait aussi que les populations sauvages tirant exclusivement leur subsistance de la chasse et de la pêche, n'augmentent que dans une très faible mesure, au-dessous de laquelle les font descendre rapi- dement, toutes les fois qu'elles se produisent, les famines, les maladies épidémiques, les guerres, et même le simple contact avec l'élément civilisé. Il y a des exemples saisissants de cette disparition des Indiens du Nord-Ouest. Les Castors, échelonnés le long de la rivière de la Paix, étaient autrefois assez nombreux, mais la maladie les a tellement éprouvés que cette population n'existera bientôt plus que de souvenir de six mille qu'ils étaient il y a une vingtaine d'années, c'est à peine s'il en reste aujourd'hui cinq ou six cents. Quant à eux, à toutes les causes ordinaires, on peut ajouter la paresse des femmes... Ces mal- heureux couchent nus, en plein air faute de tentes, bien qu'ils aient des peaux; mais il faudrait les coudre! Ils dorment à côté d'un petit feu, à demi grillés d'un côté et gelés de l'autre. IV. La chasse et la pêche dans l'Amérique britannique. Les Indiens du nord-ouest de l'Amérique partent au commen- cement d'octobre pour la criasse ou la pêche d'hiver, et au mois d'a- vril ou de mai pour la chasse ou la pêche d'été, employant, l'été, des pirogues creusées dans des troncs d'arbre; l'hiver, les trajets s'accom- plissent en traîneaux auxquels sont attelés une demi-douzaine de chiens, ou à l'aide de raquettes qui s'adaptent à la chaussure et per- mettent de marcher rapidement sur la neige. Dans les vastes prairies où l'on chasse le buffle, et sur les bords de la mer Glaciale, terrain de la chasse au caribou, les Indiens se réunis- sent par bandes et font leurs expéditions en commun. Quelques tentes formées de dix à douze peaux de buffle leur offrent un abri suffisant; chacune d'elles peut être occupée par une vingtaine d'individus. Ces tentes se plient et se transportent avec facilité ; elles présentent lors- qu'elles sont dressées, une forme conique d'environ cinq mètres de hauteur. Des perches, fixées à la base par des piquets , soutiennent l'en- veloppe de peaux ; une ouverture à laquelle deux oreilles mobiles ser- vent d'abat-vent, est ménagée au sommet de la tente et donne une issue à la fumée du foyer, placé au milieu. Ils ont des pièges pour les petits animaux à fourrures le renard, le écan, la martre, le carcajoux, l'herminette, d'autres encore. Quant aux grosses pièces, telles que l'orignal, le bison, le cerf et le caribou, ils savent suivre leur piste et suppléer par la ruse et la patience à l'imper- fection de leurs armes. Ainsi l'orignal ou élan a la vue courte, bien que ses yeux soient gros et très fendus, mais sa longue oreille est très fine et il distingue parfai- LES DEUX AMÉRIQUES. 189 tement les bruits accidentels. Que le vent agite la forêt, qu'il déracine les arbres, l'animal n'en dort pas moins profondément. Sa tête appa- raît de loin armée d'un bois très volumineux ; ses formes, plus lourdes que celles du cerf, ont quelque ressemblance avec celles du cheval, dont pourtant il dépasse la taille; son poil est assez long, très abon- dant, d'une couleur cendrée. L'Indien l'aperçoit, tend son arc, puis il casse une branche; l'animal entend ce bruit insolite... se met sur ses Fig. 79. — Le renne. pattes, s'étire pour se dégourdir et prendre la fuite. C'est ce rapide instant qu'attendait le chasseur, qui vise juste et... lui perce le cœur. La tactique change avec les caribous. Ces animaux, réunis ordinai- rement en troupeaux assez nombreux, se rassemblent dans les vastes contrées incultes qui bordeut la baie d'Hudson. Le caribou, — c'est le renne, — à l'opposé de l'orignal, a de mauvaises oreilles, mais des jambes excellentes qui lui permettent de racheter ce défaut. Les Indiens disent qu'il a des ailes. Il faut, pour l'atteindre, con- naître avant tout ses instincts. C'est encore avec lui une guerre de ruse, 190 LES DEUX AMÉRIQUES. et les sauvages y sont passés maîtres. En été ou en automne, il leur suffit de trouver la piste de ces animaux. Lorsqu'ils connaissent le chemin qu'ils vont suivre, ils se couchent derrière de grands arbres, non loin du lac que les animaux devront traverser, — car ceux-ci ne se laissent détourner par aucun obstacle. Les caribous arrivent en bande, se jettent à l'eau, et au moment où ils atteignent la rive opposée, les Indiens se montrent, en poussant de grands cris ; les caribous, surpris et effrayés, font volte-face clans un dé- sordre extrême ; ils cherchent à regagner le large ; mais, tandis qu'ils s'éloignent difficilement du rivage, en rangs trop serrés, les sauvages lancent leurs canots d'écorce sur le dos des plus vigoureux qui , exci- tés par ce fardeau, achèvent de porter à son comble la confusion de la troupe et entraînent dans une course folle canots et chasseurs. Alors les Indiens, armés de leurs lances, frappent mortellement à droite et à gauche tous les caribous qui sont à leur portée. C'est un vé- ritable carnage. Il ne s'agit plus que de s'emparer des morts qui rougis- sent les eaux de leur sang c'est la deuxième partie de la journée. Nous avons vu que les Sibériens poursuivent aussi le renne dans les lacs et les rivières. Durant les chasses d'hiver, les Indiens ont une autre manière de procéder plus ingénieuse encore. Recouverts d'une peau de caribou, ils vont attendre sur la surface gelée d'un lac le passage d'une bande. Les caribous arrivent à toute vitesse, dépassent les chasseurs , comme s'ils ne les avaient pas vus; puis se ravisant, poussés par une curiosité im- prudente, ils reviennent sur leurs pas, flairer ces animaux qui leur res- semblent et dont l'attitude est inexplicable pour eux. Les Indiens, pro- fitant de ce moment, commencent à leur tirer des coups de fusils. Plus les détonations sont nombreuses, plus les caribous sont surpris, étonnés. Ils courent tout autour des chasseurs qui en abattent aisément un grand nombre, — parfois deux ou trois mille. Chez les Indiens, la pêche ressemble beaucoup à la chasse. Durant l'été, montés dans leurs canots d'écorce, ils poursuivent les poissons avec un dard qu"ils manient fort adroitement. C'est de la sorte qu'ils s'em- parent d'esturgeons énormes dont le poids va parfois jusqu'à cent kilogrammes. LES DEUX AMÉRIQUES. 191 Deux pêcheurs se placeut chacuu à une extrémité du cauot. L'uu gouverne, l'autre tient un dard retenu dans le canot par un rouleau de cordes. Qu'un esturgeon se montre à bonne portée, il est harponné. Il fuit, entraînant canot et pêcheurs, mais ses forces vont s'épnisant et c'est une capture certaine. Disons en passant que ces esturgeons mons- trueux sont loin d'avoir une chair délicate ; on ne les mange que par nécessité. Ceux de la petite espèce ont un goût exquis. L'esturgeon n'est pas le seul poisson des lacs du nord-ouest qui attei- gne un développement aussi considérable. Le brochet y devient aussi excessivement gros ; il y en a qui pèsent jusqu'à cent livres; ce sont de vrais requins d'eau douce, et ils font une guerre cruelle à tous les autres poissons. Les Indiens en aiment fort la chair. Il y a des truites de soixante à quatre-vingts livres ; on distingue la blanche, la jaune, la rougeàtre ; les unes et les autres sont excellentes. Il existe en outre quelques poissons particuliers aux lacs poissonneux de ces régions, — si mal partagées sous tant d'autres rapports ; ce sont le doré, le poisson blanc qui, rôti devant le feu, prend à la fois le goût de la viande et du bon pain, l'inconnu, que les Indiens appellent le pois- son sans dents téouly, et quelques autres de moindre valeur Ta- loche, le toulibri, l'albassoche, etc. Les Indiens pèchent aussi au filet et même, — qui le croirait ? — à la ligne. L'hiver, comme les lacs sont gelés, ils percent la glace qui a quelquefois deux mètres d'épaisseur par cette ouverture, ils ont l'art de jeter le filet au-dessous de la glace et ils se procurent ainsi un aliment quotidien pour eux et les chiens de leurs traîneaux. Y. Contrées avoisinant la Terre Maudite. — Lacs et rivières. — Le grand lac des Esclaves. — Le lac du Grand Ours. — La rivière de la Paix. — La rivière des Lyards. — Les forts de la Compagnie de la baie d'Hudson. Les plaines désertes qui s'étendent du lac Athabaska, — où nous avons fait une longue halte, — jusqu'aux rives de la mer Glaciale, jus- qu'aux embouchures du fleuve Mackensie, peuvent ajuste titre figurer sur une carte des contrées du globe encore inconnues. C'est le même système de lacs reliés entre eux par de nombreuses rivières. C'est ainsi que le lac Athabaska communique par la rivière des Esclaves avec le grand lac des Esclaves. Ce lac, le plus considérable de tous ceux de la région, est encombré de petits îlots, verdoyants aux jours de soleil, quelques-uns hauts de trente à quarante mètres, parfois du double ; sa surface est gelée d'un bord à l'autre durant la moitié de l'année. La Compagnie de la baie d'Hudson possède trois établissements sur ses rives le fort Providence au nord , le fort Résolution au sud, et le fort Reliance à l'extrémité nord-est du lac c'est dans ce dernier que se déroulent quelques-unes des scènes les plus intéressantes du roman de M. Jules Verne le Pays des fourrures. Au nord du lac, d'épaisses forêts de peupliers, de pins et de bouleaux confinent à cette portion désolée du continent américain qui a reçu , non sans raison, le nom de Terre Maudite. La rive opposée, sans une seule élévation du sol, est, pour ainsi dire, la limite que ne franchissent plus les bisons. Les eaux du grand lac des Esclaves sont abondamment pois- sonneuses. Avancer davantage vers le nord, ne pas négliger volontairement le lac du Grand Ours, et tout le cours du Mackensie, ce serait rentrer dans la région polaire dont nous avons étudié le régime et la vie. CONTRÉES MYSTERIEUSES. 25 194 LES DEUX AMÉRIQUES. Disons toute fois que lors de la recherche de sir John Franklin et ses compagnons, le lac du Grand Ours fut assigné par l'amirauté an- glaise à sir John Richardson pour ses quartiers d'hiver. L'explorateur devait battre le pays entre la rivière des Mines de cuivre, la terre de Wollaston et le fleuve Mackensie, en s'appnyant sur le fort Bonne-Es- pérance situé sur ce dernier fleuve, et le fort Confidence qui est au nord du lac du Grand Ours. La Compagnie de la baie d'Hudson se chargea du transport, à travers ses vastes domaines, des bateaux destinés à l'exploration des côtes de la mer et des cours d'eau. Mieux vaut aller vers l'ouest, se rapprocher des montagnes Rocheuses qui nous ramèneront vers le Far- West », objet de nos plus prochaines investigations. Aussi bien est-il impossible de ne pas accorder quelque attention à l'un des affluents du lac Athabaska, la rivière de la Paix. En la remontant nous allons vers les montagnes Rocheuses. En effet cette rivière importante prend sa source dans un petit lac si- tué au milieu de ces montagnes. Dans son cours rapide depuis sa source jusqu'au lac dont elle est tributaire, elle s'est creusé un lit très profond ; sur son parcours ses rives sont bordées de masses rocheuses fort élevées. Vers la fin du mois de juin et pendant le mois de juillet, la rivière, accrue par la fonte des glaces des montagnes où elle prend sa source, charrie des arbres de haute futaie. La masse d'eau de cette rivière à cette époque est énorme, et fait monter de trois on quatre mètres la vaste superficie du lac Athabaska, en s'y déversant. Les terres traversées par la rivière de la Paix fourniraient un sol fé- cond s'il était livré à la culture. Un missionnaire a vu au fort Vermil- lon des épis de blé en parfaite maturité. D'immenses prairies, dédai- gnées maintenant des buffles, sont bornées à l'horizon par des hauteurs boisées. Aujourd'hui tous les affluents de cette grande rivière abondent en castors. C'est la présence de ces animaux qui a fait donner aux In- diens échelonnés le long des rives le nom de Castors. Outre le fort Vermillon , la Compagnie de la baie d'Hudson possède deux autres forts sur cette rivière, le fort Dunvergun et, presque à sa source, le fort John. A soixante-dix lieues à l'ouest, un autre cours d'eau considérable coule parallèlement à la rivière de la Paix, c'est la rivière des Lyards, — le LES DEUX AMERIQUES. 105 lyard est nue sorte d'arbre, — qui descend des montagnes Rocheuses avec l'impétuosité d'un torrent. Les timoniers métis quand ils se ha- sardent sur ses eaux se fout attacher à leur canot pour triompher de la violence du courant. Fig. 81. — Pont suspendu des Indiens. Et maintenant, avant de franchir ces montagnes Rocheuses qui se trouvent sans cesse à notre horizon, nous allons abandonner l'Améri- que britannique et descendre au sud pour visiter les territoires nouvelle- ment constitués de l'ouest, c'est-à-dire la vaste région, sauvage encore, qui s'étend à l'ouest des États-Unis le Far-West. VI. Les Peaux Rouges et les Visages Pâles. — Hostilité permanente. — La légende de Fergusson. — LTne rixe sanglante. — Ruse de Peau Rouge. — Incendie clans la Prairie. — Scalpé ou brûlé vif. — Quelques relations amicales. — Les Français du Canada. — Les Quakers. — John Smith et Pocahontas. — Ce qu'était l'Amérique il y a deux siècles. — La forêt vierge. Le voyage de Chateaubriand dans le nouveau monde, la peinture qu'il nous a faite de la vie des Natchez , le récit des amours d'Atala et de Chactas, nous ont fait connaître une Amérique pittoresque, poétique et grandiose, — avec ses larges fleuves, ses forêts vierges, ses cités nées de la veille. A leur tour, les romans de Fenimore Cooper sont venus séduire les jeunes imaginations par les tableaux si colorés, si vrais, si séduisants qu'ils présentent. C'est dans ces compositions que nous avons tous appris à aimer ces Indiens, héroïques dans leur résistance à l'invasion de leur pays; ces pionniers qui, presque toujours pour secouer toute contrainte des institutions sociales, s'en vont au loin dans le désert, et justement pour le plus grand profit de cette civilisation dédaignée par eux ; ces colons, — véritables chasseurs de terre » comme on les a appelés, — maniant également la bêche et la carabine, qui font des conquêtes sur un sol n'ayant jamais été défriché, toujours prêts à soutenir une lutte acharnée contre des sauvages qui se mettent sur le sentier de la guerre » non par gloriole ou turbulence, mais avec l'énergie du déses- poir. Chateaubriand et Cooper, — celui-ci du moins pour la plupart de ses romans, — ont placé les cadres de leurs œuvres dans la région des grands lacs, où se sont formés depuis des centres de population ; mais il suffit pour que les peintures des deux grands écrivains gardent toute la vive animation de leur coloris, de se porter un peu vers l'ouest du continent LES DEUX AMERIQUES. 107 américain, au delà du Mississipi, coteau de la torture. 232 LES DEUX AMÉRIQUES. sont lasses de ces passe-temps féroces, elles allument du feu sur le ventre de leur victime qui expire dans d'affreuses souffrances, tandis qu'elles se mettent à danser en rond. Quelles sont donc les querelles qui arment les tribus les unes contre les autres ? Quelquefois c'est à l'occasion d'un territoire neutre violé, d'une frontière franchie; un champ de chasse est disputé; le plus souvent, il s'agit de représailles à exercer pour quelque ancien méfait impossible à pardonner. Il y a aiusi des haiQes qui s'éternisent. Autrefois, au temps de la guerre de l'Indépendance, des tribus entières ont pris fait et cause en faveur des Américains, soutenus par les Français, ou en faveur des Anglais. Aujour- d'hui les Peaux Rouges n'essayent pas de s'entendre pour s'unir contre les Visages Pâles. Ils continuent de guerroyer entre eux, et de temps à autre contre les Yankees, dont ils attaquent les convois dans les prairies. D'après ce qu'on sait de la théologie des Indiens, Hiawitha ou Kitchi Manitou, le Grand-Esprit, est une divinité suprême qui règne au som- met des cieux et au nom duquel gouvernent une foule de ministres ou de divinités secondaires, beaucoup plus réelles et vivantes que lui. Suivous M. Élie Reclus dans ses Fragments de morale indienne, pour mettre un peu d'ordre dans les divinités de cet Olympe de sauvages. Les principales de ces divinités sont au nombre de six, dont quatre habitent les quatre points cardinaux, — pays des vents, — et sont su- bordonnées aux Génies du ciel et au Génie de l'eau; ce dernier est l'Être malfaisant. Mais le personnage le plus considérable de cette mythologie est Me- nabochou, Créateur, Homme-Dieu et Prométhée. Les Peaux Rouges le confondent presque constamment avec leur Dieu suprême, dont il est la réalisation et la personnification la plus immédiate, en même temps que son incarnation humaine et perpétuelle. Car Menabochou n'a pas abandonné le monde, son ouvrage, et continue à l'habiter à la façon d'un Indien. Menabochou a femmes, enfants et neveux, il fume sa pipe, et quand il a faim il se serre le ventre. » C'est à Menabochou que l'on doit le paradis des âmes, auquel le grand Manitou n'avait point songé, — oubli fâcheux ! Grâce à Menabo- LES DEUX AMÉRIQUES. 233 chou, les âmes ne s'ennuient plus après la mort ; elles se rassemblent clans les prairies heureuses », où elles dansent et jouent du tambour toute la journée plus de guerre, plus de chasse, plus aucun travail. ce Presque tous les Indiens, dit M. Élie Reclus, ont transporté leur paradis à l'ouest, par delà l'océan Pacifique, et il est à remarquer que leurs jossakids » ou devins sont réputés d'autant plus puissants qu'ils habitent davantage vers l'occident. Leur imagination aurait-elle été Kg. 92. — La danse du scalp. frappée par les splendeurs du couchant, baignant de ses vapeurs dorées les coteaux lointains, par delà lesquels la paix, le bonheur et la gloire semblent habiter un pays inconnu, tout rayonnant de lumière dorée ? Serait-ce que leurs légendes, reportant leurs origines vers l'orient, éta- bliraient une analogie poétique entre le matin et la naissance, le déclin du jour et le soir de la vie, la nuit et la tombe, entre un pays que le soleil parcourt pendant la nuit et celui où se rendent les âmes après la mort? Peut-être ont-ils pensé que les âmes marchaient sur la trace du soleil par le chemin des étoiles, par cette voie lactée que les Indiens appellent le sentier de la mort » ? CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. ;0 234 LES DEUX AMÉRIQUES. La cosmogonie très élémentaire des Indiens s'est fort bien accom- modée des récits bibliques et des légendes chrétiennes répandues par les missionnaires. Qu'on nous permette pour en fournir un exemple curieux, — nous pourrions multiplier ces exemples, — de rapporter ici l'histoire de la créa- tion et du péché originel. On y verra que Marie dont les Indiens ont plus entendu parler que d'Eve, y est confondue avec notre première mère. Autrefois la mer s'étendait partout. Kitchi Manitou, — d'autres di- sent Menabochou, — forma d'abord le rivage en répandant du sable tout autour du lac ; et il trouva qu'il faisait bon s'y promener. Un jour il aperçut une petite racine qu'il enfonça dans le sable ; et le lendemain cet endroit s'était transformé en une forêt de roseaux où bruissait et murmurait le vent. Cela lui fit plaisir, et désormais il ramassa toutes les graines qu'il rencontrait ; et bientôt le pays se couvrit d'herbes et de forêts, où les oiseaux et les bêtes vinrent habiter. Chaque jour il ajou- tait quelque chose à son domaine, et il n'oublia pas de mettre des pois- sons dans l'eau. Par aventure , il se vit un jour fort surpris en rencontrant sur la plage un étrange animal, couvert des pieds à la tête d'écaillés d'argent étincelantes, et qui rongeait les jeunes pousses de roseaux. C'était un homme. Il ne jwuvait pas parler, mais il soupirait bien souvent. Kitchi Manitou, devinant son ennui d'être seul, le prit dans son canot et le porta dans l'île qui se trouve encore au milieu du lac Supérieur; et il se mit immédiatement à l'œuvre pour lui fabriquer une femme. Il la cons- truisit à peu près comme lui et la recouvrit également d'écaillés d'ar- gent, et il lui souffla la vie par la bouche. Après il lui dit Cherche le long du rivage, et tu trouveras qui te fera de la joie. » Elle se mit donc à chercher; elle cherchait, elle cherchait tous les jours. L'homme, qui ne se doutait de rien, continuait à manger ses pousses de roseau. Un jour qu'il s'avança plus loin que d'habitude, il découvrit avec effroi de nombreuses traces de pieds sur le sable... Si c'était une méchante horde d'Indiens! » pensa-t-il, et il se réfugia daus le taillis. Enfin, il aperçut la femme, endormie de fatigue sur un tronc d'arbre. Il la con- templa, il la contempla longtemps, et la saisissant par le bras LES DEUX AMÉRIQUES. 235 Qui es-tu ? lui demauda-t-il, car à sa vue la parole lui vint tout d'un coup. Comment t'appelles-tu? D'où viens-tu? — Je m'appelle Mani Marie et Kitchi Manitou m'a dit déjà que je te trouverais. — Et que mauges-tu? — Je n'ai encore rien mangé, il me tardait trop de te trouver. Donné- es moi tout ce que tu voudras. » Aussitôt l'homme sauta dans le taillis et lui chercha des herbes et des racines. Kitchi Manitou, qui regardait de loin, se sentit ému, et^vint les prendre dans son canot pour les amener dans son île, où ils trouvè- rent une maison, avec des vitres aux fenêtres , avec des chaises, des lits et des tables. A côté, un joli jardin avec des pommes de terre, des ha- ricots, des prunes et des cerises ; plus loin, un grand champ de maïs. ceu dans la bouche. Les Marahuas du Javari, très agréablement peinturlurés, remplacent les moustaches et la barbe absentes par des épines de palmier de six pouces de long, ou de mimosa, fichées dans les lèvres et le menton, troués à cet effet comme une écumoire. Chez les Lenguas, les hommes et les femmes ont les oreilles percées de bonne heure. En y passant un morceau de bois, dont on augmente sans cesse le volume, on parvient, à l'âge où partout naît l'ambition, à constater que le lobule de l'oreille peut recevoir un rondin d'une res- pectable grosseur. Vers l'Equateur, les Ccotos et les Anguteros per- cent aussi leurs oreilles et parviennent à y enchâsser des rondelles en bois de cécropia d'un volume phénoménal. Ajoutons comme singularité, que les Indiens Charbonniers » du désert de sable qu'on nomme la Pampilla, ainsi que des Indiens de plusieurs autres tribus, reçoivent un aspect étrange de leur forte chevelure nouée derrière la tête en 352 LES DEUX AMÉRIQUES. queue de cheval. Les Yuracarès attachent leur couteau à leurs cheveux, par derrière. Si l'on passe au caractère, il est impossible de généraliser. Il y a des Indiens d'une humeur douce, comme les Quichuas, lesquels vont jus- qu'à l'apathie et à la mélancolie ; il y en a d'efféminés, comme les Mocéténès ; il y en a d'affables et d'hospitaliers, comme les Changos. Les Antis sont bons, humbles et serviables. Au Brésil, les Mondurucus ont paru de braves gens » à Lucien Biart, et leur bonhomie, disait-il, le réconciliait avec la race indienne. On rencontre des populations qui se font remarquer par leur viva- cité, leur loquacité, comme les Chontaquiros du Pérou; d'autres au contraire se montrent taciturnes, comme les Yuracarès. Les Indiens qui se nourrissent de tortues, comme les Conibos, semblent plongés dans une sorte de torpeur la lenteur de leur esprit obtus, leur jovialité un peu niaise, sont écrites dans leurs yeux vagues, sur leurs joues massives. Il y a des Indiens hautains; il y en a de hardis, d'entreprenants; on a pu noter l'arrogance des Tacanas, la rudesse et l'indiscipline des Chon- taquiros. Les Muras de l'Amazone sont voleurs, n'ont aucune parole et professent une invincible antipathie pour les hommes qui n'appartien- nent pas à la race rouge. Dans un concours de vertus attardées », — on fait bien des courses de lenteur au vélocipède! — une médaille pour la malpropreté individuelle pourrait être offerte aux Lenguas du Para- guay. Mais le trait qui domine assurément parmi les populations encore insoumises de l'Amérique du Sud, c'est la cruauté, l'humeur belliqueuse et farouche. Les riverains du Caqueta, et des affluents du Napo, les Indiens nomades de la Pampa, et bien d'autres sont toujours dispos pour le pillage, l'incendie, le meurtre et le rapt. Enfin il existe encore parmi les Indiens des anthropophages. Les Miranhas sont considérés comme tels par les tribus voisines, — qui peut-être les calomnient. Nous ne conseillerions à aucune personne dodue et bien en chair d'aller vérifier la chose. Au dire des habitants du bassin de l'Amazone, les Ccotos de la rive droite du Napo et les Anguteros , qui habitent les forêts situées sur la gauche de ce cours d'eau, sont voleurs, assassins et anthropophages. LES DEUX AMERIQUES. 353 Ces deux castes, nous apprend M. Marcoy, ue hantent guère, du- rant le jour, les plages du Napo, par frayeur des trafiquants de salse- pareille. Mais ils se dédommagent de cette contrainte en y venant la nuit, et malheur à l'imprudent voyageur qu'ils trouvent endormi sous sa moustiquaire ! Ils s'en approchent sans bruit, soulèvent les plis de la toile et percent le dormeur de leur lance emmanchée d'un bambou Fig. 131. — Indiens anthropophages. tranchant et effilé, large de six pouces. Le mangent-ils ensuite? — Tout le monde l'assure, mais nous n'osons pas l'affirmer. » Une autre tribu importante se signale de temps en temps par sa féro- cité la dernière fois que les Tobas du Pilcomayo ont fait parler d'eux , c'est lorsqu'ils ont massacré le docteur Crevaux et le personnel de la mis- sion que ce savant voyageur dirigeait, — sauf le Français Ernest Haurat et l'Argentin Carmelo Blanco qui purent d'abord se sauver à la nage, mais demeurèrent prisonniers. Les Tobas, dit le docteur Demersay, dans son Histoire du Paraguay, fiers, jaloux de leur liberté, ont de tout temps montré des dispositions hostiles aux créoles et n'ont cessé d'inquiéter leurs établissements, tantôt en les attaquant à force ouverte, CONTRÉES .MYSTÉRIEUSES. 45 354 LES DEUX AMÉRIQUES. tantôt en pillant leurs troupeaux. Les villes de Corrientes et de Santa- Fé, cette dernière surtout, eurentbeaucoup à souffrir de leurs déprédations. Les Santafécinos, aidés par les gouverneurs des provinces voisines, ont à plusieurs reprises dirigé contre leurs ennemis implacables de coûteuses et sanglantes expéditions. Cette lutte entre la barbarie et la civilisation continue de nos jours plus ardente que jamais. Un voyageur raconte que les Indiens ont fait sur les rives du Salado, du mois d'avril 1854 au mois d'août 1855, six invasions qui ont coûté à la province de Santiago cent treize habitants emmenés comme captifs ou assassinés sur place. Nulle sécurité pour les habitations éparses, ni même pour les villes. Ces hordes pillardes, qui savent doubler les forces et la vitesse du cheval, traversent comme une avalanche d'immenses déserts, et tombent tout d'un coup sur de pauvres familles, presque folles de frayeur et sans dé- fense. Qu'on suppose ces Indiens pourvus quelque jour d'armes à feu, et ils viendrout impunis asseoir lgurs tentes sur les ruines des cités. » Et le docteur Demersay ajoute avec une profonde conviction En attendant que le croisement des races les fasse entrer, modifiés et adoucis, dans la grande famille humaine, l'imminence du péril oblige à des mesures énergiques d'extermination... » En somme les Indiens de l'Amérique du Sud non soumis, — los In- dios bravos, — laissent encore énormément à désirer. Quant aux Indiens i civilisés », les mazos, ils ne présentent pas en général un spectacle bien encourageant leur paresse, leur ivrognerie, leurs vices sont loin de donner une idée brillante de l'avenir réservé aux autres on dirait que ces malheureuses races ne sont aptes à prendre de la civilisation que ses mauvais côtés. Parmi ces Indiens sauvages, un grand nombre de tribus vivent à l'état de nudité; et pourtant, dans certaines régions humides les mous- tiques leur font une guerre d'extermination. Quelquefois une ficelle autour des reins compose tout le costume, ou encore quelque orne- ment superflu fait oublier les parties absentes du vêtement les Mayorunas couvrent leurs narines de pièces d'argent et leur menton de plumes de perroquet voilà tout! Ailleurs, on voit des brassards enjolivés de plumes, des bandes de coton tissé au-dessus des chevilles des pieds c'est encore peu de chose... LES DEUX AMÉRIQUES. 355 Dans l'Amérique équinoxiale la nudité des femmes est absolue, sauf les jours de réjouissance, ou lorsque les tri- bus se déclarent respectivement la guerre. Alors hommes et femmes portent uue cein- ture, des bretelles de coton ; des colliers de verroterie, de peaux de serpent, de graines , de fruits, ou encore de dents de caïman, de jaguar, d'ours, de puma, de singe; des pen- deloques d'or et d'argent aux oreilles ; une couronne de plumes sur la tête. Un voyageur, M. Ed. André, dit que dans ces grandes circonstances, les narines et la lèvre supérieure des femmes sont trouées pour supporter de petites baguettes couvertes de fines plumes de colibri ; leurs oreilles sont ornées de la même manière ou de morceaux d'or, et leur lèvre inférieure est percée de trous d'où plusieurs épines font saillie air dehors ». Qui s'y frotte s'y pique! Quant aux Indiens qui montrent quelque souci de se vêtir, — il en est peu qui soient aussi complètement habillés que le sont les femmes des Yuncas du Pérou, — les uns se bornent à s'attacher une pièce d'étoffe ou une peau autour des hanches et à se couvrir les épaules de la dépouille des animaux des forêts. Les Indiens Mocoas ont pour se couvrir un morceau d'étoffe grossière, sorte de droguet fabriqué dans la république de l'Equateur et large d'un mètre, sur deux de long. Une fente médiane permet de passer la tête, et les deux moitiés qui retombent sont atta- chées à la ceinture par une autre bande d'étoffe ou de cuir. Le sac qui sert de tunique aux Chontaquiros du Pérou a un capuchon. 356 LES DEUX AMÉRIQUES. Fig. 133. — Jeune femme Yuucas, du Pérou. aux villages où ils trouvent d'autr Forster, le savant compagnon de Cook, soupçonna que ces îles circu- laires sont des cratères de volcans exhaussés par les polypes. Cette explication est insuffisante. Il faut dire encore que, volcans ou sommets de montagnes, sont descendus peu à peu au niveau de la mer. C'est lorsque ces hauteurs ont été sur le point de disparaître que le travail des polypes, recommencé sans doute bien des fois sur une plus vaste circonférence, a surgi, formant un anneau entouré de ce qui demeurait au-dessus de l'eau sons la forme d'un îlot. Entre l'anneau battu par les flots et l'îlot central, la mer dort dans un bassin tranquille. Quel- ques plantes de trois ou quatre espèces, dit encore Michelet dans son beau livre sur la Mer, font une couronne de verdure clairsemée an bas- sin antérieur. L'eau est du plus beau vert. L'anneau est de sable blanc résidu de coraux dissous en contraste avec le bleu foncé de l'Océan. Sous l'eau salée, nos ouvriers travaillent selon leurs espèces ou leurs 398 L'OCÉANIE. caractères, les uns plus hardis aux brisants, aux côtés paisibles les bonnes gens timides. Voilà un monde peu varié. Atteudez. Les vents, les courants, tra- vaillent à l'enrichir. Il ne faut qu'une bonne tempête pour que les îles voisines fassent la fortune de celle-ci. C'est là une des plus magnifiques fonctions de la tempête. Plus elle est grande, violente, tourbillonnante, enlevant tout, plus elle est féconde. Une trombe passe sur une île ; le torrent qu'elle y produit, chargé de limon, de débris, de plantes mortes ou vivantes, parfois de forêts arrachées, flot noir, bourbeux, perce la mer, et bientôt, poussé des vagues ici et là, distribue ces présents aux îles prochaines. Un grand messager delà vie, et l'un des plus transportables, c'est la solide noix de coco. Non seulement elle voyage ; mais, jetée sur les récifs, si elle trouve un peu de sable blanc, où périraient d'autres plantes, elle y prend et s'en contente. Si elle trouve une eau saumâtre qu'aucun n'aimerait, elle la compte pour eau douce, et vit là, et s'enfonce là. Elle germe , elle pousse, et c'est un arbre, un robuste cocotier. Un arbre c'est bientôt de l'eau douce, et des débris, donc de la terre. Cela invite d'autres arbres, et bientôt l'on voit des palmiers. Des vapeurs arrêtées par eux se fait un ruisseau qui coulant du centre de l'île, maintient dans la blanche ceinture une percée que respectent les polypes, habitants de l'eau salée. > Les savants ont consacré le nom d'attoles donné par les Indous aux îles de coraux à lagunes de l'océan Pacifique. Les plus remarquables sont le groupe d'attoles de l'archipel de Radak visité par Chamisso, l'île de Borabora, l'île de Witsunday dans l'archipel de Pomotou, l'île Keeling ou des Cocos à environ deux cent quarante lieues de la côte de Sumatra. Le cercle de récifs qui forme une lagune laisse libre un chenal qui tournoie entre des coraux délicatement ramifiés. C'est le passage que prennent les vaisseaux pour chercher un mouillage à l'intérieur. Dès l'entrée, dit Darwin, qui a visité les attolesde l'Océanie, le spectacle est ravissant. L'eau, calme, limpide, transparente, peu profonde, repose sur un lit blanc, uni, fin. Le soleil, dardant ses rayons verticaux sur cette immense plaque de cristal, de plusieurs milles de largeur, la fait resplen- L'OCÉ ANIE. 399 dir du vert le plus éclatant ; des ligues de brisants, frangées d'une éblouissante écume, la séparent des noires et lourdes vagues de l'Océan et les festons réguliers et arrondis des cocotiers, aux palmes vertes, épars sur les îlots, se détachant sur la voûte azurée du ciel, achèvent d'encadrer ce miroir d'émeraudes, tacheté çà et là par des lignes de vivants coraux. » La mer attaque sans trêve, de ses grandes vagues, cette barrière née de la veille, et arrache d'énormes blocs de rochers ; mais le travail in- cessant de ces myriades d'architectes, à l'œuvre nuit et jour, répare les brèches ; et l'on est bien forcé de reconnaître que le corps mou et gélati- neux d'un polype sait vaincre, par l'action des lois vitales, l'immense pouvoir mécanique des vagues de l'Océan auxquelles ne résisteraient ni l'art de l'homme, ni les ouvrages de la nature. Deux naturalistes très distingués, Gaimard et Quoy, ont victorieuse- ment soutenu que les polypes du corail n'établissent jamais leur de- meure à une grande profondeur, où ils ne pourraient résister à l'exces- sive pression de l'eau; ils commencent leurs travaux à quelques brasses seulement au-dessous du niveau de l'Océan, en s'établissant sur les hauts-fonds. L'illustre Darwin a donné, depuis, à leur assertion le poids de son autorité. Ainsi, on l'a déjà compris, ce n'est pas du fond de la mer qu'ont surgi ces îles à fleur d'eau. Ces hauts-fonds sur lesquels les lithophytes bâtissent ont été formés par des montagnes, par des îles lentement descendues l'une après l'autre sous les vagues, offrant suc- cessivement de nouvelles bases à l'établissement des coraux, — mondes finis et qui veulent renaître. Si la navigation à travers l'océan Pacifique et le grand Océan n'est pas exempte de périls, s'orienter dans ces mers pour décrire les îles et les grandes terres qu'on y rencontre n'est pas non plus sans quelque dif- ficulté. Les géographes ont adopté pour cette partie du globe une divi- sion toute conventionnelle. Ils ont réparti les diverses terres grandes et petites entre les quatre groupes suivants 1° La Malaisie, dont les habitants appartiennent à la race malaise, caractérisée par son peu de barbe, sa petite taille, le teint rouge-brun de sa peau. Cette région de l'Océanie comprend l'archipel de la Sonde 400 L'OCÉANIE. Java, Sumatra, Banca, Timor, Bornéo, les Célèbes, les Moluques, les Philippines. 2° La Mélanésie, ainsi nommée à cause de sa population noire. Elle possède un vaste continent l'Australie et de grandes terres comme la Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-Calédonie, la Nouvelle-Bretagne, les Nou- velles-Hébrides, auxquelles il convient d'ajouter les îles Salomon et les Louisiades. Les Australiens sont des sortes de nègres chétifs;les Papouas de la Nouvelle- Guinée, avec leur peau noire et leur barbe bien fournie, représentent la portion la mieux partagée du groupe mélanésien. 3° La Polynésie ce mot signifie îles nombreuses. Elle renferme la Nouvelle-Zélande, les îles Viti ou Fidji les îles Marquises, Taïti, les îles Tuamotou, les îles Gambier, les îles Sandwich, les îles Samoa, les îles Tonga. Les Polynésiens ont le teint plus clair et les traits plus réguliers que les hommes de race malaise. 4° enfin, la Micronésie petites îles est, elle-même, enclavée clans la Polynésie. On y compte les îles Carolines, les Mariannes, les îles Mars- hall, les îles Palaos, et quelques autres. L'évaluation de la population des terres océaniennes varie entre vingt-cinq millions et trente-cinq millions. Nous assisterons, dans cette partie du globe, à la disparition inévita- ble des sauvages que la présence seule des Européens semble frapper de mort. Comme on l'a dit, la violence vis-à-vis de ces aborigènes est un crime gratuit, puisque le simple contact de l'homme civilisé tue le sauvage. De tous les peuples disséminés dans ces îles nombreuses de l'Océanie, il n'y aura plus, dans un siècle, que de rares tribus. C'est le monde européen, élément plus fort, qui se substitue fatale- ment aux races indigènes demeurées indolentes et farouches. On a remarqué toutefois que les populations de race malaise résistent beau- coup mieux au contact des Européens que les Polynésiens, peut-être parce qu'elles y ont été graduellement préparées par des siècles de re- lations avec les races supérieures de l'Asie. L'influence des races n'explique peut-être pas suffisamment cette im- possibilité apparente de s'initier à notre civilisation que l'on remarque chez certains peuples. On a dit avec raison que le principal obstacle à l'initiation des peuples actuellement sauvages, c'est la trop grande dis- L'OCÉANIE. 401 tance existant entre leur culture élémentaire et la nôtre. Il y a là un abîme que ni les uns ni les autres ne peuvent franchir. Pour dégrossir des sauvages, des barbares vaudraient mieux que des gens civilisés ; il faudrait qu'il y eût des points de contact entre deux peuples pour que le plus avancé entraînât l'autre. Mais comme on met en présence les deux extrêmes de la sauvagerie et de la civilisation, le sauvage effa- rouché fuit ou meurt, et l'initiateur déconcerté demeure persuadé qu'il a affaire à des créatures d'une espèce inférieure qu'il peut légitimement refouler ou détruire. Nous retrouverons l'anthropophagie encore existaute dans certaines parties de l'Océanie et se pratiquant de manières diverses chez les Bat- tas de Sumatra, les Tidouns de Bornéo, les Papouas, les Maindanais des Philippines, les insulaires de Piguiram îles Carolines, en Nouvelle- Zélande, dans tout l'archipel Viti, très probablement dans la Nouvelle- Irlande, dans l'archipel Salomon où le cannibalisme exerce toutes ses fureurs, à Tanna Nouvelles-Hébrides , à la Nouvelle-Calédonie, mal- gré l'occupation et la colonisation française, et dans certaines tribus du centre et du nord de l'Australie, notamment au détroit de Torrès. Mais déjà notre voyage est commencé en quittant l'Amérique, nous étions en vue des îles Gallapagos, îles sans importance, mais dont nous demandons la permission de dire quelques mots, à cause de ses hôtes emplumés, — les oiseaux familiers. Cet archipel, qui a appartenu à la République de l'Equateur jusqu'en 1855, époque de sa cession aux Etats-Unis, consiste en dix îles princi- pales formées de rocs volcaniques, situées sous l'équateur et assez près des côtes de l'Amérique du Sud pour pouvoir être considérées comme des satellites de ce continent. Plusieurs des cratères qui dominent les plus grandes îles sont im- menses et s'élèvent à plus de mille mètres. Sur leurs flancs s'ouvrent d'innombrables orifices, et l'on peut sans hésiter évaluer à au moins deux mille les cratères de cet archipel. La flore de quelques-unes de ces îles n'a d'analogue pour sa pauvreté que la flore arctique. Un acacia et un grand cactus d'un port bizarre sont les seuls arbres qui fournissent uu peu d'ombre ; les feuilles et les CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. il 402 L'OCÉANIE. fleurs que donnent ces arbres sont si maigres qu'à très peu de distance on croirait leurs branches dépouillées comme en hiver. Quant à la faune, elle n'est pas plus riche des lézards, des serpents, de nombreuses tortues, point de crapauds ni de grenouilles. Darwin a réuni quelques échantillons d'oiseaux de l'intérieur des terres, tous spé- ciaux à cet archipel. Merles moqueurs, pinsons, roitelets, gobe-mou- ches,pigaons et busards, présentent cette singulière particularité de se laisser approcher d'assez près pour qu'on puisse les abattre avec sa badine ou même d'un coup de chapeau. Un jour que j'étais couché à terre, raconte Darwin, un merle vint se poser sur le bord d'une écuelle faite d'une écaille de tortue que je tenais à la maiu, et se mit tranquillement à boire ; je levais le vase sans qu'il s'envolât. J'ai tenté d'attraper ces oi- seaux par les pattes et peu s'en est fallu que je ne réussisse. Il paraît qu'au- trefois ils étaient encore plus familiers qu'à présent. Cowley a écrit en 1684 Les tourterelles sont si peu craintives qu'elles se posent sur nos chapeaux et nos épaules, de manière qu'on peut les prendre vivantes. Elles n'avaient aucune crainte de l'homme jusqu'à ce que quelqu'un des nôtres, ayant tiré sur elles, les eût mis en défiance. » Dampier dit aussi, à la même époque, qu'un homme pouvait facilement tuer six àsept dou- ce zaines de ces oiseaux dans sa promenade du matin. » Aujourd'hui, quoi- que peu farouches, les tourterelles ne perchent pas sur la tête des gens et ne se laissent pas massacrer en si grand nombre... Dans l'île Charles 1 , je vis un jeune garçon assis près d'une source, une baguette à la main ; il s'en servait pour tuer les tourterelles et les pinsons à mesure qu'ils venaient boire. Il en avait déjà un petit tas qu'il destinait à son dîner. C'était, disait-il, sa façon habituelle de s'approvisionner. Il semble que les oiseaux de cet archipel n'ont pas encore appris que l'homme est de tous les animaux le plus dangereux... On peut conclure de ces faits et de beaucoup d'autres analogues, ajoute le célèbre naturaliste, que la ter- reur de l'homme chez les oiseaux est un instinct particulier, qui ne s'ac- quiert qu'au bout d'un certain temps, même quand il y a persécution, et qui se transmet par l'hérédité à travers des générations successives. » 1 L'île Charles est habitée par une petite colonie de déportés politiques bannis de la répu- blique de FÉquateur. La végétation y est vigoureuse ; il y a des bois, des cultures de patates et de bananes. Les pauvres habitants y vivent de porcs et de chèvres sauvages et surtout de tortues. IL La Polynésie. — Ile de Pâques. — Ducie. — L'île Elisabeth. — Pitcairn. — L'archipel de Gam- bier. — L'arbre à pain. — Les huîtres perlières. — Taïti, la Nouvelle-Cythére. — Ses jeunes filles. — Les îles Marquises. — Les plus beaux Polynésiens. — La léproserie des îles Saud- wich. — Héroïsme du P. Damien. — LeMauna-Loa. — Les îles Hervey. — L'archipel de Sa- moa. — Les cent cinquante îles, îlots et écueils de l'archipel de Tonga. — L'Ile ou Christian et ses compagnons. — La Nouvelle-Zélande. — Ses beautés naturelles. — Les bassins de ses ce grandes eaux ». — Les fougères arborescentes. — Le pin Kauri. — Le plus beau lin du monde. — L'ouragan de sable. — Les Maoris. — La guerre et le cannibalisme. — Le Pai Ma- ririsme. La première île véritablement océanienne que l'on rencontre en ve- nant de l'est, c'est l'île de Pâques, nommée aussi Vaïliou. Elle se trouve très isolée, en plein océan. Ses montagnes et leurs cratères éteints ac- cusent une origine volcanique. Tous ses rochers sont noirs, brûlés, et poreux comme des rayons de miel. Le sol est couvert d'une terre rou- geâtre calcinée et réduite en poussière. Sur ce sol mêlé de lave, de sco- ries, ne croissent que quelques végétaux et aucun arbre, ce qui est sur- prenant pour une île située sous un aussi beau climat. On y trouve une population de cinq à six cents habitants. C'est le reste d'environ trois mille insulaires issus de Polynésiens ou de Malais venus de l'ouest, — vraisemblablement les hommes qui taillèrent les deux cents bustes à gaines colossales qu'on voit dans l'île, debout et entières ou gisantes et brisées, placées sur des constructions qui contiennent des tombeaux. Il y a quelques années, l'île de Pâques fut tout à coup dé- garnie de sa population une flottille de flibustiers péruviens enleva de vive force les habitants pour les transporter dans les îles à guano du Pérou, sous prétexte que l'on manquait de bras pour la fructueuse ex- ploitation de cet engrais. Les malheureux qui, à l'expiration de leur contrat », ont revu leur île, y ont rapporté la petite vérole, qui y règne en permanence. Par suite de la dépopulation, les longues maisons de 404 L'OCÉANIE. 100 mètres et plus construites eu lave, et qu'habitaient des tribus en- tières, tombent eu ruines. Nous passons sans nous y arrêter devant Ducie, îlot bas, inhabité, couvert de broussailles, au centre duquel se' trouve un petit bassin d'eau de mer, et qui a une ceinture de bancs de coraux où les requins Fig. 144. — Statues à Vaïhou, ou île de Pâques. abondent; nous passons devant l'île Elisabeth, un peu plus grande que l'île Ducie, assise également sur un banc madréporique, avec une végétation d'arbrisseaux, de buissons, de fougères et d'herbes ram- pantes ; nous passons devant l'île Pitcairn, curieuse pourtant par l'his- toire des marins révoltés qui s'y établirent après s'être emparés du navire la Bounty, et où vivent encore les descendants de ces marins an- glais. Les îles Gambier, possession française depuis 1844, nous solli- L'OCÉAXIE. 405 citent, à ce titre d'abord, et par leur importance. Elles sont sur la route de mer que suivent les bateaux à vapeur qui vont de Panama à Syd- ney Australie en passant par la Nouvelle-Zélande qu'ils traversent au détroit de Cook. L'archipel de Gambier se compose de quatre îles, Manga-reva, Tara- vaï, Aka-maru, et Ao-kena. La végétation n'y apparaît que dans les parties basses, à cause de la rareté de la terre. Quelques îlots de ro- chers complètement nus et hérissés d'écueils avoisinent les quatre îles principales. Ce groupe d'îles ne fut découvert qu'en 1797, par le capi- taine Wilson, qui commandait le Duff. Un récif madréporique de quarante milles de circuit entoure extérieurement l'archipel. On le reconnaît de loin à la blanche nappe d'écume qui bouillonne dans ses bri- sants. Sur ce récif, se trouvent de nombreux cocotiers, et une profusion de paudanus, qui, par leur végétation active et touffue, constituent d'im- pénétrables fourrés. Les solutions de continuité ouvrent des passes étroites où d'énormes blocs de coraux forment des bancs dangereux, ainsi que des-hauts fonds qui ne laissent guère plus de cinq brasses d'eau. Tout indique que ces îles sont les vestiges d'un vaste continent, les sommets de montagnes d'un pays submergé. L'action des volcans du Pérou et du Chili s'y fait sentir. Le fait suivant est une preuve irrécu- sable de l'influence des volcans de l'Amérique du Sud sur les îles Gambier. Le 7 novembre 1837, de violentes détonations, qui semblaient sortir du sein des montagnes, jetèrent l'épouvante au milieu de la po- pulation. La mer se retira au large, puis, refluant vers le littoral, elle l'inonda. Ce ne fut qu'après trois ou quatre mouvements d'aller et de retour qu'elle resta dans ses limites. Ce phénomène se produisait le même jour et presque à la même heure qu'un violent tremblement de terre désolait Valdivia au Chili. Manga-reva est une île très montueuse où quelques vallées cepen- dant peuvent être cultivées. Les arbres ne laissent à la mer qu'une grève étroite, jonchée de rochers volcaniques, de madrépores ou d'un sable blanc provenant des débris finement pulvérisés des récifs de co- raux. L'arbre le plus précieux de ces îles est sans contredit l'arbre à 406 L'OCÉANIE. pain. On en plante partout où se trouve la moindre parcelle de terre. Frêle de tronc et peu élevé, cet arbre ne donne qu'une récolte par an et meurt jeune, au contraire de celui de Taïti qui donne trois récoltes et pendant de longues années. Les orangers et les citronniers sont de récente importation. Les indigènes des îles Gambier, généralement grands, sont robustes, bien faits ; ils ont un air doux et se montrent affables. Leur teint est cuivré, leur tête aplatie à la région occipitale, avec un front fuyant, des pommettes saillantes, un nez épaté, des lèvres épaisses, des cheveux noirs et lisses et une barbe rare. Nous retrouverons les mêmes traits de race chez les Taïtiens. Les femmes, de moyenne taille, sont dotées d'une physionomie agréable. Elles vont pieds nus, la chevelure flottante et en désordre, négligemment vêtues d'une robe d'indienne, serrée à la taille par un mouchoir roulé en corde le tissu d'indienne, le mouchoir attestent le passage de l'état sauvage à un état meilleur. C'est surtout l'œuvre des missionnaires catholiques. Ils sont tout-puissants aux îles Gambier, et le voyageur y est accueilli par cette question Vous catholica, Mosié? » Si la réponse est affirmative, ces braves gens, plus confiants, approchent ; leurs yeux brillent de joie ; ils font des signes de croix et entr'ouvrent leur chemise pour montrer leurs scapulaires il s'agit des hommes seule- ment ; quant aux femmes, les missionnaires leur ont appris à s'enfuir à l'approche des marins que leur amène tout navire qui a franchi les récifs. L'arbre à pain est la base de la nourriture des indigènes. On en fait, sous le nom de popoï », une pâte qu'on laisse fermenter. Elle se prépare en raclant d'abord le fruit cru pour lui enlever son épiderme rugueux, après quoi on coupe le fruit en morceaux, qui sont déposés comme ap- provisionnement dans des sortes de silos. La popoï se pétrit avec de l'eau; de la pâte on forme des petits pains qu'on enveloppe dans une feuille de bananier pour les faire cuire sur des cailloux rougis au feu. On utilise de la même manière le taro ou karo. Le pain ainsi préparé justifie alors le nom donné à l'arbre qui en a fourni les éléments personne n'a pensé, sans doute, qu'on cueillait sur cet arbre exotique des petits pains d'un sou, comme on cueille des poires ou des pêches dans nos vergers. L'OCÉ ANIE. 407 Mais avec le pain il faut manger autre chose. Quelles ressources ont donc ces insulaires? La question n'est pas oiseuse, puisqu'il s'agit de Français » d'outre-mer. Quelles ressources? Mais ils ont des revenus considérables. On pêche aux îles Gambier des huîtres perlières, dont les perles sont d'un bel orient. Les coquilles de ces huîtres donnent aussi une très belle nacre, dont la vente rapporte annuellement de trois cent mille à quatre cent mille francs. Quoique les requins bien endentés soient nombreux dans la rade de Manga-reva, les plongeurs indigènes vont hardiment et au péril de leur vie chercher les huîtres perlières jusqu'à vingt-cinq et trente brasses de profondeur. Dame ! c'est comme le pain qui ne vient pas tout cuit. A l'ouest des îles Gambier et en montant vers l'équateur, nous trou- vons encore une possession française, Taïti, que Bougainville avait nommée la Nouvelle-Cythère et à qui on s'accorde à donner le titre de reine de l'océan Pacifique. Elle a inspiré à de grands écrivains, à Delille, à Chateaubriand, à Victor Hugo, des tableaux gracieux, des pages émues. Cette île fertile et riante, ces peuples aimables de l'archi- pel de la Société, ont laissé de profonds souvenirs à tous les navigateurs. Taïti est une terre élevée qui s'abaisse de tous côtés vers la mer et s'allonge en deux péninsules, unies par un isthme si bas que les hautes marées le submergent. Le coup d'œil qu'elle présente est pittoresque au plus haut point. Les montagnes y sont d'une grande beauté de li- gnes, surtout lorsque le soleil levant dore leurs crêtes et répand avec profusion ses rayons empourprés sur un paysage d'une ravissante har- monie de formes et de couleurs. De vives nuances animent les cimes les plus altières, alors que seuls les pitons basaltiques du principal dia- dème rocheux projettent les masses d'ombre de leurs profondes dente- lures, sur les flancs des montagnes voisines. On dirait que l'île entière sort humide et reposée du sein de la mer. Sur les plages sablonneuses s'alignent les cocotiers agités doucement par le frisson de l'aube naissante ; l'eau des lagunes est encore d'un vert assombri par le feuillage des grands peupliers qui les bordent. Sur les pentes des forêts les arbres à pain des plus vigoureux arron- dissent en parasol leurs feuilles découpées ; des torrents descendent en 408 L'OCÉANIE. cascades sonores des pics où croissent les grandes fougères, et animent des rives tapissées d'héliconias purpurins, où des lianes, mêlées de fleurs, établissent des ponts naturels au-dessus de leurs eaux écuman- tes ; des ravins sont hérissés de hautes fougères épineuses qui semblent défendre l'approche de la rose de Chine et du suave gardénia; quel- ques vallées coupées dans leur milieu par une rivière limpide, s'enfon- cent ombreuses dans l'intérieur de cet Edeu, avec leurs prairies entre- vues, tout émaillées de fleurs, piquées de mimosas et de bambous, et leurs colonnades grandioses de palmiers. Sur les côtes, la mer s'éveille à son tour, battant de ses vagues encore alourdies les rochers de corail. Vers la plage s'avancent en groupes de rieuses jeunes filles, à peine vêtues, leur belle chevelure noire, bien lissée, déjà parée de blanches et odorantes couronnes de gardénia toutes ruisselantes de rosée, ou de fleurs d'hibiscus, de basilic et de fougères odorantes. Elles profitent de l'aube pour aller faire leurs ablutions matinales et plonger leur beau corps bronzé dans les flots d'une mer dont la nuit n'a pas refroidi les eaux tièdes. On pense à la Fille d'O-Taïti » de Victor Hugo et à la douce plainte qu'elle adresse au jeune étranger qui songe à s'éloigner Pourquoi quitter notre île? En ton île étrangère, Les cieux sont-ils plus beaux?... Comment donc s'étonner de l'admiration que cette grande et impo- sante nature a fait naître? Xous l'avouons, notre plume est impuis- sante à rendre l'impression que produit un pays qui réalise toutes les plus séduisantes fictions de la poésie grecque et latine, et nous ne pou- vons résister au plaisir de citer ici une page du Génie du Christianisme, oh Chateaubriand, émule, quand il veut, de Bossuet, par les vigoureuses images de son éloquence, rivalise avec Bernardin de Saint- Pierre, par la richesse et la grâce de sa description de tout le groupe de Taïti Lorsque les navigateurs pénétrèrent pour la première fois dans l'océan Pacifique, ils virent se dérouler au loin des flots que cares- sent éternellement des brises embaumées. Bientôt, du sein de l'im- mensité, s'élevèrent des îles inconnues. Des bosquets de palmiers, mê- lés à de grands arbres qu'on eût pris pour de hautes fougères, couvraient les côtes, et descendaient jusqu'au bord de la mer eu amphithéâtre ; forêts. Les îles, environnées d'un cercle de coteaux, semblaient se ba- COXTRÉES MYSTÉRIEUSES. 50 410 L'OCÉANIE. laucer comme des vaisseaux à l'ancre dans un port, au milieu des eaux les plus tranquilles. L'ingénieuse antiquité aurait cru que Yénus avait noué sa ceinture autour de ces nouvelles Cythères, pour les défendre des orages. Sous ces ombrages ignorés, la nature avait placé un peuple beau comme le ciel qui l'avait vu naître. Les Otaïtiens portaient pour vê- tement une draperie d'écorce de figuier ; ils habitaient sous des toits de feuilles de mûrier, soutenus par des piliers de bois odorant, et ils faisaient voler sur les ondes de dociles canots aux voiles de jonc, aux banderoles de fleurs et de plumes. Il y avait des danses et des so- ciétés consacrées aux plaisirs ; les chansons et les drames de l'amour n'étaient point inconnus sur ces bords. Tout s'y ressentait de la mol- lesse de la vie, et d'un jour plein de calme et d'une nuit dont rien ne troublait le silence. Se coucher près des ruisseaux, disputer de paresse avec les ondes, marcher avec des chapeaux et des manteaux de feuil- lages, c'était toute l'existence des tranquilles sauvages d'Otaïti. Les soins qui, chez les autres hommes, occupent leurs pénibles journées, étaient ignorés de ces insulaires ; en errant à travers les bois, ils trou- vaient le lait et le pain suspendus aux branches d'arbres. » Les choses ont beaucoup changé depuis. Les insulaires sont encore bons, naïfs et hospitaliers, toujours prêts à faire fête aux étrangers qui viennent les visiter, mais sur ce sol privilégié, si riche sans culture, sous ce climat sans rival, notre civilisation européenne étiole et tue ra- pidement ces hommes robustes, et surtout ces jeunes filles au gai vi- sage. Serait-ce parce que l'austérité a succédé aux fêtes et aux plaisirs? Cela se peut. Une chose certaine, c'est que la population a diminué d'une manière effrayante. Et cependant il s'agit de terres placées sous le protectorat de la France! Lorsqu'on est témoin de l'anéantissement des aborigènes dans les colonies anglaises, on est tenté d'en faire re- monter la responsabilité à l'Angleterre elle-même. C'est peut-être trop de sévérité... Il n'est pas inutile de rappeler que le protectorat de la France sur les îles de la Société remonte au 9 septembre 1842, en vertu d'une convention entre la reine Pomare et l'amiral Dupetit-Thouars ; notre autorité combattue pendant plusieurs années n'est devenue effective L'OCÉ ANIE. 411 qu'à, la fia de 1856. Taïti et les îles voisines constituent un poste de ravitaillement pour les navires baleiniers de l'océan Pacifique. Le commandement de Taïti comprend, comme uue dépendance ad- ministrative des îles de la Société, le groupe des îles Marquises , dont la France a pris possession souveraine en 1842. Nous ne dirons que quelques mots de ces îles. Fig. 140. — Sanctuaire religieux à Nouka-Hiva. Situées à deux cent cinquante lieues au nord-est de Taïti, elles sont pour la plupart hautes, montueuses, boisées quoique volcaniques, et elles possèdent de très belles sources qui forment uue multitude de jolies cascades et de ruisseaux. La principale est Nouka-Hiva. Le cli- mat de ces îles est chaud, mais très sain. L'hiver y est la saison des pluies, — comme dans toutes les régions tropicales, — mais ces pluies ne sont ni fréquentes ni continues. 412 L'OCÉANIE. La flore est riche et variée. On y distingue le cocotier, l'arbre à pain, Vinocarpus, qui fournit une châtaigne nourrissante, le mûrier à papier, l'acacia, Y hibiscus à l'écorce fibreuse, l'ananas, le bauanier, le dracasna, la canne à sucre, le bambou, les arums, les pandanus, le ricin, le gar- dénia aux fleurs odorantes, et un grand nombre de fougères d'une élévation et d'une vigueur qu'on ne trouve que dans les contrées in- tertropicales. Quant aux animaux, on trouve en grand nombre des poules et des vampires ; mais le cochon, le chien et le rat étaient les seuls quadrupèdes connus à Nouka-Hiva, avant l'arrivée des Européens. Les poissons abondent dans cet archipel et y ont un goût excellent. La plupart des navigateurs qui ont visité Nouka-Hiva font le por- trait le plus flatteur de ses habitants ; ils n'hésitent pas à les placer au premier rang parmi les insulaires de la Polynésie, avant même les Taï- tiens ; et ils ne veulent pas qu'ils soient stigmatisés du nom de sau- vages. Si les hommes sont braves, généreux, honnêtes, intelligents et même spirituels, avec un visage régulier et ouvert, des yeux pleins de finesse, des dents blanches, des jambes d'un modelé parfait, les fem- mes ne sont pas moins séduisantes, — un peu trop rusées peut-être, un peu trop coquettes, s'attachant à plaire et y réussissant aisément ; dans leur jeunesse leur peau est légèrement brune, leurs bras et leurs mains sont de toute beauté ; toutefois leurs pieds sont un peu gros et leur taille laisse à désirer. Lorsqu'en 1855, Kaméhaméha IV, roi des îles Sandwich, accompa- gné du révérend M. Judd, son ministre et gouverneur, vint à Paris solliciter pour ses États le protectorat de la France, souverain et gou- verneur ne furent pas médiocrement surpris de l'ignorance de notre ministère des affaires étrangères. On leur demandait où se trouvaient les îles Sandwich ; si ce n'étaient pas les mêmes îles que les îles Fidji, déjà appelées Viti; si les indigènes étaient des cannibales... 11 convient d'ajouter que cette ignorance doit être attribuée en partie à la déplo- rable habitude de baptiser toute terre nouvelle d'un nom célèbre à un titre quelconque; lord Sandwich a eu l'honneur d'être le parrain de l'archipel d'Hawaii. L'OCÉANIE. 413 Ce nom d'Hawaï est donné à l'archipel par la plus importante des îles qui le composent, Découverte par le capitaine Cook, en 1778, elle est célèbre par ses volcans, — le Mauna-Loa et le Mauna-Kéa. Le Mauna-Loa élève à plus de 4,000 mètres au-dessus du niveau de la mer sa cime neigeuse couronnée de feu et de fumée ; et sur ses flancs s'ouvre un cratère, toujours en ignition, plus vaste qu'aucun autre cra- tère de volcan connu il n'a pas moins de onze kilomètres de tour. L'île d'Hawaï est célèbre encore par la mort de l'illustre navigateur anglais que les sauvages massacrèrent dans l'année qui suivit la dé- couverte. On sait qu'un déplorable conflit entre les naturels et les Anglais en- traîna la mort du grand marin ; mais les Hawaïens, qui le considéraient comme un demi-dieu, le regrettent encore à l'égal d'un de leurs chefs les plus vénérés. Le temps n'a pas effacé Cook de leur mémoire il s'est contenté de dégrader le monument qui lui a été élevé. Quoi qu'il en soit, ces îles ne peuvent plus être rangées parmi les pays qui appellent l'investigation elles ont un roi constitutionnel, des ministres responsables, deux chambres législatives, une armée perma- nente, une police, une cour suprême de justice, un service postal, un gouverneur pour chacune des douze îles qui composent le groupe, une dette publique, des douanes, des impôts, des journaux, un système d'é- ducation populaire, — et qui sait? peut-être même obligatoire ; enfin leurs habitants ne sont pas des cannibales, et il est douteux qu'ils l'aient jamais été. Ils furent jadis des idolâtres ; mais, convertis au christia- nisme depuis 1819, ils renoncèrent volontairement à leurs idoles, qu'on ne trouve plus que dans les collections des missionnaires. Nous ne parlerions donc point des îles Hawaïennes, — c'est leur dé- signation officielle, — si une horrible et douloureuse particularité ne faisait tache au milieu de toute cette prospérité naissante ; il s'agit de la réalisation sur notre globe d'une de ces visions de l'enfer que ra- content les poètes. Ici nous rentrons eu plein dans l'inconnu et le mys- térieux. Parmi les douze îles de l'archipel, — huit seulement sont habitées, — il en est une, Molokaï l'île des précipices », où les rochers forment des murailles naturelles montant toutes droites de la mer jusqu'à une hau- 414 L'OCÉANIE. teur de 1,000 pieds, de 2,000 pieds et davantage. Une plaine située derrière une de ces murailles infranchissables est, de par la loi, le vesti- bule de la mort. En cet endroit on exile, on déporte, on interne les lépreux du royaume, et ils sont nombreux. Us n'ont là aucun secours à atten- dre du savoir humain, impuissant à leur égard, aucune espérance de sor- tir vivants de ce vaste tombeau anticipé, de ce charnier où la décompo- sition et l'anéantissement s'opèrent du vivant de l'être, — lamentable communauté de proscrits, morts socialement dont toute l'occupation est de mourir », — maris saus femmes, épouses sans maris, — cruels divorces ! — enfants saus famille, — orphelius dont les parents vivent, — désintéressés de tout ce qui se fait sous le soleil », condamnés, comme redoublement de supplice, à voir s'anéantir à leurs côtés les malheureux dout le sort les a faits les compagnons et les héritiers, vé- ritables cadavres ambulants, respirant encore, promenant autour d'eux les regards de leurs yeux vitreux, évoquant l'idée de spectres repous- sants. Aux îles Sandwich, malgré une atmosphère des plus salubres, la lèpre est devenue une cause de dépopulation. Cet horrible fléau ne faisait-il autrefois que de rares victimes? se demande un voyageur. N'est- ce que depuis quelques années que sa contagion a fini par les multi- plier tellement, que le gouvernement a jugé nécessaire d'avoir recours à une rigoureuse mesure de police hygiénique ? On ne sait. » Miss Ara- bella Bird, après un séjour de six mois dans l'archipel hawaïen, a écrit des pages émouvantes sur la léproserie des îles Sandwich. Nous en par- lerons d'après la voyageuse anglaise. C'est en 1865 que le parlement hawaïen décida de prévenir la propaga- tion de la maladie, par la fondation, dans l'île de Molokaï, en milieu nom- mé Kalawao, d'un établissement où seraient confinés les lépreux. Déjà des résidents de race blanche étaient atteints par la contagion. La ré- sistance fut grande de la part des malades ; mais ils durent céder. Un grand exemple de soumission à la loi fut donné par l'avocat Bill Kags- dale, appartenant à la race indigène par sa mère et Américain par son père. C'était un homme politique distingué , un personnage considé- rable. Il se dénonça lui-même au shérif, se disant prêt à s'expatrier immédiatement, bien qu'il n'eût encore que les premiers symptômes de 416 L'OCÉANIE. la maladie. Bill Ragsdale, dit miss Bird, s'embarqua en effet volon- tairement sur un navire qui transportait une quarantaine de lépreux ; ses amis et ses nombreux clients, dont il avait pris congé le matin même, l'escortèrent les uns en pleurant, les autres le félicitant sur son courage et lui offrant des fleurs. Avant de monter à bord, le malheureux avocat harangua l'assistance , en engageant ses concitoyens à se ré- signer à une mesure qu'il déclara juste et nécessaire. » L'avocat Ragsdale n'est pas la seule personne de haut rang atteinte par la loi de salut du royaume hawaïen. Lorsque miss Bird visita l'ar- chipel de Sandwich une cousine de la reine Emma, veuve de Kaméha- méha IV, figurait parmi les victimes. De l'année 1865 au mois d'août 1877, l'île de Molokaï avait reçu 1,570 lépreux, et, sur ce nombre, il en était mort à cette dernière date plus de 900. Une lettre du 14 sep- tembre 1881 évalue à 680 les survivants. La plupart de ces malheureux internés appartiennent à la classe indigente et doivent être nourris aux frais du petit État polynésien. Les rations de nourriture sont abondantes et de bonne qualité. Cha- que lépreux reçoit par semaine vingt livres de poï » ; c'est l'aliment national de l'archipel, formé de la pâte fermentée que l'on obtient avec la racine du taro ; outre ce pain », chaque malade a encore cinq ou six livres de viande de boucherie. Si le bâtiment qui apporte les vivres est en retard, on remplace la poï et la viande par du riz, du sucre et du saumon. Le savon et le vêtement sont fournis par l'adminis- tration ; mais au delà de ces choses nécessaires, les lépreux ne peuvent rien se procurer que par leur industrie ou par le secours de leur fa- mille. Des personnes charitables font aux nécessiteux des envois de café, de tabac, d'outils, de couteaux, de livres. Les lépreux vont cacher leur infirmité dans de sombres huttes du village de. Kalawao ; par exception quelques dames, des personnes de distinction, habitent de jolis cottages et se donnent tout le confortable que la fortune peut procurer. On peut voir à Kalawao certaines fem- mes chez qui le goût de la toilette a persisté, affreuses comme des Gorgones, remplaçant les serpents de la tête de Méduse par une guir- lande de fleurs, faisant les coquettes et lorgnant les admirateurs ». L'hôpital, composé d'une douzaine de bâtiments eu bois, est en bonne L'OCÉANIE. 417 situation. Mais il n'y a point de médecin dans cet hôpital ; en l'absence d'un docteur résident, les maladies communes dont les lépreux ne sau- raient être exempts sont traitées par quelque lépreux de bonne volonté, charitablement assisté... nous allons dire par qui. Dans les bâtiments de l'administration se trouve le bureau du surintendant ; le gouverneur a établi là son domicile, il est le représentant de la royauté... mais le vrai gouverneur, — c'est la mort ». Mais s'il ne s'est pas rencontré de médecin capable de faire le sa- crifice de sa vie en s'associant librement à ces infortunés fatalement f m condamnés à mourir, l'Eglise catholique a été plus heureuse. Le P. Da- mien Deveuster, prêtre belge, a choisi pour y exercer son ministère de charité cette colonie de malades et de mourants, où il est le pasteur d'un troupeau de créatures dont la plupart n'ont plus même figure hu- maine. C'est lui qui les encourage, les console, les soigne dans leurs maladies accidentelles. Le P. Damien a inauguré cette œuvre de dé- vouement héroïque. Depuis il a été suivi dans cette voie douloureuse et sainte par plusieurs Pères de la maison de Picpus, ses auxiliaires ou ses supérieurs. Mais n'anticipons pas. Une chapelle, près du lieu de débarquement, et une autre à Kalawao témoignent, dit le voyageur qui nous sert de guide, de l'extraordinaire dévouement du prêtre catholique qui avec toutes les chances de devenir un des dignitaires du clergé dont il est membre, avec la jeunesse, l'édu- cation et tout ce qui aurait pu le détourner d'un tel sacrifice, est venu dans cette hideuse vallée, exilé volontaire, pour l'amour du Christ. Il n'y eut qu'un élan d'unanime admiration, quand on connut l'acte sublime du P. Damien. Certes aucun motif indigne, aucun soupçon d'intérêt humain ne put lui être attribué l'envie resta muette ; le protestant le plus in- tolérant oublia que le prêtre qui imitait si admirablement l'Homme- Dieu en donnant sa vie pour ses frères était un prêtre catholique ro- main, et un sentiment spontané qu'aucune réflexion ne put affaiblir, le proclama un des plus vaillants soldats de la noble armée des martyrs ». Outre les deux églises catholiques, il y a à Kalawao une chapelle pro- testante avec un pasteur. Mais celui-ci est lépreux comme ses ouailles. Il y a aussi deux écoles où les enfants reçoivent leur instruction en langue havaïenne d'un magister lépreux. Pauvres enfants! A quel CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 53 418 L'OCÉANIE. petit nombre d'entre eux cette instruction doit-elle être profitable? Nous possédons le récit d'une visite faite à leurs tristes sujets de Mo- lôkaïpar le roi Kalakavdia élule 12 février 1873 et la reine Kapiolani son épouse. Lorsque nous débarquâmes, dit miss Bird, nous trouvâmes les lépreux rassemblés au nombre de deux ou trois cents, car ils avaient été prévenus de notre visite, et nous fûmes salués par une joyeuse mu- sique. L'orchestre se composait de quatre exécutants un tambour, un fifre et deux flûtes, artistes jeunes encore qui tous étaient horri- blement défigurés par la lèpre. Cette musique produisait sur nous une étrange impression, et nous pouvions malaisément dissimuler un mélange de pitié et de répulsion en nous voyant entourés sur la plage par une foule empressée, qui nous souriait avec des visages à faire peur. Il y en avait dont la main tendue appelait une étreinte sym- pathique et qui s'éloignaient la tête basse, notre peu d'empressement leur rappelant qu'ils étaient des proscrits mis au ban de la société et dont le contact est une souillure. Quelques questions bienveillantes du médecin, le docteur Trousseau, diminuèrent l'embarras de la pre- mière rencontre. Peu à peu cette foule se mit à jaser et à rire, comme toute autre foule d'insulaires hawaïens, indifférents par tempérament, et, sauf quelques exceptions, à peine resta-t-il quelques traces de la sombre mélancolie qu'on devait naturellement s'attendre à trouver dans une existence si malheureuse. Très contents se montraient ceux à qui nous adressions la parole, et toujours prêts à nous répondre. Nous en recon- nûmes plusieurs que nous avions connus autrefois et qui, ayant disparu du monde libre, passaient pour morts. De ce nombre était un membre de la représentation nationale, un des notables de la colonie, que le bu- reau hygiénique a préposé à l'inspection du magasin public. Quand nous l'abordâmes en lui disant Vous êtes une ancienne connaissance? — Oui, répondit-il, et que vous retrouvez dans un tombeau vivant. » Mais détournons nos regards de ce spectacle affligeant. Les Hawaïens subissent, comme les autres habitants de l'Océanie, l'effet désastreux du contact européen. Nous sommes ici, écrivait na- guère un missionnaire, comme des gens conviés pour assister aux funé- railles d'une nation. » Le capitaine Cook avait estimé à trois ou quatre L'OCÉANIE. 419 cent mille âmes la population havaïenne ; on ne comptait plus que cent cinquante mille habitants du temps de la régente Kahumanu, cent huit mille en 1836, soixante-dix-huit mille en 1850, soixante et onze mille en 1854; le recense- ment de 1872 n'accuse plus que l'existence de quarante-neuf mille indigènes. D'après les plus récentes évaluations ce chiffre est tombé à qua- rante-deux mille. Il n'y a sans doute pas d'exem- ple, dans les annales du monde, d'uue destruction pareille à celle qui s'opère dans cet archipel. A toutes les causes de destruction s'ajoutent pour les Hawaïens le peu de stabilité de leur sol. Ils sont de plus en plus troublés par de terribles éruptions volcaniques et des tremblements de terre. En une centaine d'années, ils n'ont pas éprouvé moins d'une douzaine de fois l'effet du feu souterrain. Après nous être élevés de vingt degrés au- dessus de l'équateur, il nous faut repasser la ligne et descendre de vingt degrés au-dessous. C'est que la Polynésie est la plus étendue des divisions ethnographiques de l'Océanie. Nous voilà donc aux îles Hervey, — ou archipel de Cook, — ou encore archipel de Manaïa, comp- tant une dizaine d'îles dont la plus connue, mais non la plus vaste, est Rarotonga, qui ressemble à un jardin tout y est couvert de taros, de bana- niers, de potirons et de patates; mais le cocotier y est très rare. L'archipel contient de huit à dix mille habitants. Ces descendants de cannibales qui coupaient les têtes des vaincus et mangeaient leurs cadavres sont convertis au protestantisme. Ils ressemblent beau- coup aux Taïtiens. Leur physionomie est heureuse et leur caractère jovial. Ils sont agriculteurs. Fig. 148. — Hameçon ii poulpe des îles Sandwich. 420 L'OCÉANIE. A quelques centaines de lieues au nord-ouest des îles Hervey se trouve le magnifique archipel de Samoa, où la terre est partout d'une prodi- gieuse fécondité, couverte de bois de palmiers où les villages semblent enfouis, d'arbres à pain, de cocotiers et d'orangers. Partout au milieu des bouquets d'arbres se fait entendre le bruit des cascades qui se pré- cipitent en pluie écumeuse du haut des falaises ; les bois sont peuplés de perruches, de ramiers et de tourterelles. La population est de trente-cinq mille âmes dont cinq mille catholiques ce sont les chiffres donnés récemment par les missionnaires, qui possè- dent une douzaine de résidences dans cet archipel. Le navigateur Roggewcen dit, en parlant des naturels de Samoa, que c'est le peuple le plus honnête des îles du grand Océan. Ils sont industrieux. Ils cons- truisent leurs pirogues avec beaucoup d'art; ils font de grands plats à trois pieds. Les femmes fabriquent avec le tapa des tissus souples et soyeux sur lesquels elles impriment des dessins. Ces insulaires sont d'une taille très élevée, bien faits et musculeux. Leur teint estfoncé ; ils portent leurs cheveux droits et ébouriffés, — en brous- sailles. — Une ceinture d'herbes marines constitue la partie principale de leur vêtement. LaPérouse, dont quelques-uns des compagnons furent massacrés dans l'île Toutouila, — le capitaine de Langle, le naturaliste Lamanon et neuf marins, — a déclaré que les femmes de cet archipel sont grandes et jolies, — au surplus, nullement farouches. En passant de l'archipel de Samoa aux îles Touga , — ou des Amis, ainsi que le capitaine Cook les a nommées, — nous sommes toujours dans la Polynésie heureuse, les beaux climats, les terres fertiles. L'archipel de Tonga comprend près de cent cinquante îles, îlots, attoles et écueils de corail. Les plus considérables sont celles de Vavaou Tonga- Tabou, Lefouga, Namouka, Eoa, Laté et Tofoua. Ces îles sont peu élevées au-dessus de la mer. Leur population peut être évaluée à vingt- cinq mille habitants, dont neuf mille à l'île Tonga-Tabou Tabou veut dire sacrée qui est la métropole de l'archipel. Des migrations de la Mélanésie ont peut-être amené dans cet archipel ces insulaires quelque peu teintés de noir, fort beaux d'ailleurs, et qu'on a surnommés les Anglo-Saxons des mers du Sud. Une portion de ce petit L'OCËANIE. 421 peuple se compose de Tuas, esclaves de pères eu fils à la suite de quel- que guerre où leurs ancêtres out été vaincus. La flore du pays est riche; située sur la limite de la mer de Corail, elle montre déjà quelques rapports avec la flore mélanésienne et com- prend des es'pèces absentes de la Polynésie orientale. L'Anglais Mariner, qui eut à souffrir beaucoup chez les insulaires de Tonga après le meurtre du capitaine Brown 1800, a décrit le site le plus pittoresque de toutes les îles Tonga, la côte occidentale de Vavao. Fig. 149. — Femme de Samoa battant le tapa. A l'en croire, la nature arassemblé en ce lieu toutes les richesses végétales de ces îles; les tamanaos et les toas s'y montrent en bois épais au milieu desquels sont creusés divers bassins d'eau douce; sur le penchant d'une colline, une belle plaine est plantée en cocotiers et en arbres à pain, partout des fleurs odorantes aux vives couleurs. Lord Byron, séduit parles mœurs et les coutumes de ces insulaires, a placé clans une des îles Tonga les scènes de son ravissant poème l'Ile ou Christian et ses compagnons. Mariner, qui avait appris malgré lui à connaître ces îles , et dont le poète anglais lisait avec intérêt le tableau qu'il en a tracé, — Byron aimait passionnément les relations de voyages, — Mariner, disons-nous, a noté qu'il existe dans l'île principale une 422 L'OCÊANIE. caverne singulière, située sur la côte occidentale. Son entrée est au moins à une brasse au-dessous du niveau de la mer quand la marée est Lasse... Qu'on se figure un rocher creux, s'élevant de plus de soixante pieds au dessus de la surface de la mer, n'ayant qu'une entrée connue à six pieds sous l'eau ; on peut donc dire que la base de cette caverne est la mer même. » Voilà la scène principale où se déroule l'action du poème. On se souvient en quels beaux vers lord Byron fait le récit de la pre- mière prise de possession de la caverne sous-marine. Un jeune chef, — il y avait de cela mille lunes , — plongeant pour chercher des tortues dans le voisinage de cette roche, avait suivi sa proie jusque dans cette caverne ainsi découverte pour la première fois. Parla suite, pendant les périls et les incertitudes d'une guerre cruelle, il y avait caché une jeune captive, fille d'une race ennemie, sauvée parla pitié des siens d'une inévitable mort. Quand les orages des combats furent calmés, le chef conduisit sa tribu insulaire vers le lieu on les eaux couvraient de l'ombre verdâtre de leur cristal transparent ce por- tique de rocher. Là, il plongea, — laissant craindre qu'il ne reparût plus. Ses compagnons étonnés, immobiles dans leurs canots, le croyaient insensé ou devenu la proie du requin. Ils contemplaient d'un air désolé la roche entourée par les ondes , et s'arrêtaient soudain en se reposant sur leurs rames, lorsqu'ils virent sortir de l'Océan une divinité, — ou du moins ils la crurent telle dans leur respectueuse crainte. Avec elle reparut leur compagnon triomphant à son côté , fier de sa fiancée, ha- bitante des mers. Détrompés, ils transportèrent le couple sur le rivage au son des conques retentissantes et au bruit de joyeuses acclama- tions... » Au sud-ouest des îles Tonga s'élève du sein de l'Océan un groupe volcanique connu sous le nom d'îles de la Nouvelle-Zélande. Les Hol- landais lui donnèrent ce nom au dix-septième siècle. Les côtes et les rives de quelques fleuves navigables y ont été seules habitées et encore tardivement, car rien ne raconte aux yeux des voyageurs l'histoire des races disparues, ni villes en ruines, ni vestiges de monuments. Ce sont aussi des terres merveilleusement fertiles. Naguère encore L'OCÉANIE. 423 couvertes de forêts d'arbres gigantesques elles dormaient asiles à des tribus de cannibales farouches, sans cesse en guerre les uns contre les autres. Il n'y a qu'une soixantaine d'années que les Européens ont songé à tirer parti de ce sol vierge et fécond, et grâce à la beauté du climat, à la richesse du sol, et surtout à la présence des gisements d'or, la nou- velle-Zélande a vu le courant de l'émigration se diriger sans interrup- tion vers elle. Des villes qui ne sont encore marquées sur aucune carte se sont élevées comme par enchantement sur le littoral. Les rues de la plupart de ces villes sont bien pavées, éclairées au gaz ; on y rencontre des bornes-fontaines et des boîtes aux lettres; des routes ont été ouvertes, on a construit des phares sur le littoral ; on a perforé l'épine dorsale qui longe les deux îles, pour joindre le port de Cauterbury avec celui de Littleton ; des steamers naviguent continuellement le long des côtes et font le voyage d'Australie et de Tasmanie, d'autres par le Pacifique met- tent directement l'Europe en communication avec la colonie anglaise. L'intérieur se peuple rapidement de squatters », — colons éleveurs de bestiaux et cultivateurs devant lesquels recule la population sauvage. Encore quelques années, et les aborigènes, — les Maoris, — ne seront plus qu'un souvenir. La Nouvelle-Zélande se compose de deux grandes terres , — comme les Iles britanniques, — et de plusieurs petites îles. Les deux grandes terres sont l'île du Nord, ou Te Ika Maui , et l'île du Sud ou Tawaï Pounamou ; une troisième appelée l'île Stewart est la plus importante parmi les petites îles du groupe. Ce pays doit son caractère principal à la chaîne de montagnes qui s'étend clans toute la longueur des deux grandes terres. Sur cette puissante ossature vient s'appuyer ou s'adosser toute une région de collines et de plateaux, semée d'un grand nombre de cônes volcaniques, traversée par des cours d'eau dans toutes les direc- tions, et bornée par de vastes plaines. C'est dans l'île du sud que les montagnes de la chaîne atteignent leur développement le plus grandiose ; l'étendue de ses glaciers et la grandeur des lacs que renferment les hantes vallées leur a valu le nom d'Alpes méridionales. Ces montagnes sont reliées entre elles par des contreforts, et séparées par des vallées où coulent des rivières profondément encaissées. Au milieu, les sommets du mont Cook, éclatants de neiges et où miroitent des glaciers, s'élèvent 424 L'OCÉANIE. jusqu'à 4,000 mètres au-dessus du niveau de la mer, — ce qui est presque la hauteur du mont Blanc. L'île du Nord, moins pittoresque que l'île du Sud, est féconde en phé- nomènes volcaniques ; le haut plateau situé à l'ouest de la chaîne de montagnes est ouvert en plus de cent endroits par l'action du feu sou- terrain. Des cônes de trachite, d'autres de basalte plus petits et de for- mation récente, d'innombrables sources thermales, qui lancent à de grandes hauteurs des masses d'eau bouillante, des fumerolles, des vol- Fig. 150. — Source de vapeur de Koropeti Nouvelle-Zélande. cans et des solfatares offrent au géologue de nombreux sujets d'étude. Le principal foyer de ces phénomènes se trouve au milieu de l'île, près du lac Taupo. C'est là que, sur un plateau stérile, se dressent deux volcans gigantesques, le Tongariro, avec ses vastes cratères vomissant une épaisse vapeur; le Euapahu, qui élève jusqu'à 8,000, ou 10,000 pieds son large cône tronqué. Comme il est presque toujours en- veloppé de nuages, on ne sait si un plateau occupe son sommet, ou si un cratère y est ouvert. Quand le ciel est clair, les versants de ce vol- can éteint apparaissent couverts de neige, entrecoupés de glaciers et de profonds ravins. Sur ces montagnes, se trouvent les sources des deux principaux fleuves de l'île. L'OCÉANIE. 425 Entre le lac Taupo et la baie d'Abondance, sur la côte orientale, s'é- tend la région des lacs, célèbre par ses sources thermales. Là, en plus de mille endroits des vapeurs jaillissent de la terre ; ces phénomènes prennent diverses formes ; tantôt ce sont des sources chaudes inter- mittentes, analogues aux geysers d'Islande, tantôt des fumerolles, des volcans de boue ou des solfatares. Les plus renommées sont celles qui surgissent sur les deux rives du Waïkato, occupant un espace d'un mille environ. Le site offre en cet endroit un spectacle saisissant. cv commise, soit que le sujet leur portât ombrage, soit enfin que le n\ Grand-Chef l'eût trouvé bien en chair et digne de fournir la principale pièce d'un joyeux festin. Alors le tueur allait se poster sur le chemin de là vic- time désignée, et il lui cassait la tête sans sommation ni aver- tissement d'aucune sorte. Il se contentait de dire aux autres membres de la tribu Laissez passer la justice du G rand-Chef ! Le tueur en titre d'office se chargeait aussi, moyennant un léger cadeau, de l'exécution des vengeances particulières... Certaines peuplades se sont montrées particulièrement re- belles à notre domination. C'étaient, outre les Canaques du voisinage de Nouméa, — qui massacrèrent un jour douze colons, — les naturels de Kuan- né, qui, en 1801, donnèrent une lugubre célébrité à la baie du Massacre, — encore une baie du Massacre! C'étaient aussi ceux de Fig. 158. — Nèo-Calédonien de Balade, revêtu de rApouéma. 452 L'OCÉANIE. Uaïlu et les tribus des Attinens. Les actes de violence exercés à titre de représailles envers les blancs étaient suivis d'orgies de canni- bales. Les Ounouas, nos alliés, nous rendaient de signalés services pour la répression des Canaques récalcitrants. Armés à l'européenne, les Tayos- Fusils, — c'est le nom qu'ils s'étaient donné, — ne le cédaient en rien comme cruauté, — on s'en doute bien un peu, — aux naturels insoumis. Dans leur victoire, dit le docteur Patouillet, médecin de la marine, qui a séjourné dans notre colonie, ils n'épargnaient ni les femmes ni même les enfants à la mamelle. Je suis même persuadé qu'ils se li- vraient après le combat à des festins dont les cadavres ennemis fai- saient les frais ; mais il eût été aussi inutile qu'impolitique de contrarier dans leurs mœurs ces alliés toujours fidèles, et l'on fermait les yeux sur des faits qu'on désespérait, bêlas! de pouvoir empêcher. » Ces Tayos-Fusils surprirent une nuit, dans une case isolée, le farouche Gk>n- dou, chef de plusieurs tribus, qui depuis plusieurs années tenait tête au gouvernement de la colonie ; ils le mirent en morceaux et il fut mangé sur place. V oici comment les Néo-Calédoniens se font la guerre de tribu à tribu, ou entre Canaques indépendants et Canaques soumis. Durant toute la campagne, dit le docteur Patouillet, l'envahisseur se nourrit aux dépens de l'ennemi, loge dans ses cases, qu'il brûle en les quittant, mange ses ignames, détruit celles qu'il ne peut consommer, et dévore les meilleurs quartiers des cadavres laissés sur place. J'in- siste sur cet abandon des cadavres, car c'est pour une tribu une honte ineffaçable que de laisser sur le champ de bataille un de ses morts. Aussi, comme dans Y Iliade, voit-on, après des hostilités matinales qui n'ont été funestes à personne, le premier guerrier qui tombe devenir le centre d'un combat sanglant. Des cruautés inouïes signalent la victoire ; on mange les morts, mais si l'on est pressé de quitter le champ de ba- taille, on se contente de couper leurs têtes, qu'on mettra pourrir comme trophées sur les tabous des cases. Les membres et le foie sont égale- ment emportés pour le repas. On bourre d'ignames crues le tronc, dont on a arraché les entrailles, on remplace la tête par une marmite, et c'est une insulte pour la tribu... D'autres fois, on déterre les ignames L'OCEANIE. 453 d'un champ voisin, et on remplace chacune d'elles par un petit mor- ceau de cadavre. Je me rappelle un de nos travailleurs indigènes qui s'était procuré ce divertissement dans une de nos expéditions... Doui, — c'était son nom, — accompagné de son camarade Taoumou, qui pous- sait des lamentations ironiques, appelait à grands cris les ennemis, ré- fugiés sur la crête d'une montagne d'où, à l'abri de nos balles, ils nous regardaient dévaster leurs plantations. Voyant que ces malheureux, malgré toutes ses provocations, n'osaient venir à portée de son fusil, il leur criait ueensland est si restreinte qu'il se trouve tout entier eu la possession de quelques petites tribus. Lorsque l'année est bonne, les tribus du voisinage ont permission de venir en manger leur part, et elles accou- rent. Ce fruit est un farineux de qualité supérieure ; les Noirs engrais- sent rapidement ; mais au bout de quelque temps de ce régime ils se sentent un besoin irrésistible de manger de la chair. Kangurous et opos- sums gambadent autour d'eux, il est vrai ; mais il leur faut s'abstenir d'y toucher, parce que ces animaux sont nécessaires à la nourriture de la tribu qui les a conviés à prendre leur part des fruits du bunya, et que ce serait mal payer l'hospitalité qu'ils reçoivent que de les tuer. Alors, pour satisfaire leur besoin sans manquer à leurs devoirs envers la tribu amie, ils sacrifient quelques-uns des leurs et les mangent voilà un singulier fait d'anthropophagie déterminé par un scrupule honorable. Cela déconcerte. Évidemment ces gens-là doivent avoir des idées à eux sur ce qui est bien et ce qui est mal. 47G L'OCÉANIE. Cela est si vrai que des indigènes placés sous l'autorité plus ou moins nominale du gouvernement colonial peuvent être punis pour des crimes qu'ils ont commis, sans se douter que c'étaient des crimes et souvent pour obéir à leurs propres lois. M. A. Trollope donne un exemple sai- sissant de cette particularité. La plupart des actes de violence commis par les aborigènes sont suivis de mort ; mais fréquemment ces meurtres sont de légitimes revanches de tribu à tribu ou, plus simplement encore, des actes de bonne politique tel est le cas où un guerrier, mou- rant de sa mort naturelle, le chef juge prudent de rétablir l'égalité avec la tribu voisine en faisant tuer un homme de cette tribu. Il désigne un meurtrier, et si celui-ci n'obéit pas, il est en butte aux mauvais traite- ments de son entourage. M. Trollope eut avec un de ces criminels incons- cients le petit bout de conversation que voici Le chef venir; lui dire Va tuer Cracko! Moi pas aimer cela ; lui dire Il faut! Cela pas plaire à moi beaucoup; lui avoir lance, — ici un geste pour montrer le cruel chef dardant son sujet désobéissant, — alors moi aller tuer Cracko. » Et, puisque nous sommes sur le chapitre de l'honnêteté relative, rap- pelons-nous que les squatters, isolés dans l'intérieur, au milieu d'im- menses pacages de moutons, sont souvent forcés de recouriraux services des indigènes. On cite le fait d'un de ces éleveurs de moutons que tous ses bergers avaient abandonné pour courir à des gisements d'or nou- vellement découverts ; il dut confier quinze mille têtes de bétail à la tribu des Kamilaroi, et ces bergers improvisés lui rendirent bon compte de ses troupeaux. On a douté longtemps que les sauvages de l'Australie eussent un culte. En les observant de plus près, il a été reconnu qu'ils suivaient certaines pratiques superstitieuses ou mystiques, par exemple lors du mariage, des funérailles, etc. Ces pratiques semblent indiquer, sinon l'existence d'un culte, du moins un ensemble de vagues croyances. Ces Noirs sont généralement persuadés, depuis qu'ils voient des hommes de race blanche, qu'après leur mort ils renaîtront sous la forme d'un blanc et que peu à peu tous les Noirs deviendront de la sorte des hommes blancs dotés d'avantages qu'il ne leur a pas été donné de posséder dans leur première existence. Les Australiens sont d'une agilité et d"une adresse remarquables. L'OCÉANIE. 477 Qu'on eu juge par leur façon de grimper au plus haut des arbres, pour certaines chasses. Après s'être assuré, par la présence de débris au pied d'un arbre, qu'il s'y trouve une proie, le chasseur assujettit sa lance derrière son dos et fait avec sa hachette, dans l'épaisse écorce, trois en- Fig. 10". — Indigènes montant à l'arbre Australie. tailles superposées à'uu pied et demi de distance l'une de l'autre. Il place dans la plus élevée la main droite d'abord, dans la plus basse l'orteil du pied droit, dans l'entaille intermédiaire le pied gauche, et de la main gauche, qui est libre, il fait une entaille au-dessus de celle dans laquelle sa main droite est placée. Ensuite il met sa hachette dans sa bouche, place sa main gauche dans la dernière entaille qu'il vient de 478 L'OCÉANIE. faire, et, reprenant la hachette de la main droite, il fait uue entaille nouvelle. Remettant alors encore sa hachette dans sa bouche, il se sou- lève sur ses deux mains, et plaçant le pied droit dans l'entaille où était primitivement la main droite, il est monté d'un échelon. Ce sont de vrais échelons qu'il se creuse ainsi dans le tronc de l'arbre, échelons où il place successivement les mains et les pieds. Eien n'est plus cu- rieux que de voir son corps noir et maigre se détachant sur le gommier blanc, tous les muscles tendus, cramponné à l'écorce par l'extrémité seule des membres. Quand il est arrivé au nid de l'animal, — opossum ou chat sau- vage, — il harponne le malheureux dans son trou, le retire et lui brise la tête contre le tronc en criant et riant de joie; puis le jette à sa lubra » sa femme et redescend comme il est monté! Cette fois les entailles étant déjà faites, il met autant d'agilité que s'il descendait d'une échelle 1 . » Les Australiens n'ont ni tente, ni abri, ni aucun vêtement; sur la côte du nord seulement où les nuits et les matinées sont très fraîches, ils portent une peau de kangurou nouée en manteau sur les épaules. Pendant les nuits les plus froides, ils se couchent sous le sable, d'où l'on est très étonné de les voir surgir le matin. L'été, de simples branches de gommier, entassées contre quelques pieux fichés en terre, les garantissent du soleil et du vend chaud; l'hiver, ils arrachent aux arbres des grandes plaques d'écorce et ils s'en font un abri du côté d'où vient la pluie et le vent. Accroupi sur la terre nue et enveloppé dans la peau qui lui sert de 1 M. de Castella, auteur des Squatters australiens. — M. de Castella, originaire de Fri- bourg en Suisse, est un des premiers qui ait eu l'idée d'acclimater la vigne en Australie, où elle réussit parfaitement. L'OCÉANTE. 470 vêtement et de couche, chacun d'eux entretient un petit feu devant soi. La vie domestique de l'Australien exige un bien mince mobilier, en sorte que lorsqu'il abandonne, avec sa famille, le lieu ou il a passé la nuit pour se transporter ailleurs, un sac de peau de kangurou que la femme porte suspendu à son cou et rejeté sur ses épaules, suffit pour contenir tout l'avoir du ménage. C'est bien peu de chose une provision de gomme de xanthorrhéa servant comme mastic à plusieurs usages, des pierres pour la fabrication des hachettes, des marteaux et des couteaux pour broyer les écorces d'arbres , ces dernières du poids d'au moins quatre livres chacune; des nerfs de kaugurous pour servir de fils, de liens; des petits paniers en forme de bouteille contenant de la terre blanche, de la terre rouge avec lesquelles les Austra- liens se peignent le visage , la poitrine ; quelques morceaux de bois creusés en cuillers et en tasses, de la laine d'opossum, des plumes de divers oiseaux, des peaux de kangnrous non encore apprêtées, de la graisse pour s'oindre le corps, une pro- vision de racines et d' écorces d'arbres, enfin quelques os pour l'ornement du nez, — les bijoux de famille. L'homme marche en avant, portant ses armes seulement, le casse- tête ou hachette, la lance, arme de jet, le long bouclier de bois eu losange, enfin le boumerang », — nous reparlerons de cette arme terrible. — Il s'avance d'un air altier et même arrogant, attentif à découvrir tout ce Fi^'. 16 3 — Abris des indigènes d'Australie été. 480 L'OCÉ ANIE. qui peut fournir quelque aliment à lui ou aux siens. La femme le suit de près. Elle porte d'ordinaire son dernier né dans un sac ou dans un panier d'osier aussi suspendu à son cou. L'enfant, avançant la tête par- dessus l'épaule gauche, tette le sein du même côté, tandis qu'un autre marmot, âgé de deux ou trois ans, et qui se tient à califourchon, tette de l'autre côté. Les enfants sevrés et adultes s'avancent derrière la mère à la queue leu-leu, par rang de taille , tout comme font les kangurous et les cygnes noirs. Ce doit être là une habitude inspirée par la crainte que les ressources que le sol offre à l'indigène se réduisent à quelques rares plantes venant sans culture le nardou, cryptogame qu'on trouve au fond des mares desséchées on en utilise les sporules en forme de lentilles; écrasées entre deux pierres et préparées en bouillie, elles fournissent un aliment peu substantiel. Il y a encore les dingoua, spo- rules et racines d'une sorte de fougère, quelques racines d'arums, une espèce de pisang, des patates douces, quelques feuilles de végétaux herbacés, des baies assez semblables au raisin, du riz sauvage, des igna- mes. C'est bien peu de chose; avant la venue des Européens l'Australie ne produisait ni le blé, ni le riz, ni aucun dont ses habitants pussent se nourrir; aucun fruit ne pendait aux arbres. Ces malheureux sauvages ont encore la chasse et la pêche ; l'une et des serpents, car où le premier a passé 1 es autres peuvent mettre le pied sans danger. Jamais on ne rencontre plusieurs Australiens de front, même quand ils sont très nombreux. Lorsque toute la tribu voyage à travers les plaines, on voit de loin une longue file noire se mouvant au-dessus des hautes herbes. Fig. 170. — Masque chez les sauvages du détroit de Torrés. Et puisque nous par- lons de nourriture, disons L'OCÉ ANIE. 481 l'autre de peu de produit. C'est l'opossum déniché dans le trou où il est tapi au plus haut d'un arbre, l'émou, le kangurou, le canard. La pêche se pratique en barrant les cours d'eau au moyen de digues en argile pour faire échouer le menu poisson ou le harponner plus facilement. Leur pêche à l'anguille dans les lagunes est un spectacle original. Figurez-vous, par un chaud soleil, sous le ciel gris blanc des jours d'été des pays chauds, huit ou dix de ces sauvages à la peau luisante et d'un ton noir cuivré qui tranche sur tous les autres tons un peu monotones de la nature. Debout dans l'eau jusqu'à mi-jambe ou jusqu'à la cein- ture, ils tiennent dans chaque main une lance avec laquelle ils fouillent Fig. 171. — Vase à boire fait du crâne d'un indigène. le fond de l'eau, se balançant et réglant leurs mouvements sur la mesure parfaitement marquée d'un de leurs chants saccadés. Quand ils ont traversé une anguille avec une de leurs lances ce qu'ils sentent au mou- vement qu'elle fait en se débattant, ils la transpercent avec l'autre lance dans un autre endroit, et, tenant les deux pointes écartées, ils la jetent sur la terre à l'un d'eux qui les met toutes entas. Ils en prennent de cette façon des quantités vraiment prodigieuses, et en font d'horribles grillades 1. » A mesure que la population européenne s'accroît en Australie , la po- pulation aborigène diminue, s'enf uyant devant les colons envahisseurs , disparaissant comme disparaît le désert devant les efforts des pionniers. Les tribus du Murray et du Darliug sont demeurées les plus nombreuses 1 M. de Castella. CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 61 482 L'OCÉANIE. de l'Australie. Toutefois, à l'heure présente, les Anglais se trouvent les maîtres de l'Australie entière. Cette race sauvage, demeurée la même, sans doute, pendant des siècles, s'est effacée, s'est effondrée en quelques années à la seule apparition des blancs. Ces Noirs australiens ontfondu aux approches de la civilisation comme la neige sous les rayons d'un soleil ardent. Les Indiens résis- tent beaucoup mieux en présence d'une société de cinquante millions de yankees et l'on peut prévoir que, bien qne fort réduits en nombre, il faudra plus d'un siècle encore pour amener leur extinction; les Austra- liens, au contraire, n'ont pu tenir contre moins de deux millions d'Euro- péens qui, à l'origine, n'étaient qu'une poignée d'hommes ; leur complète disparition n'est plus qu'une affaire de quelques années. Des tribus de plusieurs centaines d'individus que Sturt et Mitchell visitèrent sur les affluents supérieurs du Murray ne sont plus représentées que par des groupes épars de huit ou dix malheureux affamés. J'ai en vain cherché, écrit un touriste, à découvrir quelques-uns de ces bocages de la mort, qui jadis marquaient le centre du parcours, la terre patrimoniale de chacune des grandes tribus. Ces poétiques sépul- tures ont disparu à leur tour; les descendants ont manqué aux aïeux pour entretenir les tumuli de gazon et les petits sentiers sablés qui cir- conscrivaient, sous l'ombre des eucalyptus et des mélaleucas, les carrés de ces échiquiers funéraires. Les pousses de quelques printemps, les pluies d'un petit nombre d'automnes auront suffi pour tout envahir, tout recouvrir ou tout niveler. Si l'on veut voir aujourd'hui une sépul- ture indigène, il faut aller la chercher dans les déserts dénudés de l'ouest. Là, de loin en loin, quatre branches d'arbres, fichées en terre et croisées à leur sommet, supportent la dépouille mortelle d'un Australien, ayant pour suaire une peau de kangurou qui le défend mal contre l'action de l'air et les insultes des oiseaux de proie, jusqu'à ce que la décomposi- tion cadavérique livre ces lamentables restes aux chiens sauvages accourus à cette curée des quatre aires de l'horizon. » Le rhum et les maladies apportées par les colons ont de funestes ré- sultats sur la dépopulation; les affections de poitrine, par exemple, causées par l'intempérance, font des ravages aussi effrayants en Australie qu'à Taïti, aux Sandwich et aux îles Fidji. L'OCÉ ANIE. 483 Les colous tneut les Australiens comme s'ils faisaient la chasse à des animaux incommodes. Les blancs les repoussent des endroits où ils s'établissent, le bétail, disent-ils, ne voulant pas rester dans les lieux 484 L'OCÉ ANIE. où séjournent les indigènes . Une tribu enlève- t-elle quelques têtes de bétail daus nue station écartée? Un châtiment cruel ne se fait pas long- temps attendre. Les squatters des environs fondeut sur les pillards, réunis peut-être en un festin dont les animaux dérobés font les frais. Les cavaliers blancs exécutent une charge, labourant de coups de fouet le torse nu de ces maraudeurs incorrigibles, renversant et blessant tous ceux qui se trouvent sur leur passage. Taut pis pour les Noirs tués la leçon profitera aux survivants. Aussi les Australiens ont-ils une grande crainte du squatter, qui leur apparaît à cheval et armé de son terrible fouet. Ces squatters se sont occupés dès les premiers temps de la colonisa- tion de l'élevage du bœuf et du mouton. A mesure qu'ils connaissaient mieux cette contrée nouvelle, ils poussaient leurs troupeaux plus avant vers l'intérieur. Une avant-garde de bushmen s'en allait reconnaître le pays, y chercher des zones propres à l'exploitation ; les squatters les suivaient de près avec leurs troupeaux, leurs fermes mobiles, faisant ainsi des conquêtes sur le désert. Aujourd'hui il y a tel éleveur qui possède quinze mille, vingt mille taureaux et vaches et qui prend à bail à l'État des campagnes vastes comme un de nos départements. Heureusement la place ne manque pas. La fortune de cette contrée, a très bien dit le comte de Beauvoir, n'est pas dans la qualité de son sol, elle est dans son espace! » On trouve des runs », — il faut dire que ceux-là sont exceptionnels, — de soixante mille, cent mille et deux cent mille moutons, donnant chaque année à la tonte des montagnes de laine. Les colons se livrent aussi en grand à l'exploitation de mines mines d'or, mines de fer, mines de cuivre, d'étain, de houille, etc. C'est en 1851 que les premières parcelles d'or furent recueillies à Ballarat et dans le voisinage. Vingt mille personnes en un mois, dit le comte de Beauvoir, cent cinq mille, en une année, se ruèrent toutes haletantes vers les collines fortunées dont il suffisait de fouiller la surface pour ramasser des trésors ce que devait être l'aspect de la route où une foule anxieuse courait à la recherche de l'or, comme chez nous on court au feu, qui peut l'imaginer ? » A Ballarat, un pauvre mineur sentit un jour sa pioche retenue dans un Lloc solide c'était an lingot d'or, pesant 2, 60d onces et d'une valeur 48G L'OCÉANIE. de 260,000 francs! Il y a eu bien d'autres trouvailles presque aussi belles. Au mont Alexandre, à environ quarante lieues de Melbourne, on vit quantité de mineurs faire fortune en pende jours. Deux frères, nommés Cavanagh, réunirent, eu deux semaines, une centaine de mille francs. Ils avaient réalisé pins de la moitié de leurs bénéfices en une demi-heure sous la forme de nuggets de la grosseur d'œufs de pigeon. Trois autres chercheurs d'or en recueillirent pour trente mille francs un matin avant leur déjeuner. A Melbourne, les boutiques se fermèrent, les mar- chands chargèrent le contenu de leurs magasins sur des chariots et se dirigèrent vers les placers. Partout où la main de l'homme était néces- saire, dans les moulins, les abattoirs, les tanneries, l'ouvrage cessa, faute d'ouvriers. La fièvre de l'or se déclarait intense et contagieuse. Avant l'expiration de la première année, il était expédié en Angle- terre pour plus de 125 millions de francs du précieux métal. Depuis, les mines d'or australiennes ont donné un rendement de plus de quatre milliards. Les mines de fer et les mines de houille sont les plus riches après les mines d'or. Donnons aussi une mention à la belle mine de cuivre de Burra daus l'Australie du Sud, qui fut si productive dès le début de l'exploitation que les actions sur lesquelles il n'avait été versé que 75 fr. montèrent presque aussitôt à 8,025 francs. Il y a aussi des mines de cuivre à Kapunda et dans d'autres localités. On retrouve dans les régions aurifères cette étrange population de chercheurs d'or et ces mœurs que nous avons décrites, en traversant la Californie les villes » de toile, le jeu effréné, les procédés de justice ex- péditive. Un mineur, par exemple, est-il convaincu publiquement de vol? les hommes présents se précipitent sur lui ; les uns lui coupent les che- veux, tandis que d'autres lui lient les mains derrière le dos et lui pla- cardent sur les épaules un écriteau infamant. Cette bande de justiciers acharnés s'accroît de moment en moment, et bientôt deux cents person- nes peut-être sont à l'œuvre, cinglant avec des ceintures, des sangles ou des courroies les épaules du patient, au milieu d'un tumulte, de huées et de cris qui couvrent ses hurlements de douleur. Et cela jusqu'à ce que quelques bonnes âmes interviennent... L'OCÉ ANIE. 487 Nous avons promis, à propos des armes des sauvages de l'Australie, quelques détails sur l'arme nationale », le formidable boumerang. C'est une sorte de sabre courbe en bois très dur, mince, qui, lancé par les indigènes avec une adresse sans égale, après avoir atteint le but, revient en tournoyant tomber aux pieds de celui qui l'a jeté. Le comte Russel-Killough a observé attentivement le maniement de cette arme singulière et redoutable. Le sauvage, dit-il, regardait d'abord le ciel comme s'il le menaçait, faisait plusieurs bonds, et lançait son terrible messager avec un effort qui semblait capable de disloquer toute son organisation l'instrument de bois, sifflant en fendant l'air, montait à au moins vingt mètres, puis semblait tomber à terre, mais il repartait de nouveau comme un objet animé, remontait en tournant toujours sur lui-même, et après avoir erré ainsi pendant près d'une minute, revenait, comme un oiseau de proie qui n'a rien trouvé, se débattre en mourant au pied de son maître, à moins qu'il ne l'eût lancé avec une vigueur extrême, et alors il recommençait un nouveau cercle. On conçoit facile- ment qu'avec beaucoup d'adresse on puisse, avec cette arme, tuer, déca- piter même son ennemi derrière un objet quelconque, arbre ou maison... Cet instrument, fabriqué en bois d'acacia, est appelé par les naturels calé ». Ils s'en servent beaucoup pour la cbasse des oiseaux, qui se trouvent tout déconcertés en voyant voler parmi eux un objet si étrange. » Qu'on ne se moque plus des sabres de bois! En quittaut l'Australie, nous traversons la mer de Corail. Au nord de cette mer, à la pointe orientale de la Nouvelle- Guinée, la Louisiade égrène ses petites îles, ses îlots et ses écueils. Les Papouas qui habitent les îles de cet archipel sont encore des Noirs... et des anthro- pophages. Un officier de notre marine, M. de Rochas, a raconté les faits horribles qui suivirent le naufrage du trois-mâts le Saint-Paul sur des récifs, en vue de l'une de ces îles, l'île Rossel. Ce navire, venant de Hong-Kong, à destination de Sydney, avait à son bord trois cent dix-sept Chinois qui s'en allaient travailler aux mines d'or de l'Australie. Le capitaine , utilisant son principal canot, laissa la plus grande partie de ses vivres aux Chi- nois réfugiés sur un îlot, et prit la mer pour aller chercher du secours. Il 488 L'OCÉ ANIE. réussit à aborder en Australie, fat recueilli par nue goélette anglaise au moment où il se trouvait à la merci des cannibales du détroit de Torrès, et il débarqua enfin à la Nouvelle-Calédonie. Là, sur ses instances, le Styxfat envoyé à la recherche des malheureux Chinois abandonnés sur l'îlot des Louisiades. M. de Rochas avait un commandement à bord de ce navire. Quand on arriva en vue du sinistre écueil, il ne s'y trouvait plus un seul des naufragés. Pas un être vivant, dit M. de Rochas, pas un signal sur ce pâté de corail de vingt mètres environ de largeur sur trente-cinq de longueur. Un officier descendit sur l'îlot et y remarqua une tente en lambeaux, encore fixée sur deux arbres, des troncs d'arbres sciés à un mètre du sol et creusés comme pour servir de réservoir, deux cadavres ensevelis sous une couche de cailloux, des débris de toile épars sur le sol avec une grande quantité de coquilles qui, ayaut subi l'action du feu, avaient dû servir à la nourriture des naufragés. » Après quelques jours de recherches sur les îlots voisins, on apprit par un survivant fortuitement découvert que les trois cents et quelques Chi- nois avaient été massacrés par les sauvages de l'île Rossel , qui étaient venus les chercher dans leurs pirogues les uns après les autres. Le Chi- nois recueilli par le navire français raconta les scènes de cannibalisme dont il avait été témoin. Ces affreux Noirs poussaient la férocité et la sensualité jusqu'à rompre de coups leurs victimes pour amollir les chairs dont ils comptaient se repaître. Les îles montagneuses de l'archipel Salomon sont peuplées de noirs féroces, tatoués, qui, eux aussi, pratiquent encore largement l'anthropo- phagie. Ces Papouas, qui ont uue grande ressemblance physique avec les Noirs australiens, savent faire manœuvrer leurs pirogues avec une adresse extrême. Les îles Salomon portent le nom de Bougainville, Choiseul, Isabelle, — c'est la plus grande de toutes, — Guadalcanar, où s'élève un pic de 2,450 mètres, Malayta et San-Christoval. Passons à la Nouvelle-Bretagne. Ce groupe d'îles, séparées de la côte orientale de la Nouvelle-Guinée par le détroit de Dampier, se compose de la Nouvelle-Bretagne, que les indigènes appellent Birara, de la L'OCÉANIE. 489 Nouvelle-Irlande la Tombara des indigènes, séparée de la précédente par le canal de George, du Nouveau- É9EHf elle - même Hanovre et de plusieurs autres peti- tes îles. Tou- tes ces îles, entouré es pour la plu- part d'é- cueils de corail, sont d'origine volcanique. A Tombara il y a une montagne de plus de 2,700 mètres d'élévation; les montagnes de ces îles portent sur leurs flancs des forêts où croît l'indestruc- tible tek. La végétation est partout celle des tropiques. Les insulaires papouas se distinguent des Noirs de leur race par une plus belle conformation ; ils montrent aussi des qualités d'ordre et de propreté qui les rendent aptes à la civili- sation. Toutefois, ils sont hostiles aux Européens ; on a même fait aux na- turels du Nouveau-Hano- vre une réputation de cannibalisme. Tig .174. — Chef australien en costume de cérémonie. Avant de quitter la Mé- lanésie, nous avons encore une grande terre sauvage à visiter, la Nou- CUNTUEES MYSTERIEUSES. 62 490 L'OCÉANIE. velle-Guinée ou Papouasie, l'île la plus vaste du globe, si l'ou considère l'Australie comme uu continent. . ; ', . Il y a quelques années encore , on pouvait s'étonner, avec M. Vivien de Saint-Martin qu'une terre grande comme deux fois l'Angleterre et l'Écosse et qui forme, à vrai dire, le prolongement de l'Australie, » eût excité jusqu'ici si peu d'intérêt chez les investigateurs anglais, — pour ne parler que de ceux dont cette terre nouvelle est, en quelque sorte, le domaine naturel ». Cette observation ne devait point passer inaperçue ; d'autres l'a- vaient faite aussi, et nombre d'explorateurs se sont tout à coup mis en mouvement, avides de combler l'importante lacune qui leur était signalée dans la géographie, l'ethnographie et les sciences natu- relles du globe. L'Italie a fourni deux naturalistes, MM. d'Albertis et Beccari ; la Russie, le docteur Micklukho Macklaï, qui n'est revenu qu'en 1882, après un séjour de douze années dans la Mélanésie. On doit à l'Au- triche le docteur Bernhard Meyer ; à la Hollande, M. de Rosenberg ; à l'Angleterre, M. A. Russell Wallace, le capitaine Moresby, M. Octavius Stone, le révérend S. Mac Farlane, le naturaliste Goddie. Enfin la France a excité l'émulation et encouragé les efforts de plusieurs de ses voyageurs d'élite, entre autres M. Raffray, naturaliste distingué. Il s'agissait d'ex- plorations à faire tout aussi intéressantes que celles de l'Afrique équa- toriale ou du centre de l'Australie, et ne présentant pas moins de périls, de difficultés de détail à vaincre. Ainsi aucune monnaie n'a cours sur ce sol primitif l'explorateur doit emporter avec lui une pacotille de ver- roterie, de couteaux, de petits miroirs et d'étoffes aux couleurs voyantes, et pour sa nourriture et celle de son escorte des pains de sagou, des sacs de riz, car le pays ne fournit pas grand'chose. C'est probablement la ressemblance des habitants avec les Noirs de la Guinée africaine qui fit donner le nom de Nouvelle-Guinée à cette île, par le Portugais Jorge Menezès, qui la découvrit en 1526. La côte méridionale de la Nouvelle-Guinée est protégée par une série de bancs de corail formant plusieurs ports. Tout à fait à l'orient , du fond des plages formées de coraux blancs, surgissent des collines arrondies et herbeuses derrière lesquelles s'étagent de nouvelles collines garnies çà et là d'eucalyptus, de pandanuset d'autres végétaux du type australien. L'OCÉ ANIE. 491 Dans les vallées et dans l'intérieur des terres, la végétation pins luxu- riante revêt davantage le caractère tropical. Ces vallées, dit Moreeby, sont couvertes de cocotiers, de goyaviers, de bananiers, de cannes à su- cre. Sur les pentes boisées des montagnes, les naturels ont créé de vastes clairières et les cultures de taros et de yams s'étagent en gradins et en terrasses, jusqu'aux sommets mêmes. » En contournant ce vaste golfe qui s'arrondit jusqu'aux bords du dé- troit de Torrès, on trouve la baie de Redscar. La côte est dominée par des montagnes qui s'élèvent progressivement vers l'est jusqu'à 3,500 et 4,000 mètres. Si, au contraire, on avance vers l'ouest, le caractère du pays cliauge complètement; la mer est tellement semée de bas-fonds, que les navires sont tenus aune grande distance d'une côte basse, plate, marécageuse, que les eaux recouvrent à peine à la marée haute. Cette côte, bordée d'é- paisses forêts de hauts mangliers, est coupée par de nombreux et larges canaux d'eau douce, offrant des voies faciles pour pénétrer dans Tinté- rieur. Un des explorateurs que nous avons nommés, M. d'Albertis, a re- monté en chaloupe à vapeur, jusqu'à 800 kilomètres de son embouchure, l'un de ces cours d'eau, la rivière Fly, qui ouvre comme une grande route vers le centre de l'île. La côte conserve le même aspect sur un parcours de plusieurs cen- taines de kilomètres, puis des montagnes apparaissent couvertes pour la plupart de forêts, jusqu'à. une grande hauteur. Les rivages du nord de la Nouvelle-Guinée, exposés en plein à la houle du Pacifique, sont entourés d'une ceinture de foyers volcaniques s'étendant parallèlement à la côte et non loin d'elle. Les montagnes s'élèvent brusquement de la mer en pentes escarpées. Au pied même de leurs falaises, on trouve cinquante brasses d'eau. Aussi les ports sont- ils rares et les mouillages difficiles, à cause de la profondeur des fonds. De grands caps s'avancent fort loin dans la mer, — jusqu'à soixante kilomètres, — échancrant des baies très creuses. En poursuivant l'exploration du littoral, — cette fois nous suivons la côte nord en nous dirigeant vers l'orient, — on voit s'arrondir une suite de larges baies, séparées entre elles par des montagnes qui s'étagent les unes derrière les autres, tandis que des groupes d'îles, renfermant plus 492 L'OCÉANIE. d'un volcan en ignition, encombrent les approches de la terre ferme. L'existence de puissantes rivières dans cette région de la Nouvelle-Gui- née est attestée par de grandes masses de bois, troncs d'arbres qui, après avoir formé des obstacles aux embouchures, s'en vont au loin flotter sur la mer. La Nouvelle-Guinée, par sa situation sous l'équatéur, ne connaît qu'une saison , l'été. Des pluies abondantes y développent une végéta- tion magnifique , mais rendent le climat humide et malsain. Certaines parties marécageuses du littoral sont un foyer d'exhalaisons pestilentielles. Elles répandent la fièvre et un mal presque toujours mortel, le beri-beri », qui exerce ses ravages à l'époque des grandes pluies. Ces fâcheuses conditions si nuisibles à la colonisation n'existent pas dans la pointe orientale de l'île, dont Moresby parle comme d'une région magnifique et d'une fertilité extraordinaire. Nous retrouvons dans la Nouvelle-Guinée, parmi les mammifères, qui y sont peu nombreux, le kanguron. Au nombre des autres animaux indigènes, nous rangerons le phalanger tacheté, le porc de la Nouvelle- Guinée, le chien de la Papouasie, considéré comme souche de tous les chiens sauvages qu'on rencontre dans toutes les terres australes. M. Bec- cari a enrichi la liste des mammifères de plusieurs espèces nouvelles, notamment du Cucus maculatus, genre qu'il croit inconnu. Les casoars y sont fort rares; mais l'île est embellie par les paradi- siers, ces perles de beauté », comme dit M. Russell Wallace. Enfin, en passant aux reptiles, nous notons cinq ou six espèces d'ophidiens dont aucune n'est venimeuse. La Nouvelle-Guinée est habitée par deux peuples, deux races dont les affinités ont été le sujet de nombreuses conjectures. Nous ne suivrons pas les explorateurs dans leur enquête, d'autant plus difficile à mener à bonne fin que la majeure partie de cette terre est incore inconnue. Voici donc sur les habitants de la Nouvelle-Guinée quelques données posi- tives. Il n'est nul besoin, pensons-nous, de rappeler que les Papouas ont une ressemblance marquée avec les Nègres de l'Afrique. Dans l'intérieur de l'île, il existe une population plus primitive encore, les Arfakis, plus connus sous le nom d'Auafouras qui leur a été imposé par les Portugais. Fig. 175. — Eu fuite casoars éuuus. 494 L'OCÉANIE. Il se peut que les populations de l'intérieur en soient venues avec les siècles à différer sensiblement des Papouas, par des conditions d'existence diverses. Toutefois, le docteur Beccari, dans sa dernière exploration, a trouvé au nord de l'île une race parfaitement noire, avec les cheveux laineux et courts , les arcades sourcilières proéminentes , la racine du nez fortement déprimée, la poitrine large, le ventre protubérant et pendant. Les naturels observés par les explorateurs diffèrent sensiblement quant à la taille. M. Wallace en a vu de grands, bien faits, et de même Dumont d'Urville. D'autres navigateurs disent expressément Les Papouas sont petits. De ce désaccord on peut inférer qu'il y a des différences de taille parmi les diverses peuplades de l'île. Sur la couleur de la peau il y a moins de divergences elle est en général très foncée, de la nuance de la suie. Le capitaine Moresby a vu sur une partie de la côte des hommes d'une race petite et cuivrée, aux cheveux crépus. Ces sauvages relèvent leurs cheveux en une masse hante de quelque trente centimètres, ornée de plumes de casoar et d'oiseaux de paradis... Ils se barbouillent de cou- leurs noires et blanches et se parent de coquilles, de lambeaux d'écorce et de feuilles de palmier. Ils portent en bracelets les os des ennemis qu'ils ont vaincus... et dévorés, car nous sommes encore chez des anthropophages. On en voit qui ont le corps noirci avec uu mélange de charbon et d'huile de coco ; c'est leur manière de porter le deuil d'un parent. Les matelots du navire que commandait le capitaine Moresby s'étaient fait une grande popularité, et sans doute un grand renom artistique, par la manière toute magistrale dont ils couvraient de peintures bizarres au goudron et au rouge les corps des indigènes qui allaient leur rendre visite à bord et solliciter la faveur d'être illustrés » par eux. Près de la baie de Eedscar et jusqu'à la pointe orientale de l'île, la physionomie des indigènes est plus avantageuse qne dans les autres régions de l'île. Ceux-là sont bien faits ; ils ont l'air intelligents ; leur peau au lieu d'être presque noire revêt une teinte cuivrée ; leurs cheveux sont frisés, mais point laineux, et relevés en chignon chez les hommes. Les femmes les coupent ras. Elles se tatouent, tandis que les hommes L'OCÉANIE. 495 se contentent de se peindre le yisage d'une façon bizarre. De ces faits, il est permis de conclure, dit M. Vivien de Saint-Martin, que les deux Fig. 170. — Un chef à la Nouvelle-Guirrje partie nord. races de l'Océanie sud-occidentale, la race nègre océanienne et la belle race polynésienne, se trouvent ici en contact, sans parler des Papouas de l'extrémité nord-ouest. » Malgré ces oppositions de races, les indigènes de la Nouvelle-Guinée vivent eu assez bonne intelligence entre eux. A quelques exceptions 496 L'OCÉ ANIE. près, ils ont aussi assez bien reçu les étrangers qui ont abordé à leurs rivages. Disons à ce propos que quelques insulaires ont paru frappés d'admiration pour la peau blanche des Européens, et, dans leur fami- liarité enfantine, ils ouvraient les gilets et les chemises de leurs hôtes pour se rassasier de cette étonnante nouveauté. Chaque village cultive une portion de la terre qui se trouve à l'entour. Dans quelques villages de la côte sud-est une partie de la population se compose de pêcheurs ; le reste cultive le sol. Les tribus les plus sau- vages vivent du produit du sagouier non cultivé. Voici , d'après M. Moresby, quelle est l'existence d'un gentleman » papouas Il se lève de bonne heure et frissonne sous son misérable abri jusqu'à ce que le soleil se montre. Ensuite, c O Tout lama qui appartient à une fa- mille tombée en servitude devient li- bre eu entrant dans la tribu sacer- dotale. Plus de corvée pour lui ni de redevances à payer; il peut aussi courir librement le monde sans avoir à rendre compte de ses actes à per- sonne. Ce qui est plus intéressant que l'âpre steppe et la vie âpre aussi des nomades qui l'habitent, c'est le lieu où l'existence du ne made se développe parallèlement avec celle de l'homme à qui il faut, pour sa tranquillité, pour sa sûreté, l'établissement des villes, une ad- ministration , un gouvernement. C'est ainsi qu'on voit les Tartares s'avancer en Kussie jus- qu'à Kazan. Un rappro- chement semblable s'o- * ., père en pleine Mandchou- & rie. Il y a même des chrétientés, sur les bords du BongarietduLanling, qui est un des affluents du Songari et que l'on peut comparer aux plus beaux fleuves de France. Cette contrée est habitée par les Tartares Ta- houris auxquels appartiennent les steppes couvertes de leurs troupeaux Fig. 207. - Tartare du Kazau. 582 L'ASIE. de chevaux et de bœufs. Au milieu et aux extrémités de ces vastes plai- nes d'herbes, ou rencontre des champs cultivés, où grandissent de belles moissons de sorgho, de millet, de sarrazin, de maïs, de pois, de sésame et même l'opium en pavot, ce poison qui vient jusqu'en Tartarie montrer ses funestes effets. Chose curieuse ce sont des colons chinois qui dé- frichent ces terrains. Car il est à remarquer que cette région de l'Amour s'est depuis quelques années enrichie de villages chinois et même de plu- sieurs villes qui s'élèvent en des lieux où s'étendaient naguère encore des forêts peuplées de tigres, d'ours, de cerfs, de chevreuils, de sangliers qui fournissaient l'occasion de belles chasses aux Tartares Salons. Là, dit M. Noirjean, — c'est un missionnaire du vicariat de Mandchourie, — où ne régnait que la solitude des bois fourmille aujourd'hui tout un peu- ple d'émigrés ; il y a des marchands, des laboureurs, un mandarin civil pour juger leurs interminables procès, et un camp de soldats comman- dés par un lieutenant du gouverneur général de Tcitcikar, pour leur cou- per la tête quand la cupidité les mène au pillage et à la révolte. » Deux fois en trois ans telle de ces villes a été saccagée par les Barbes Rouges, pillards que vomissent les immenses forêts de l'Amour et de l'Oussouri. Là se trouvent des gisements considérables d'or et d'argent dont l'empereur, dans une idée de superstition, a interdit l'exploitation. C'est en vain. Des vagabonds s'y rassemblent en grand nombre. Mais bientôt leurs vivres sont épuisés; il leur est impossible de les renouveler, car des soldats tartares ont mission d'empêcher par la force tout ravitail- lement. Alors, poussés à bout, dit le missionnaire que nous venons de citer, les chercheurs d'or arborent le drapeau rouge avec cette devise Le ciel nous protège. Allons ! vengeons-nous. Avec un sabre et un che- val nous vaincrons! » A leur approche les soldats s'enfuient comme des lièvres. Les populations demeurent à la merci des pillards. Entre le Nonni, le Songariet l'Amour, nous apprend M. Noirjean, s'é- tend uue immense steppe, où l'on rencontre çà et là des villages semés comme autant d'oasis au milieu du désert. Là se trouve aussi Tcitcikar, chef-lieu de la province, où réside uu gouverneur général militaire, réu- nissant sous son commandement toutes les hordes tartares du Heï-Lung- Kiang. Sur les rives du Nonni de l'Amour, à l'est et à l'ouest, s'élève L'ASIE. 583 la ville de Tung-sy-Potar-hau, assujettie au commandement d'un ta-jen, chargé de gouverner les diverses tribus des Tartares, qui mènent presque tontes la vie nomade et barbare. Ce sont les hordes des Poils Rouges, les Tartares Harkshi, les Élenthes, et la grande tribu des Salons, dans laquelle, du reste, ces hordes se confondent toutes. Le missionnaire qui nous introduit dans ces contrées si peu connues, nous dit que la chasse est toute l'occupation des Salons ; ils en tirent Fig. 208. — L'Amour. leur subsistance et leur vêtement; en hiver comme en été, ils sont cou- verts de peaux, des pieds à la tête. Hommes et femmes revêtent un pan- talon taillé sur le dos d'un cerf ou d'un chevreuil; une sorte de toge étroite, dépouille du même animal ; un bonnet de fourrure et des bottes de cuir. Ils emploient comme armes de chasse l'arc [Salon signifie archer » en chinois et quelquefois le fusil. Ils ont aussi une sorte de pique courte qu'ils nomment tita » ; voilà le pauvre ïartare de l'Amour, le pauvre Salon, tel que Dieu l'a fait, dans sa vie errante, au milieu des neiges, sur son coursier rapide, aussi rude et aussi sauvage que lui. » I 584 L'ASIE. C'est sur les bords des rivières que, de préférence, il fait halte ; ailleurs, il ne trouverait poiut d'eau pour apaiser sa soif. Sa serpe a vite coupé quelques branches dans la forêt, qu'il entasse à deux pieds de haut, pour Pig. 209. — Montagnes en formation sur l'Amour. se faire uu entourage. Toute la famille, le père, la mère et les enfants, prend place derrière ce frêle abri. Un feu allumé jour et nuit sert à faire rôtir la venaison ou à faire bouillir la marmite de fer. Tandis que l'homme, tout enfumant sa pipe, jette un coup d'œil sur la cuisine, la femme prépare les dépouilles des bêtes tuées à la chasse ; elle les tanne avec de la cervelle de chevreuil ou de cerf. C'est la femme L'ASIE. 585 aussi qui confectionne les habillements de la famille. Elle vaque à ses occupations en allaitant son enfant , suspendu à son cou dans un sac de cuir. L'heure du repas arrive , et chacun , armé de son couteau, tranche à plaisir dans la chair abondante. Heureux le Salon, s'il a pu échanger quelques fourrures contre une jarre d'eau-de-vie de provenance chinoise, étendue d'eau, selon l'usage des industriels qui exploitent la bonne foi Fig. 210. — Tombeaux, près de l'Amour. tartare. Une fois l'arkhi versé , ces sauvages ne se tiennent plus de joie ; buveurs intrépides, ils exécutent des danses et des pantomimes, et chan- tent à perte d'haleine autour du foyer. Avant de s'endormir la dernière parole du Salon, en s'enfonçant dans son sac de pelleterie, est pour le ciel qui lui sert de tente, et pour la terre qui lui sert de lit. Le lendemain, le camp est bientôt levé chacun prend son arc ou son fusil. L'homme, la femme, le garçon, la jeune fille, tous montent à che- val. Auparavant, l'enfant du tartare a été suspendu aux branches d'un CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. Il 586 L'ASIE. arbre, toujours dans sa peau de cerf, d'où l'on ne laisse sortir que sa petite tête. Un l'eu, où sont entassées d'énormes souches, est allumé au- près. Chacun s'en va et l'enfant reste seul. Habitué à la solitude et au froid, il ne pleure point, la bise et le veut du nord agitent son berceau ; souvent la neige tombe ; il sourit attendant sans se plaindre que la nuit ramène près de lui sa mère, son père et toute la famille. Alors seulement son jeûue est interrompu. » A côté des tribus de Tartares Salons, et même au milieu d'elles, vit l'immense horde des Tahours ou Tartares Tahouris. Us viennent une partie de l'année se grouper dans les villages et les petites villes des bords de l'Amour. L'hiver est consacré à la chasse et par suite à la vie nomade. On les rencontre dans les forêts poursuivant l'ours, le tigre et le cerf. Les Tahouris sont braves, de haute taille, mais cruels. Malheur aux co- lons chinois rencontrés par eux! Us les tuent uniquement pour s'emparer de leurs dépouilles. Ces Tartares de diverses dénominations sont les esclaves nés, ou pour mieux dire les serfs de la race mandchoue ; cette servitude pèse assez durement sur les malheureuses tribus des Salons. La horde Tahour pa- raît jouir de certaines immunités parce que c'est parmi elle que se re- crutent les cavaliers de l'armée chinoise. En général tous ces Tartares sont assujettis à un tribut. Chaque année le Salon doit acquitter sa taxe de serf en payant douze onces d'argent et douze fourrures de martre zibeline. En octobre et en novembre la chasse de ces animaux est en pleine activité dans les im- menses forêts vierges qui s'étendent le long du Songari jusqu'à l'Amour. Souvent les chasseurs s'en vont par bandes rangées sous l'autorité im- médiate du maître ; si la chasse est mauvaise, le maître mécontent fait sentir sa mauvaise humeur à son entourage. Par les habitants de ses rives, l'Amour est un fleuve tongouse. Parmi les tribus de cette race condamnées à disparaître devant les Rus- ses, on distingue encore, mais s'aôaiblissant chaque jour, les Lamou- tes, les Goldes, les Giliaks, les Orotches et les Manègres. Les Orotches et les Manègres, baptisés pour la plupart, n'en ont pas moins conservé leurs chamans et leurs idoles. Les Chinois ont actuellement encore beaucoup d'influence sur ces populatious de la Mandchourie russe. L'ASIE. 587 Du haut des plateaux de la Tartarie, ou découvre au loiu, daus les plai- nes , les tentes des Mongols, rangées en amphithéâtre sur le penchant des collines, et ressemblant dans le lointain à de nombreuses ruches d'abeilles. Ces tentes ont à leur base une forme cylindrique. Sur ce cylindre de huit à dix pieds de diamètre est ajusté un cône tronqué, représentant assez exactement un abat-jour de lampe. La charpente de la demeure Fig. 211. — Manègre de l'Amour. nomade est formée d'un léger treillis de barreaux. Des perches vont se réunir au sommet. Sur cette charpente, on étend d'épais tapis de laine grossièrement foulée. La porte est basse, étroite ; une traverse de bois en forme le seuil, de sorte que pour entrer dans la tente, il faut en même temps lever le pied et baisser la tête. La fumée du foyer s'échappe par une ouverture ménagée au sommet du toit. L'intérieur de la tente, dit le P. Hue, est comme divisé en deux parties; le côté gauche en en- trant est réservé aux hommes; c'est là que doivent se rendre les étrangers. Un homme qui passerait par le côté droit commettrait plus qu'une 588 L'ASIE. grossière inconvenance. La droite est occupée par les femmes , et c'est là que se trouvent réunis tous les ustensiles de ménage une grande urne en terre cuite pour conserver la provision d'eau, des troncs d'arbres de diverses grosseurs creusés en forme de seau, et destinés à renfermer le laitage, suivant les diverses transformations qu'on lui fait subir. Au centre de la tente est un large trépied planté dans la terre, et toujours prêt à recevoir une grande marmite mobile, que l'on peut placer et retirer à volonté. Cette marmite est en fer et de la forme d'une cloche. Derrière le foyer et faisant face à la porte, est une espèce de canapé, meuble le plus bizarre que nous ayons rencontré chez les Tartares. Aux deux extré- mités sont deux oreillers terminés à leur bout par des plaques de cuivre doré et habilement ciselé. Il n'existe peut-être pas une seule tente où l'on ne trouve ce petit lit , qui paraît être un meuble de nécessité absolue , mais, chose étrange et inexplicable ! durant notre long voyage nous n'en avons jamais vu un seul qui parût fabriqué de fraîche date. Ces objets sont tou- jours déguenillés même dans les familles qui paraissent aisées. A côté du canapé, vers le quartier des hommes, on place ordinaire- ment une petite armoire carrée , où sont renfermées les mille et une ba- gatelles qui servent à enjoliver le costume de ce peuple simple et enfant. Cette armoire tient aussi lieu d'autel à une petite idole de Bouddha ; cette divinité en bois ou en cuivre est ordinairement accroupie, les jambes croisées, et emmaillottée jusqu'au cou d'une écharpe de vieux taffetas jaune. Neuf vases en cuivre, de la grosseur et de la forme de nos petits verres à liqueur, sont symétriquement alignés devant Bouddha c'est dans ces petits calices que les Tartares font journellement à leur idole des offrandes d'eau, de lait, de beurre et de farine; enfin quelques livres thibétains enveloppés de soie jaune complètent l'ornement de la petite pagode. Ceux dont la tête est rasée et qui gardent le célibat ont seuls le privilège de toucher ces prières ; un homme noir commettrait un sacri- lège s'il s'avisait d'y porter ses mains impures et profanes. De nombreuses cornes de bouc, fixées à la charpente de latente, complètent l'ameublement des habitations mongoles; c'est là que sont sus- pendus des quartiers de viande de bœuf ou de mouton, des vessies remplies de beurre, des flèches, des arcs et un fusil à mèche ; car il n'est presque pas de famille tartare qui ne possède au moins une arme à feu. L'ASIE. 589 L'odeur qu'où respire dans l'intérieur des tentes mongoles est re- butante et presque insupportable quand on n'y est pas accoutumé. Cette odeur forte et capable quelquefois de faire bondir le cœur, provient de la graisse et du beurre dont sont imprégnés les habits et les objets qui sont à l'usage des Tartares... Fig. 212. — Femme manègre. Parmi les Tartares, les soins de la famille et du ménage reposent entièrement sur la femme ; c'est elle qui doit traire les vaches et pré- parer le laitage, aller puiser l'eau, quelquefois à une distance éloignée... La confection des habits, le tannage des pelleteries, le foulage des laines, tout lui est abandonné... Les occupations des hommes consistent uniquement à diriger les troupeaux dans les bons pâturages, et ce soin est plutôt un plaisir qu'une peine pour des hommes accoutumés dès leur enfance à monter à cheval. » 590 L'ASIE. Il n'est peut-être pas de spectacle plus attrayant que celui qu'offrent des cavaliers mongols courant après un cheval indompté , armés d'une longue perche, au bout de laquelle est une corde à nœud coulant. Il faut les voir aussi se réunir en troupes pour cerner un loup qui, s'il est pris vivant , est écorché et remis en liberté. Fig. 213. — Camp de Mongols. Nous avons parlé des funérailles des nomades de l'Asie. Dans tout le désert on abandonne les morts à la voracité des animaux sauvages et des oiseaux de proie. Il n'est rien d'horrible à voir comme ces restes humains que se disputent avec acharnement les aigles et les loups. Sur les limites du désert de Gobi, aux environs des villes, les lieux de ces sépultures en plein air sont hantés par d'énormes chiens au-dessus planent des corbeaux et des vautours aux pattes et au bec rouge-sang. Si nous ne connaissons pas beaucoup les Tartares Mongols, ils ne cou- L'ASIE. 591 naissent pas mieux les Européens. Il y a quelques années , le colonel Prjévalski, chargé d'une mission par le gouvernement russe dans les parages sibériens, avait l'insigne honneur d'être présenté à l'amban, c'est- à-dire au prince régnant de l'Ala-tchan. Le prince mongol posa curieuse- ment des questions à son visiteur Quelle est la religion des Russes? Comment marchent les trains de chemins de fer? Comment se font les bougies? Et encore Il est bien vrai, n'est-ce pas, qu'on emploie dans la photographie une liqueur tirée de l'œil humain? Le colonel protesta. Mais le prince d'Ala-tchan tint à lui montrer qu'il savait très bien que sans cette liqueur des yeux l'appareil ne pourrait pas voir. Il n'ignorait pas, ajouta-t-il, que les missionnaires de Tien-tsin prenaient des enfants sous prétexte de les instruire et qu'ils leur crevaient les yeux pour faire de la photographie ; mais le peuple s'était soulevé et les avait exterminés. » A rapprocher cette révélation du massacre de 1870 dans lequel vingt Français et trois Russes furent égorgés par la populace, peut-être sur le crédit de ce conte odieux et absurde. Quant à l'issue de la guerre franco-anglaise de Chine, en 1860, leurs convictions reposent sur le renversement absolu de la vérité. L'opinion de ces barbares est que nous avons été vaincus. Si nous avions pris Pékin, nous aurions détruit cette ville de fond en comble, suivant les usages de la guerre ; c'est grâce à l'inépuisable bonté de l'empereur que les barbares nous, naturellement ont pu fuir de Pékin. Il les aurait anéantis jus- qu'au dernier s'il avait voulu ; il s'est contenté de leur imposer un lourd tribut. / Y. Le sud de la Sibérie. — Ses montagnes et ses mines. — Les Katchinzes. — Le pays des Turco- mans. — Un faux derviche. — M"" de Ujfalvy. — Encore le désert. — Les caravanes. — Les herbes incendiées. — La prière. — Le puits. — L'hospitalité. Les monts Altaï, les moûts Iablonoï et Stanovoï, dont les sommets s'élèvent jusque dans la région des neiges, et qui courent, de chaîne en chaîne, jusqu'au détroit de Behring, n'offrent que des solitudes affreuses faites de pics dénudés et glacés, de précipices insondables, de sombres et inextricables labyrinthes circulant à travers les contreforts, où l'é- croulement d'une avalanche, les roulements du tonnerre, l'été, répondent seuls, dans le silence éternel, aux grondements des ours et aux hurle- ments des loups. Là, tout est abrupt et sauvage. Ou ne trouve d'arbres que dans les ravins et les vallées profondes. Même sur leurs versants méridionaux ces montagnes ne se parent pas d'un arbuste. Leur seul ornement, c'est lorsqu'au printemps l'eau amassée à leur sommet rompt l'enveloppe de glace qui la retient et qu*elle s'épanche en se congelant le long des pentes, formant, sous les premiers rayons du soleil une surface polie qui se revêt des couleurs du prisme et resplendit comme une rivière » de diamants et de pierres précieuses. Daus les ramifications de ces montagnes qui envahissent le sud de la Sibérie, les flancs des hautes roches recèlent de l'or, il est vrai, de l'argent, et d'autres métaux précieux ; mais toutes ces richesses n'ont servi qu'à faire de leurs gisements des lieux d'exil et de douleur. La Sibérie et sa population de déportés aux mines, venue du fond de la Russie, du cœur de la Pologne, c'est l'Europe civilisée et malheureuse transportée en pleine Asie. Quaut aux populations indigènes qui habitent aussi cette terre in- L'ASIE. grate, sous cet âpre climat, nous les avons visitées pour la plupart dans la région polaire; les grands fleuves qui arrosent la Russie d'Asie, — la Léna, l'Iéniséï, l'Obi, — nous les avons vus à leur embouchure, lors- qu'ils se déversent dans l'océan Glacial. C'est ainsi que nous avons rencontré déjà les Tongouses vers l'embouchure de la Kolima; mais la grande majorité de leur population appartient, nous l'avons dit, aux pays de l'Amour. Il y a encore et plus loin dans ces contrées des terrains marécageux et glacés, des steppes couvertes de buissons épineux, de mélèzes nains et d'autres arbres rabougris dont les racines courent à la surface du sol, faute de pouvoir y pénétrer; il y a de lugubres forêts ; — mais nous ne voulons pas y conduire nos lecteurs. Nous ne dirons qu'un mot des Katchinzes qui habitent le sud de la Sibérie, sur la rive gauche du haut Iéniséï. Les Katchinzes ont été signalés dès le siècle passé pour leur extrême malpropreté. Leur pays est en partie plat, coupé de lacs et de marais salants, en partie montagneux, avec de beaux pâturages. Les Kat- chinzes sont grands chasseurs et se montrent assez bons éleveurs de chevaux, de bœufs et de moutons. Us s'habillent d'une toile grossière faite de chanvre d'orties ou de peaux de mouton et de chevreuil gar- nies de leur pelage. Leurs femmes, moins laides que celles des Kalmouks, se coiffent avec une certaine coquetterie. Elles fument du tabac dans de petites pipes. Ces nomades vivent sous la tente ; ils commencent cependant à avoir quelques maisons de bois. Depuis leur annexion à la Russie, ils ont été baptisés sans abandonner pour cela des croyances et des pratiques reli- gieuses qui n'ont rien de commun avec leur nouvelle religion. Une région où l'on ne pénètre pas sans périls, c'est celle qui est si- tuée à l'ouest du plateau de Pamir et qui s'étend jusqu'à la mer d'Aral et à la mer Caspienne. C'est le Khanat, c'est le pays des Turcomans et des Kirghises. Là encore nous retrouvons le désert, — le désert avec des villes bâties au milieu des sables. Parmi les derniers voyageurs qui nous ont fait connaître cette partie CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 75 594 L'ASIE. de l'Asie, il faut nommer avec distinction M. Arminius Varnbéry et Mrac de Ujfalvy-Bourdon. L'Anglais Burnes, il y a une cinquantaine d'années, s'était rendu daus l'Asie centrale par l'Inde, et en avait, pour ainsi dire, renouvelé la géographie. M. Vambéry, Hongrois de naissance, poussé par le désir de vérifier certaines questions de linguistique qui intéressent particu- lièrement l'idiome magyare, résolut d'entreprendre, à son tour, ce même voyage, à travers un pays dont le fanatisme musulman interdit le passage à tout infidèle, et, pour ainsi dire, à tout étranger. Cacliant sa nationalité, se faisant passer pour un Turc dévot, — pour un hadji », il se joignit, sous les haillons du derviche, à une bande de pèlerius tartares qui revenaient de la Mecque et regaguaient leur pays. Ce voyage a été long, pénible et rempli de péripéties dramatiques. Le philologue hongrois est allé de la Perse aux bords de la mer Caspienne, puis, par le nord, à Khiva, la ville des rossignols, à Bokhara la ville des cigognes, à Samarkand enfin, le point le plus oriental qu'il ait atteint son retour s'est effectué à travers les solitudes du sud, par Karshi et par Hérat. Nous avons eu ainsi la révélation de tout un monde nouveau, entrevu, il faut dire, sous un jour peu favorable ; une société odieuse où règne la violence, l'abrutissement et la superstition. Le derviche est la person- nification la plus complète de la vie orientale. La paresse, le fanatisme et l'indolence sont des choses que l'on regarde chez lui comme des vertus, et qu'il s'efforce de faire considérer partout comme telles. On excuse la paresse en songeant à l'impuissance des mortels, on voit dans le fanatisme un enthousiasme religieux, et l'indolence est justifiée par la pensée qu'il serait inutile qu'un être chétif comme l'homme entrât en lutte avec le destin. M'ne de Ujfalvy-Bourdon a accompagné, de Paris à Samarkand, M. de Ujfalvy, son mari, chargé d'une mission ethnographique. C'était en 1876. Les voyageurs traversèrent la Russie jusqu'à Orenbourg, qui, avec sa population mélangée de Kirghises, de Bachkirs et de Tartares, ses caravansérails et ses mosquées, est déjà l'Asie. Mme de Ujfalvy nous a initiés aux moeurs des Kirghises de la steppe et nous a parlé du Tur- kestan, de Tachkend, de Samarkand et du Ferghanah. 596 L'ASIE. Nous n'entrerons pas dans les villes ; mais le désert nous appartient, — la vie au désert. La verdure si douce au regard a fait place aux terres imprégnées de sel, dont l'odeur et l'aspect sinistre semblent avertir le voyageur des souffrances qui l'attendent dans ces immenses solitudes. On marche des journées entières sur un sol sablonneux offrant parfois de légères on- dulations, mais on il est impossible de découvrir la moindre trace d'un sentier; le soleil indique seul la direction à suivre. Parfois le sable fait place à un sol argileux et dur sur lequel, au milieu de la nuit silen- cieuse, résonne le pas cadencé des cliameaux. Pendant la nuit le ker- vanbashi », — celui qui dirige la caravane, — se guide sur l'étoile polaire appelée par les Turcomans la Cheville d'or, à cause de son immobilité. Et l'on peut marcher pendant plusieurs semaines sans trouver ni une goutte d'eau pour étancher sa soif, ni un arbre pour se mettre à l'abri des rayons du soleil. En hiver, le froid est extrême ; en été, la chaleur accablante, mais les deux saisons présentent un égal danger, et les tempêtes fréquentes de ces régions engloutissent les caravanes aussi bien sous des flots de neige que sous des tourbillons de sable. — Un nuage d'un bleu sombre apparaît à l'horizon c'est une montagne. Pendant les premières journées de marche, le silence du désert s'em- pare de l'âme comme d'une sorte d'enchantement. M. Vambéry raconte, dans ses Scènes et Tableaux du inonde asiatique , qu'il restait sou- vent des heures entières, les yeux fixes, perdus dans une sorte de rêve- rie qu'on troublait rarement, parce qu'on le croyait plongé dans de pieuses méditations le voyageur hongrois avait revêtu, nous l'avons dit, les haillons du derviche... Cependant sous l'ardeur du soleil la fa- tigue se fait sentir dans le convoi tout entier ; elle est bientôt exces- sive aussi bien pour ceux qui sont juchés sur des chameaux que pour ceux qui suivent à pied la caravane. Alors tous les yeux se tournent vers le kervanbashi, qui cherche du regard un endroit favorable pour la halte il est indispensable de procurer un pâturage aux chameaux. Quand il l'a découvert, il y conduit la caravane, tandis que les plus ac- tifs ramassent à la ronde des racines sèches et tout ce qui peut servir de combustible. Enfin on travaille à l'installation; on délivre les chameaux de leur L'ASIE. 597 charge, ou empile les ballots pour s'en faire uu abri contre le soleil, et les chameaux s'en vont se repaître gloutonnement d'herbe ou broyer le chardon. Alors il y a un moment de douce quiétude pour chacun; c'est avec délices qu'on jouit d'un moment de repos et, s'il se peut, de quelque fraîcheur. Puis le thé circule, un thé qui est souvent fait avec de l'eau trouble et qu'on boit sans sucre; mais la saveur du breuvage semble incompa- rable à ces pauvres voyageurs exténués. Ils absorbent ce thé à petites gorgées et se sentent ranimés, égayés ou disposés au sommeil. Mais tout le monde ne dort pas. Ici des mains noires pétrissent la pâte et préparent le pain ; à côté on rôtit, avec de la graisse de mouton, des côtelettes de cheval ou de chameau ; ce n'est pas très appétissant la faim fait trouver tout bon. C'est à regret qu'on obéit au signal du kervanbasbi quand il faut se remettre en marche. Les chameaux abandonnent leur pâturage et vien- nent souvent d'eux-mêmes rejoindre la caravane, se plaçant docilement auprès des balles de marchandises qui formaient leur charge ou des personnes qui les montaient. La nuit surtout le désert a ses dangers ; l'obscurité borne l'horizon et le rend impénétrable. Soit que la caravane fasse halte, soit qu'elle poursuive sa marche, chacun se rapproche de ses compagnons. La file est rompue, la troupe se divise en sept ou huit groupes qui forment un carré compact, limité par les plus forts et les plus hardis. Au clair de lune, l'ombre des chameaux qui avancent lentement produit un effet saisissant ; mais dans les nuits obscures personne n'oserait s'é- carter d'un seul pas de la caravane. Si l'on fait halte, on prend des dispositions de sûreté. Les ballots de marchandises sont empilés au milieu, les hommes se couchent alen- tour, tandis que les chameaux, formant une ligne de défense, s'éten- dent sur le sol rangés en cercle. Ils demeurent couchés la tête au de- hors du cercle, prêts à donner l'alarme par leurs cris rauques si un ennemi paraît au loin, et ils restent là toute la nuit sans bouger. La caravane marche depuis plusieurs jours et la provision d'eau commence à s'épuiser, le voyageur est menacé de connaître les tortures de la soif. Alors, pour la première fois peut-être, il lui semble que l'eau 598 L'ASIE. est le plus précieux de tous les éléments. Que ue donnerait-il pas pour en avoir quelques gouttes ! Le patient a perdu tout appétit, il éprouve un abattement excessif, un feu dévorant court dans ses veines, il se laisse tomber sur le sol dans un état complet d'épuisement. Heureux s'il entend tout d'un coup retentir à ses oreilles ces paroles magiques De l'eau! de l'eau! » et que le prévoyant kervanbashi, qui a caché une certaine quantité d'eau pour la distribuer quand les souffrances se- ront devenues intolérables, en verse un verre à chacun des membres de la caravane. Iîauimé par ce secours inespéré, il apprécie la justesse du proverbe tartare La goutte d'eau donnée dans le désert au voya- geur mourant de soif, efface cent années de péché. » Il arrive pendant la saison chaude, nous dit M. Vambéry, que lors- que le soleil brûlant a desséché les herbes et les arbrisseaux au point qu'ils sont devenus aussi inflammables que l'amadou, une étincelle tombée par négligence et activée par le vent met le feu à une steppe tout entière. La flamme, trouvant toujours un aliment nouveau, s'étend avec une telle rapidité, qu'un homme à cheval peut à grand peine lui échapper. Elle roule sur les herbes sèches comme un fleuve débordé, se dresse en sifflant lorsqu'elle rencontre des buissons et des arbrisseaux, dévore ainsi un grand espace en un temps très restreint, et sa course furieuse ne peut être arrêtée que par une rivière ou un lac. Ces in- cendies présentent pendant la nuit un aspect grandiose, mais terri- fiant ; l'horizon ressemble à une vaste mer de flamme ; les plus braves même sentent leur courage les abandonner devant ce spectacle. Avec quelque présence d'esprit on peut toutefois se sauver. Il faut pour cela, lorsque les flammes sont encore éloignées, mettre le feu aux herbes les plus proches. La flamme qui avance ne trouve plus d'aliment lors- qu'elle arrive à l'espace incendié, et c'est dans cet espace même qu'on cherche un refuge. C'est ainsi que dans le désert l'homme ne peut combattre le feu qu'en lui opposant le feu. Les tribus ennemies emploient souvent l'une contre l'autre cette arme terrible et produisent ainsi d'affreux ravages. Quelquefois aussi, un couple fugitif y a recours pour échapper aux poursuites. De tous les peuples de l'Asie, le Tartare est celui qui par son carac- tère et ses habitudes s'accommode le mieux de la vie du désert. Son fa- 600 L'ASIE. talisme lui permet de vivre au milieu de dangers toujours menaçants. Il sait s'imposer toutes sortes de privations, garde ses vêtements pendant des mois entiers, souffre de la faim et de la soif. Sa tranquillité d'âme n'en est point altérée. Cela frappait M. Vambéry, surtout le soir au moment de la prière, à laquelle chacun prenait part. La caravane, dit- il, se formait sur une seule ligne à la tète de laquelle se plaçait l'iman, qui, le visage tourné vers le soleil couchant, récitait les prières. La so- lennité de cet acte était encore augmentée par le silence qui régnait au loin, et lorsque les rayons de l'astre palissant venaient éclairer le visage de mes compagnons, ces visages avaient, malgré leur aspect farouche, une telle expression de béatitude qu'il semblait qu'ils possédassent tous les biens de la terre et qu'il ne leur restât rien à désirer. » Dans leurs mouvements semi-annuels les populations nomades de l'Asie centrale suivent toujours les mêmes routes séculaires à la recherche des meilleurs pâturages et des campements les plus commodes, sui- vant les saisons. Pendant ces migrations, le Kirghise, le Turcoman, l'Usbek, trouve au terme de son parcours quotidien le puits tant désiré. L'eau rappelle les forces épuisées et ramène la vie au milieu de cette troupe altérée d'hommes, de femmes, d'enfants, de chevaux, de cha- meaux, d'ânes, de moutons et de chèvres. Ceux d'entre nos peintres de genre qui préfèrent les scènes intimes de famille à l'air libre, dit un écrivain qui a vécu dans ces régions, peu- vent me suivre vers ce puits où une nombreuse et opulente famille kir- ghise vient de réunir toutes ses richesses pastorales autour des kibit- kas », de ces maisons de feutre que les femmes s'empressent de dresser pour le repos de la nuit. Le chef de la famille, entouré de ses fils et de ses nombreux serviteurs, est complètement absorbé par les soins minu- tieux, soucieux et vraiment paternels qu'il prodigue à de jeunes cha- meaux harassés par les fatigues de la longue étape du jour. La première coupe d'eau fraîche est pour eux ; mais le liquide réparateur est coupé par de la fine farine de millet, et sa fraîcheur est neutralisée par une dose de koumis on de lait de jument et de brebis acidulé. Le père prescrit à ses fils de découvrir au plus vite, dans les environs, un pâturage au gazon exceptionnellement fin et savoureux pour les jeunes élèves à la dentition mal affermie encore et qui ont dépouillé, depuis quelques jours L'ASIE. COI à peine, la robe enfantine d'épaisses feuilles d'ouate dont on les revêt dès leur naissance... Si la peinture pouvait rendre toutes les préoccupa- tions, tous les calculs d'avenir qui s'accumulent sur le front bas et dé- primé de ce chef defamille kirghise, pendant qu'il s'oublie lui-même, elle aiderait à traduire le sentiment intime de ces rudes enfants des steppes et des déserts du Tnrkestan, sur la valeur intrinsèque des immenses sur- faces qu'ils hantent et qu'ils exploitent depuis des siècles. Elles sont pour lui une mine fort riche de profits annuels, non seulement à titre de pâturages gratuits et inépuisables, mais comme le champ ouvert à toutes ses productives spéculations de transport. Qu'il possède des cha- meaux jeunes et forts, et sa fortune est assurée. Les transports rémuné- rateurs ne lui ont jamais échappé à aucune époque 1. » Dans l'Asie centrale on pratique l'hospitalité en quelque sorte par ins- tinct ; parmi les nomades qui la sillonnent en tous sens on peut trouver des hommes cruels, féroces, perfides, jamais un homme inhospitalier. Pendant mon séjour parmi les Turcomaus, raconte M. Vambéry dans ses Scènes et Tableaux, un de mes compagnons de mendicité partit un jour pour une tournée, ayant eu soin de se revêtir préalablement de ses vêtements les plus misérables. Après avoir erré pendant une journée, il se rapprocha le soir d'une tente isolée avec l'intention d'y passer la nuit. Il y fut accueilli cordialement, comme toujours; cependant il s'aperçut bientôt que le propriétaire de ce misérable établissement pa- raissait être dans un grand embarras et s'agitait en tous sens, comme s'il cherchait quelque chose. Le derviche éprouva un moment de ma- laise, lorsque le nomade, s'approchant de lui, lui demanda en rougissant beaucoup s'il ne pourrait pas lui prêter quelques kraus », car il n'avait que du poisson sec et désirait présenter quelque chose de mieux à son hôte. Un refus n'était pas possible ; mon camarade ouvrit la bourse qu'il tenait cachée sous ses haillons, en tira cinq kraus, et l'affaire pa- rut arrangée à leur satisfaction mutuelle. Le souper se passa gaiement ; lorsqu'il fut terminé, on offrit à l'étranger le meilleur tapis de feutre pour s'y étendre, et le lendemain matin il fut congédié avec les honneurs ordinaires. î J. Barrande. CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 76 602 L'ASIE. Il y avait à peine nue demi-henre que j'avais quitté la tente, me raconta depuis mon ami, lorsqu'un Turcomau accourut vers moi et me demanda ma bourse, en accompagnant sa demande de violentes menaces. Jugez de mon étonnement en reconnaissant dans la personne da voleur mon hôte de la veille! Je m'imaginai qu'il plaisantait, et je lui répondis en riant ; mais il me fallut bientôt reconnaître qu'il était sérieux, et, pour éviter de graves désagréments, je fus contraint de lui livrer ma bourse, quelques feuilles de thé, mon peigne et mon couteau, en un mot, tout ce que je possédais. Je me disposais ensuite à m'éloigner ; il me retint, et, ouvrant ma ou plutôt sa bourse, il en sortit cinq kraus qu'il me remit Voilà ma dette d'hier au soir ; maintenant nous sommes quittes, et vous pouvez continuer votre route. » VI. L'Arabie. — R. Burtçra. — Palgrave. — Ladj Anna Blunt. — La région fertile du Nedjed. — La géographie de Ptolémée. — Bédouins et Fellahs. — Les Wahabites et le tabac. — Les chevaux arabes. A l'extrémité sud-ouest de l'Asie, — que nous allons bientôt quitter, — et unie par le détroit de Suez au vaste continent où nous sommes impatients d'arriver, se trouve la grande presqu'île à laquelle la mer d'Oman et le golfe Persique forment une ceinture l'Arabie. Nous connaissons les Arabes ; nous avons même appris à les connaître de très près, hors de leur pays d'origine leur vie nomade dans l'Afri- que française, leurs mœurs, leurs lois, leur langue, tout cela nous est devenu familier. Mais l'Arabie est demeurée fermée aux investiga- tions les infidèles, — simples touristes ou voyageurs pour le plus grand profit de la science, — ont été tenus à distance respectueuse de la Mec- que, la cité sainte où plus de cent mille croyants viennent chaque année affirmer la perpétuité de l'islamisme. Le capitaine Burton, — qui a rencontré ailleurs et plus tard la célé- brité, — lorsqu'il n'était encore que lieutenant dans l'armée des Indes, accomplit le voyage de Médine à la Mecque aux frais de la Société géo- graphique de Londres. Parti de Southampton en avril 1853, Eichard Burton, une fois au Caire, se travestit en Arabe, et prit ses mesures pour visiter cette terre sainte des musulmans si rigoureusement interdite aux chrétiens. A Suez il fit la connaissance d'un jeune homme de la Mecque, en se faisant passer pour un pèlerin afghan; il se lia avec d'autres Arabes qui lui of- frirent de l'emmener avec eux au tombeau du Prophète. Arrivé à Mé- dine sans avoir soulevé sur son compte le moindre soupçon, il visita la mosquée, et prit l'esquisse de la ville et de ses environs les plus remar- 004 L'ASIE. quables. A la Mecque, il put voir les cérémonies des liadji. Il leva le plan de la Kâaba, et après avoir étudié les objets les plus intéressants de la ville sainte il revint en Egypte ayant gagné le titre de hadji. Depuis lors, un autre Anglais, Palgrave, entreprit une exploration du même genre, voyageant sous les dehors d'un médecin arabe de Damas Fig. 216. — Pèlerins autour de la Kaaba, dans la mosquée de la Mecque. 1862. Ce déguisement indispensable devait avoir l'inconvénient de lui interdire la possession de toute espèce d'instruments physiques ou astronomiques qui lui auraient permis de faire d'utiles observations. La géographie a donc été un peu sacrifiée ; mais Palgrave a très largement racheté ce défaut de son voyage en rapportant une masse de notions précieuses sur la condition sociale, politique, religieuse et commerciale de l'Arabie centrale, sur le caractère général et la conformation des diverses parties de la péninsule, dont on ne connaissait guère que les L'ASIE. G05 provinces maritimes ; il a recueilli une foule d'informations nouvelles sur ce plateau entouré d'un cercle de déserts. L'exploration de Palgrave a consisté dans la traversée oblique de la péninsule arabe depuis la pointe de la mer Morte jusqu'à la côte d'O- man. Le savant voyageur était parti de Gaza, sur la côte syrienne, avec une caravane qui se rendait à la Mecque ; bientôt il l'abandonna pour se diriger plus à l'est et pénétrer dans le Kacim, puis dans le Nedjed de là il gagna le port d'El-Khatif sur le golfe Persique, visita Mascate, revint à Bagdad par l'Euphrate, et de Bagdad à Damas et à Beyrouth, où il s'embarqua pour l'Européen 1863. Voilà les voyageurs récents; — ajoutons-y lady Anne Blunt, à qui certains côtés de la vie privée des Arabes ont été accessibles; — voilà, disons-nous, les voyageurs qui, après Nieburh et Burckhardt, ont pu nous donner une idée assez précise de la configuration de l'immense péninsule. L'Arabie centrale est un plateau montagneux, entouré cle tous côtés par des déserts. Pierreux au nord et sablonneux dans tout le reste du pourtour, ces déserts sont découpés comme le serait une mer baignant un continent; ils offrent tantôt de vastes bassins, tantôt des détroits et des baies profondes. Au milieu d'eux les oasis sont des îles, tandis que le plateau du centre représente la terre continentale. Excepté au nord-est, où les hautes plaines du désert de Syrie et d'Arabie ratta- chent la péninsule au continent asiatique , les déserts sont eux-mêmes enveloppés par les chaînes de montagnes qui bordent les quatre mers au milieu desquelles se trouve située la péninsule. Si, au plateau cen- tral, connu sous le nom général de Nedjed, on ajoute la surface habitée et cultivée des chaînes du littoral, on constate que le tiers de l'Arabie, composé de plaines de pierres ou de sable, où, faute d'eau, toute cul- ture est impossible, se trouve réduit à l'état de désert. Les tribus no- mades qui les parcourent sont numériquement très faibles, relative- ment au reste de la population. Tel de ces déserts est un immense océan de sable rouge et mouvant, dont les vagues, disposées parallèlement par les vents, offrent à l'œil une suite interminable d'ondulations uniformes. Pour passer d'une crête à 006 L'ASIE. une autre, il faut ^descendre parfois jusqu'à une profondeur de 200 à 300 pieds, où l'on est privé d'air et suffoqué par la chaleur, condensée comme dans un four ; puis, pour en sortir, il faut s'élever laborieusement jusqu'au sommet suivant. Des points les plus hauts une telle plaine semble être une mer de feu. Pas une plante, pas une créature vivante , pas un abri! Si cela devait durer toujours ce serait l'enfer! » s'écriait Palgrave en traversant un de ces déserts à la tête d'une caravane obli- gée de couper obliquement l'une après l'autre toutes ces dunes de sable. Après les buissons et les acacias delà plaine, après les vallons sablon- neux, après les solitudes bornées à l'horizon par quelques pics bleuâtres, se dressent des rideaux de collines peu élevées, des bois de palmiers ; la terre verdit et sépare, les oiseaux gazouillent dans les bouquets d'arbus- tes; sur le sable chaud courent de grands lézards; quelquefois une bande de perdrix s'envole des herbes , ou encore une longue file de gazelles traverse le sentier suivi par la caravane c'est la région fertile du Xed- jed. En deux ou trois endroits, dans le Nedjed, des cercles d'énormes pier- res brutes, plantées en terre et surmontées, à leur sommet, par d'autres pierres posées transversalement, rappellent les pierres levées »des mo- numents celtiques. Le plateau le plus élevé de toute l'Arabie, qui atteint, croit-on, une hauteur de 3,000 mètres, est situé à peu près au centre de la presqu'île, dans cette province de Nedjed. De hautes montagnes séparent le Hed- jaz des plaines du Nedjed dont la surface ondulée est, dans certaines parties, brusquement coupée par plusieurs chaînes. La région monta- gneuse de l'Yémen s'abaisse avec la vallée du Mecdân, fleuve qui a son embouchure près d'Aden, vers le territoire désert des côtes de Téhama. Les anciennes divisions de l'Arabie adoptées par le géographe Pto- lemée ne répondent nullement au caractère des limites assignées aux diverses parties de ce territoire, et ont été, en outre, fort mal comprises. Le nom d'Arabie Heureuse, est le résultat d'une traduction erronée du mot Yémen, et le mot Pétrée ne signifie pas davantage une nature ro- cailleuse du sol. Mais ces réserves faites, que de souvenirs n'évoquent pas ces noms! L'ASIE. 007 L'Arabie Pétrée remplit les traditions bibliques. C'est elle que l'on nommait l'Idumée, et qui tomba en partage à Edom ouEsaù; c'était la / la terre des Amalécites, des Madianites, des Nabathéens, de toutes ces tribns qui disputèrent si longtemps au peuple élu l'entrée de la Terre promise. C'est au milieu de ces solitudes stériles que s'accomplirent, Fig. 217. — Arabie Pétrée. Oasis de Dahab, sur le golfe Élamtique. après la sortie d'Egypte, les destinées du peuple d'Israël. Le désert de l'Egarement, le rocher qui se feudit sous la verge de Moïse, les puits amers de Marah sont encore là comme au jour où les Juifs désespéraient d'échapper à la mort qui les pressait de toutes parts. Le Sinaï, sur le sommet duquel Dieu donna sa loi aux hommes ; Horeb, son buisson ar- dent, ses cavernes où le prophète Elie se dérobait aux fureurs de Jézabel, conserventà ces régions désolées le respect des nations. Non loin de cette terre des miracles, Pétra, l'ancienne capitale desNabathéens, cache dans G08 L'ASIE. les profondeurs de ses rochers les temples, les arcs de triomphe, les théâtres, les tombeaux, témoins irrécusables de sa grandeur passée. C'est là que, dès les temps les plus reculés, les tribus nomades de l'Yé- men apportaient l'encens, la myrrhe et les aromates, précieux produits de leur contrée; c'est làqu'ils recevaient en échange les meilleures étoffes des Phéniciens; car Pétra était, plusieurs siècles avant notre ère, le riche entrepôt du commerce de l'Arabie méridionale. Les Arabes nomades sont désignés sous le nom de Bédouins et les Ara- bes sédentaires sous celui de Fellahs. Les uns et les autres descendent de ces Arabes belliqueux qui ont par leurs armes imposé le Coran à tout le nord de l'Afrique, à une grande partie de l'Asie et même pendant huit siècles à l'Espagne. Ces Sémites sont de taille moyenne , vigoureusement constitués. Ils ont le teint basané ; leurs traits expriment une fierté et une gravité no- bles. Ils sont doués de beaucoup d'adresse et se montrent ingénieux. Il y a encore beaucoup en eux de ces qualités et de ces défauts exaltés dans ces poèmes, — les moallakats », — suspendus à la voûte du temple de la Mecque, et qui chantaient , — avec une singulière exagération des figu- res et une abondance de traits subtils et raffinés, — les querelles san- glantes des tribus, les vengeances héréditaires, la valeur des guerriers et leur ardeur au pillage, la vitesse des coursiers , la pratique de l'hos- pitalité et d'une libéralité aveugle, l'amour et la gloire. On a dit de l'Arabe Lorsqu'il aime, il brûle ; lorsqu'il hait, il tue ; lorsqu'il lutte, il est violent; lorsqu'il se venge, il est cruel. Les Arabes se vantent d'avoir quatre-vingts mots pour désigner le miel, deux cents pour le serpent, cinq cents pour le lion, mille pour le chameau. Comme ces chiffres les peignent bien ! Une secte puissante, celle des Wahabites, mal connue en Europe, constitue aujourd'hui le dernier rempart du mahométisme en Arabie. Elle date seulement du milieu du siècle dernier. Sa doctrine est la religion du Prophète dans sa forme la plus stricte, la plus primitive, la plus ex- clusive. Les Wahabites sont les puritains de l'Orient. Le tabac, — la honte ». — est ce que réprouve avec le plus d'énergie le dogme wahabite ; mais cette réprobation n'a pas dépassé les limites L'ASIE. 609 de la puissance territoriale des Wahabites en Arabie. Ainsi aucun peuple, pas même les Turcs de Constantinople, ne fait une consommation aussi abondante de tabac que les Arabes commerçants de l'Oman; les mar- chés de Mascate et des autres villes regorgent de ce précieux article, et la pipe se trouve dans toutes les bouches. Mais pour un AVrahabite, le meurtre, le faux témoignage et d'autres crimes ne sont que des baga- Fig. 218. — Une oasis. telles, tandis que fumer , on plutôt boire la honte, c'est un péché énorme. Palgrave cite, à ce propos, une anecdote qui montre jusqu'à quel degré de sottise peut aller le fanatisme. Un homme, dont le fervent islamisme semblait à l'abri de tout soupçon, mourut à Sedous. On récita sur sa dépouille les prières d'u- sage et on l'ensevelit, comme un bon musulman, le visage tourné vers la Kâaba. Mais il arriva que, pendant les funérailles, un des assis- tants laissa tomber, sans s'en apercevoir, sa bourse dans la fosse, où CONTREES MYSTÉRIEUSES. 77 610 L'ASIE. elle fat recouverte par la terre jetée sur le corps. En retournant à sa demeure il s'aperçut de la perte qu'il avait faite, et, après avoir cherché inutilement partout, devina ce qui était arrivé. Notre homme ne savait à quoi se résoudre. Troubler le repos des morts est uue profanation non moins abhorrée chez les mahométans que chez les chrétiens. Le paysan consulta le cadi du village, qui lui répondit sagement que, dans un cas semblable, fouiller une tombe n'est pas un crime ; il lui conseilla néan- moins, pour éviter le scandale et les bavardages, d'attendre la tombée de la nuit. Ainsi encouragé, le Nedjéen se mit à l'œuvre le soir même, et retira bientôt sa bourse des mains glacées du cadavre. Mais quelles ne furent pas son épouvante et son horreur en reconnaissant que le défunt avait changé de position et détourné sa tête de la Kâaba! Eecouvrant le corps à la hâte, il retourna chez le cadi pour l'infor- mer de ce sinistre présage. Tous deux furent d'avis que le mort devait avoir commis quelque faute irrémissible, et résolurent de faire une enquête pour découvrir les preuves du péché qui avait mérité un tel châtiment. Ils bouleversèrent du haut en bas la pauvre demeure du dé- funt et découvrirent enfin, soigneusement cachée dans une fente de la muraille, une petite pipe dont le tube noirci et l'odeur diabolique révé- laient trop clairement l'infâme hypocrisie de son propriétaire. Le crime était notoire, le miracle s'expliquait, et, sans doute, l'amateur de la honte » brûlait déjà dans le feu qui ne s'éteint pas. » L'interdiction du tabac n'est pas l'œuvre de Mahomet le prophète ne connaissait pas cette plante. Mais il est probable que, s'il l'eût con- nue, il en eût défendu l'usage, comme il a défendu celai du vin. Le tabac, celui de l'Oman surtout, et le vin, enivrent, diseut les Waha- bites ; et ils s'en abstiennent. Dans les régions de l'Arabie où le sol s'élève successivement par terrasses, la végétation offre de belles espèces d'arbres à fruits, de hauts palmiers, le dhourra, espèce de millet qui tient lieu des grains d'Europe ; ajoutons-y le tabac, le coton, l'indigo, un café de qualité ex- cellente, des aromates de tous genres, comme le benjoin, le baume, l'a- loès, la myrrhe, l'encens, etc. Les gazelles et les autruches se transportent d'oasis en oasis à tra- recherche d'une proie. Les troupeaux sont riches eu moutons, 612 L'ASIE. chèvres et eu bœufs. Eufiu, avec le chameau, fidèle compagiiou de ses pérégrinations, l'Arabe possède l'ane des plus nobles races chevalines. Ces chevaux arabes, le général Daumas les a dépeints admirablement. Les chevaux du Hedjaz ont de beaux yeux noirs, des oreilles longues, la poitrine profonde, la bouche et les lèvres minces, les chevilles fines et les sabots durs. Cenx du Nedjed ont l'encolure plus longue qu'aucun autre cheval arabe ; chez eux, la tête est courte, dépourvue de chair aux joues, la croupe large, le ventre vaste, les jambes sèches, les articulations bien soudées et les cuisses fortes. Les chevaux de l'Yémen ont le corps arrondi, la peau dure, la croupe un peu étroite, les cuisses cependant fournies de muscles, les tendons bien séparés, bien détachés des os, et l'encolure courte comparative- ment aux autres chevaux arabes, mais longue encore, si l'on regarde ceux des autres pays. Les chevaux syriens sont tous beaux de couleur; ils' ont les yeux grands, les coins de la bouche très ouverts, le poil fin, le crâne chauve. Leur corps plaît à l'oeil, mais ils n'ont pas le fond et la résignation des chevaux de l'Arabie proprement dite. Leurs sabots sont tendres. Ce qui donnera toujours une grande supériorité aux chevaux de ces pays-là, c'est l'air, la lumière et le soleil, ces grands vivificateurs. CINQUIÈME PARTIE. L'AFRIQUE. I. L'Afrique. — L'esclavage. — Les forbans du désert. — Les marchés d'esclaves du Fezzan. — Les esclaves Nubas. — Les esclaves de l'Ogôoué. — Supplices et sacrifices humains. — Les Coutumes » du Dahomey. — Funérailles sanglantes. — Terribles représailles. — L'anthro- pophagie africaine. Quelle est cette terre envahie par d'impénétrables forêts et par des marécages malsains, stérilisée par les sables des déserts, exposée à ton- tes les ardeurs d'un soleil torride, et où s'agitent au milieu de la plus af- freuse barbarie plus de cent cinquante millions d'hommes noirs, appar- tenant à une race incontestablement inférieure et pour laquelle la nature semble avoir été marâtre ? Est-il besoin de nommer le continent africain ? Ses habitants sont faibles et légers comme des enfants; cruels sans même avoir conscience de leur cruauté ; ils paraissent ne posséder d'é- nergie que pour souffrir. Chose étrange! dans cette partie du monde, le frère vend son frère, sans hésitation et saus remords. Sans être moins odieux, il se montre parfois plus inhumain encore lorsqu'il le fait servir à de sanguinaires sacrifices. La déchéance native des hommes de la race noire, leur misérable con- dition, — dont ils ne sont pas capables de sortir, — excite la pitié des philanthropes ; mais, étudiés de près, ils déconcertent les dévouements les plus sympathiques et provoquent les plus excessives sévérités de jugement. L'esclavage est l'institution » lapins forte, la plus résistante de l'A- frique, — si tant est qu'il y ait d'autres institutions véritables! — l'an- thropophagie y a ses adeptes persévérants, moins excusables que les sauvages de l'Océanie qui sont demeurés longtemps isolés dans leurs îles, tandis que les Africains ont vu la Méditerranée battre de ses flots les promontoires de la Grèce, les rivages de la Gaule et de l'Italie ; Car- thage et l'Egypte ont joui de civilisations rivales de Rome et de l'Orient 616 L'AFRIQUE. hellénique il n'eu reste rien sur ce sol ingrat, — rien que des ruiues. Ici l'étape de l'état sauvage à la barbarie a été franchie depuis vingt siècles au moins, et il n'y paraît presque pas ; le perfectionnement intel- lectuel et moral y est absolument insensible ; le fétichisme des peuples arriérés ne s'élève pas même au niveau de l'idolâtrie ; le progrès matériel est nul; et l'outil, l'arme, le vêtement, — ou ce qui tient lieu de vête- ment, — sont presque partout ceux de l'homme primitif aux prises avec les premières difficultés de l'existence. L'Afrique est enfin la terre où l'être humain se montre sans culture, absolument comme ses solitudes qu'il abandonne aux animaux comme si c'était leur domaine naturel ; où cet être semble plus rapproché que nulle part de la bête féroce ou immonde, du lion des déserts ou du crocodile des fleuves, dont le nègre partage les instincts, du gorille dont il a la laideur et les folles colères, du serpent dont il possède l'astuce. La bonne foi est inconnue à ces hommes de couleur, perfides, vindicatifs ; ils sont inaccessibles à la pitié ; la terreur seule a prise sur eux ; ils ne connaissent pas un autre idéal que la force qui, à leurs yeux, légitime tout ainsi deux nègres sont faits prisonniers par des ennemis de même race qu'eux ils se soumettent, puisque leur faiblesse l'a voulu! En route, par un hasard heureux, ils rencontrent des libérateurs; ils vont donc pouvoir retourner au milieu des leurs ; on le croirait ; mais le plus vigoureux de ces deux gredins à la peau noire se ravise il se rend maî- tre de son compagnon et, à son tour, il le vend pour un verre de rhum. Le fait est authentique ; il s'est passé au Congo, sous les yeux de M. de Brazza. Pour nous il dit tout! Cette terre d'Afrique est sillonnée de convois d'esclaves. Autrefois l'écoulement de cette denrée humaine se faisait principalement par les côtes de l'Atlantique ; cela durait depuis le quinzième siècle, lorsque la traite fut abolie par les nations coloniales de l'Europe, et que l'Amé- rique ne voulut plus d'esclaves noirs. Aujourd'hui, c'est vers l'Egypte, vers la mer Bouge, vers l'océan Indien que se dirigent les tristes caravanes d'Africains réduits en servitude. Les étapes se font dans les plus affreuses conditions, à travers des déserts brûlants. On voit se développer à l'horizon une ligne noire qui serpente à tra- L'AFRIQUE. 617 vers les herbes courtes ou les sables jaunes; bientôt, sons l'ardent soleil, quelques amies jettent des éclairs ; c'est un convoi d'esclaves qui appro- che; il avance péniblement, escorté par des forbans du désert montés sur des chameaux. Quelques-uns des trafiquants vont à pied et raniment à coups de fouet ceux des Noirs dont l'épuisement ralentit la marche du Fig, 220. — Navire négrier. cortège au milieu des sables. Les jeunes filles et quelques très jeunes garçons, comme marchandise de choix, sont groupés par quatre sur les chameaux. M. Trémaux, qui a voyagé en caravane clans le Soudan au milieu du désert de Korosko, se croisa ainsi avec un convoi qui s'acheminait vers le Caire. Sa pitié fut émue au spectacle de tant de misères. Il fut sur- tout impressionné par la vue d'un homme âgé dont la barbe courte et déjà grisonnante se dessinait en blanc sur sa figure noire. Ce pauvre CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 78 G18 L'AFRIQUE. diable, dit-il, ruisselait de sueur et marchait en avant de la courbache — le fouet — du djellad, x> qui avait déjà laissé de nombreuses traces de poussière blanche sur ses épaules noires et nues. Ses genoux fléchissaient sous lui , et de moment à autre il prenait un petit trot chancelant pour suivre le simple pas de ses compagnons. Le voyageur fit signe à l'un des djellads qui escortaient le convoi de mettre ce vieillard à la place d'une des vigoureuses jeunes filles qui étaient sur un chameau un ba- lancement négatif de la tête fut la seule réponse qu'il reçut. Ce vieillard n'avait sans doute aux yeux du trafiquant qu'une très mince va- leur... Dans d'autres parties de l'Afrique, ces lugubres convois sont plus at- tristants encore. On passe au cou des esclaves de longues perches de bois reliées les unes aux autres ; on leur met des chaînes aux mains. Us se trouvent ainsi dans l'impossibilité de s'enfuir ou de tenter aucune résis- tance. Mais leur marche en est rendue plus pénible ; ils avancent lente- ment malgré les coups de fouet. Souvent, dans les déserts que l'on doit traverser, les vivres viennent à manquer ; les malheureux captifs, hâves, épuisés, ressentent les tortu- res de la faim et de la soif. Les traitants abandonnent ceux d'entre eux qui ne peuvent plus se tramer. Dans ces circonstances, des faits atroces se produisaient fréquemment il y a quelques années encore. Us sont devenus plus rares depuis que le continent noir a été ouvert par des explorateurs dont tout le monde sait les noms, suivis bientôt de missionnaires assez nombreux déjà. Autre- fois les trafiquants ne prenaient pas la peine de délivrer de leurs liens ceux de ces malheureux Noirs qui demeuraient en arrière. Emprisonnés dans les longues fourches qui leur interdisaient tout mouvement, ces tristes victimes s'affaissaient sur le sol, se tordant dans les douleurs d"une affreuse agonie, jusqu'à ce que la mort vînt les délivrer. Souvent la mort ne se faisait pas attendre les malheureux étaient dévorés vi- vants par une troupe de fourmis qui en quelques heures ne laissaient de leur corps que le squelette. Livingstone a vu sur sa route des cadavres d'esclaves abandonnés ainsi, encore attachés les uns aux autres. Quelquefois le traitant va jusqu'à immoler ses esclaves, non par pitié, mais en cédant à la colère, et pour être sûr qu'aucun rival dans son abo- L'AFRIQUE. 019 minable industrie ne pourra recueillir l'abandonné et en tirer profit. Livingstone dit, dans son Dernier journal, qu'il lui arriva de jjasser près d'une femme attachée à un arbre par le cou ; elle était morte. Les gens du pays lui expliquèrent qu'elle n'avait pu suivre la bande dont elle faisait partie et que son maître n'avait pas voulu qu'elle devînt la pro- priété de celui qui la trouverait, si le repos venait à la remettre. Ce n'est pas la seule fois qu'il fut témoin de pareilles atrocités. Il avait vu encore une femme poignardée ou tuée d'une balle, et qui gisait dans une mare de sang. La réponse qu'on lui faisait était toujours la même le maître, pour soulager sa colère, avait tué la pauvre créature qui lui occasionnait une perte d'argent. Le lieutenant Cameron , dans sa traversée de l'Afrique équatoriale de l'est à l'ouest, vit revenir d'une cliasse aux esclaves un Noir portugais. Il ramenait une file d'une cinquantaine de pauvres femmes chargées de gros ballots c'était le butin fait par la troupe du Noir sur les gens de leur propre pays. Quelques-unes de ces infortunées portaient en outre leurs plus jeunes enfants dans les bras. Elles avaient été capturées dans qna- rante on cinquante villages qu'on avait détruits et rainés ; la plupart des hommes avaient été tués; les autres, chassés dans les marécages, se trou- vaient exposés à périr d'inanition. Je suis persuadé, dit Cameron, que ces quarante ou cinquante esclaves représentaient plus de cinq cents êtres humains tués en défendant leurs foyers, ou morts de faim, sans parler d'un plus grand nombre demeurés sans abri. Toutes ces femmes étaient attachées ensemble par la ceinture avec de grosses cordes à nœuds, et si elles ralentissaient leur pas on les battait sans pitié. Ces mulâtres portugais et ces marchands noirs sont très brutaux dans le traitement de leurs esclaves; les Arabes, au contraire, les traitent généralement avec moins de cruauté. Habituellement les esclaves de l'intérieur ne sont pas conduits jusqu'à la côte ; on les dirige sur le pays de Sékéletou, où, pour des causes diverses, la population est assez clairsemée, et où il y a une grande demande d'esclaves. Ils sont troqués contre de l'ivoire, qu'on apporte ensuite sur la côte. » M. Trémaux, que nous citions tantôt, raconte une histoire des plus émouvantes. C'était au bord du Nil Bleu, à un endroit où il est possible de passer le fleuve à gué. Une caravane venait de traverser les forêts G20 L'AFRIQUE. sans fin du Fa-zogl, emmenant en Egypte ce qui restait de la popu- lation de toute une région mise à feu et à sang. Parmi les femmes juchées sur les chameaux se trouvaient une mère avec sa fille; la fille, jeune et belle, était traitée avec égards, la mère avait reçu plusieurs blessures en se défendant; souffrante et âgée , cette pauvre femme n'était qu'un embarras. Les djellads ne l'avaient emmenée que pour ne pas causer trop de chagrin à la jeune esclave dont ils comp- taient tirer un bon prix; mais ils n'attendaient qu'âne occasion favo- rable pour se débarrasser d'elle. A la traversée du fleuve, les chameaux ne devant pas être trop chargés, on dédoubla leurs fardeaux la fille passa des premières, mais la mère ne reparut pas sur l'autre rive. Lorsque la malheureuse enfant vit que le convoi se remettait en route sans sa mère, elle s'abandonna à la plus vive douleur; elle fut hissée sur un chameau malgré sa résistance, ses pleurs et ses suppli- cations. Et la caravane se remit en marche ; mais peu de temps après, les conducteurs s'aperçurent que la jeune fille avait disparu elle avait réussi à briser ses liens et à se glisser dans les hautes herbes sans être vue. Naturellement ses compagnes reçurent pour prix de leur silence une correction exemplaire où la courbache fit son office... Il n'était pas difficile pour ces gens, bien qu'ils n'aient point d'en- trailles, de deviner que l'amour de l'enfant pour sa mère avait tout fait. Cette jeune esclave valait la peine qu'on revînt en arrière pour la re- prendre. Deux des djellads repassèrent le gué. La vieille négresse n'é- tait plus au bord du fleuve ; mais sa trace fut bien vite retrouvée dans le sol vaseux... Us arrivèrent à l'endroit où la pauvre vieille recevait les caresses de son enfant. Elle les vit et dit à sa fille de fuir; mais il était trop tard. Alors toutes deux essayèrent d'attendrir ces hommes cruels ; la jeune esclave les supplia de ne pas abandonner sa mère qui dans son état ne pouvait manquer d'être déchirée par la dent des carnassiers dès la nuit venue le soleil baissait... Oh! non, ils ne voudraient pas que sa mère fût dévorée vivante ! Prières vaines! La jeune négresse fut entraînée. La mère se tordait de désespoir, appelant sa fille, regardant l'œil fixe et le bras tendu dans la direction où elle allait disparaître pour toujours... Ce n'est là qu'un des mille drames poignants auxquels donne lieu L'AFKIQUE. 021 chaque jour l'horrible trafic humain. On a vu de ces malheureux mourir presque subitement de chagrin leur cœur se brisait. Mais comment parvient-on à arracher ces Noirs à leur sol? Ce sont de prétendus marchands d'ivoire, qui, pénétrant très avant dans les empires noirs, s'approvisionnent, par l'astuce et la violence, de cette chair, dont la vente donne de si beaux profits dans diverses contrées de l'Orient. Le commerce de l'ivoire, tout avantageux qu'il Fig. 221. — Sur le Nil Blanc. est pour les caravanes, ne saurait couvrir leurs frais de campagne et ne sert qu'à sauver les apparences. Les trafiquants du Nil Blanc, — pour ne parler que de ceux-là, — ne sont en réalité que des chasseurs d'escla- ves. C'est un ramassis de tout ce que l'Egypte peut fournir de gens sans aveu. Les explorateurs les ont vus à l'œuvre. Armés comme des forbans seuls savent s'armer, c'est-à-dire jus- qu'aux dents, ils partent par bandes de deux ou trois cents, sous la conduite du chef qui leur a fourni fusils, pistolets et sabres. Entassés dans des barques qui s'avancent silencieuses sur le Nil, ils guettent 622 L'AFRIQUE. de loin leur proie. Ils comptent sur la faiblesse des populations au mi- lieu desquelles ils se rendent et sur leur état permanent d'hostilité. Il s'agit pour eux d'exploiter la situation en intervenant dans les querelles des indigènes. Ils se font donc accepter sans peine comme auxiliaires par l'un ou l'autre des chefs ennemis, et se font les exécuteurs de leurs vengeances particulières. A la faveur de la nuit ou par trahison, ils se rendent maîtres d'un village, incendient les huttes, massacrent tous ceux qui résistent et s'emparent des survivants par droit de conquête ». Ils n'épargnent guère que les femmes, les jeunes filles et les enfants, parce qu'il leur est aisé de les emmener sans résistance, et que ces pauvres créatures sont aussi d'une vente plus avantageuse. Ces malheureuses victimes de la cupidité sont de la part de leurs ravisseurs l'objet de toutes sortes de violences et de mauvais traite- ments. Les esclaves passent, du reste, de main en main sans que leur sort reçoive aucun adoucissement. Entraînés vers la basse Egypte, ils sont vendus à de petits marchands dont les caravanes n'osent s'aven- turer au loin. Ceux-ci les cèdent ensuite aux agents arabes éche- lonnés de Khartoum à la mer Rouge. On embarque les esclaves à Souakim ou à Masoua pour être dirigés sur le Caire, vers l'Arabie ou la Perse, — • partout enfin où l'esclavage des races inférieures est maintenu et où l'homme est un objet de spéculation de la part de son semblable. Ce n'est qu'après s'être débarrassés de leurs esclaves, qui peuvent valoir en moyenne de 100 à 125 francs, que les honnêtes négociants du Soudan viennent vendre à Khartoum l'ivoire qu'ils ont obtenu par des moyens au nombre desquels on peut, sans leur faire tort, compter la fraude et le pillage. Mais l'ivoire, nous l'avons dit, n'est qu'un accessoire dans les opérations des caravanes, et c'est le trafic des esclaves qui fait vivre la capitale du Soudan. Livingstone trouva le pays situé à l'ouest du lac Tanganyika boule- versé par les Arabes venus de la côte de l'océan Indien, métis cruels, monstres à face humaine. Les indigènes Manyémas n'ayant pas d'es- claves à leur livrer, ces misérables traitants s'en procuraient par la guerre ; tantôt, ainsi que leurs émules, — ou leurs complices, — du haut L'AFRIQUE. 023 Nil, ils épousaient la querelle d'un chef contre un autre, tantôt ils volaient quelques chèvres et répondaient aux réclamations par des coups de fusil ; finalement, ils emmenaient tout ce qui avait échappé au car- nage. Ils parvenaient encore à leurs fins en ayant l'art de faire de quelque chef un créancier insolvable les tristes sujets payaient de la perte de leur liberté les dettes de leur roitelet idiot. Les consuls européens qui résident à Khartoum se sont montrés im- puissants à s'opposer à la traite des Noirs. A certains moments, les casernes de cette ville ont reçrorçré d'esclaves des deux sexes. On a vu O O le gouvernement en vendre, en donner à ses employés à valoir sur ce qui leur était dû pour leurs appointements! Les mesures prises par l'administration égyptienne ne l'ont jamais été que temporairement; partant, elles sont demeurées inefficaces. Sir Samuel Baker trouva réunis, lors de sou passage à Gondokoro, environ trois mille esclaves noirs, dans le moment où le gouvernement du Soudan, se montrant assez énergique dans la répression de la traite, faisait remonter le Nil Blanc par des steamers pour s'emparer des bateaux chargés d'esclaves. On voyait qu'il était devenu difficile aux caravanes de Gondokoro de de transporter leurs Nègres dans le Soudan. Mais ce n'était là qu'une affaire de temps, une obligation pour les trafiquants d'user momenta- nément de quelque prudence. L'intrépide voyageur Rohlfs, se trouvant à Mourzouk, capitale du Fezzan, y a vu arriver du Kordofan des caravanes d'esclaves noirs. Le gouverneur du Fezzan favorisait cet odieux trafic, et Mourzouk est devenu sous sa protection un véritable marché d'esclaves; des mar- chands viennent d'Egypte y acheter des Nègres. Au moment du séjour de Gérhard Rohlfs dans cette ville, il y avait environ deux mille es- claves disponibles. Les prix, plus élevés que sur la côte de la mer Rouge, étaient de plusieurs centaines de francs pour un jeune homme robuste, ou une jolie négresse nubile. Du Bornou, - — qui forme la limite méridionale du Fezzan, — à la ville de Mourzouk, il y a environ onze cents kilomètres de trajet à travers de mornes solitudes sans arbres, sans herbes et sans eau c'est là le lugubre itinéraire des caravanes qui amènent les esclaves. Des deux côtés de la route suivie par G. Rohlfs, on voyait les ossements G24 L'AFRIQUE. blanchis des esclaves morts. Celui qui ne connaît pas le chemin du Bornou, a écrit l'explorateur de ces sinistres contrées, n'a qu'à suivre les ossements dispersés à gauche et à droite de la voie, et ne risque pas de se tromper. » On sait, dans le pays, que ces ossements ou ces cadavres, — car souvent on trouve les corps à l'état de momies, — sont ceux d'esclaves qu'on n'a pas pris la peine d'enterrer. Auprès des sour- ces ils sont plus nombreux ils y étaient arrivés mourants ; ils n'ont pas eu la force de les atteindre et de s'y désaltérer. Plus d'une fois, en puisant à ces sources, on en retire des crânes... Le commerce des esclaves dans le Soudan égyptien est loin de n'être plus qu'un souvenir. Encore en 1882, un missionnaire écrivait de Delen, daus la partie montagneuse du Kordofan qui est habitée par des Noirs appelés Nubas, que presque chaque semaine il assistait impuissant au passage de colonnes de captifs emmenés par les arabes pasteurs, — les Bakarahs. Ces Nubas sont très recherchés, paraît-il, comme esclaves, à cause de leur intelligence ; leur pays est aujourd'hui le centre de la chasse à l'homme. Pendant quarante ans, des courses y ont été organisées régulièrement par le gouvernement égyptien. Les employés et la solde des troupes étaient payés en esclaves; le reste des Noirs enlevés servait à former des régiments spéciaux. L 'Angleterre intervint en 1842, mais le désordre dura encore long- temps, jusqu'à ce que l'abominable trafic, cessant d'être le monopole de l'Etat, devint le but de la spéculation privée, qui organisa sur une grande échelle l'exploitation des empires noirs. En ce moment, dit encore le même missionnaire, le fameux mar- chand d'esclaves, Ismaïl,a établi un camp à Delen. Cette fois il ne s'est pas contenté de tentes, mais il a fait élever de véritables hangars. Nous lui avons fait demander s'il ne craignait pas les soldats d'El- Obéïd. Il a répondu que non. L'année passée, lorsque les soldats d'El- Obéïd vinrent pour prélever des impôts à Delen, il paraît qu'ils n'ins- pirèrent à Ismaïl, qui se trouvait précisément là, aucune espèce de crainte. Au contraire ils vinrent à lui, et ils fumèrent ensemble. Le gouverneur d'El-Obéïd reçoit même, comme impôts, des esclaves à la place de paiement. Comment pourrait-il donc molester dans leur com- L'AFRIQUE. ',25 62G L'AFRIQUE. Mahdi insurgé contre le gouvernement égyptien, et soutenu par les marchands d'esclaves du Soudan, a écrasé l'armée envoyée pour le faire rentrer dans l'obéissance novembre 1883. Si Ton se transporte des déserts du nord-est de l'Afrique au golfe de Guinée, c'est toujours le même tableau, — plus affligeant encore si c"est possible. Il y a quelques années, dans son expédition sur TOgôoué, M. S. de Brazza y trouva l'esclavage en pleine vigueur. Les Nègres des rives de ce fleuve vendent leurs enfants, leurs frères, leurs amis. Il fallait à M. de Brazza des gens du pays pour conduire ses pirogues. Il acheta une quinzaine d'esclaves auxquels il rendit la liberté; il espérait avoir en eux des serviteurs fidèles , il avait bien quelque droit à leur recon- naissance... Déception ! ces Noirs le volèrent et s'enfuirent. Ces Africains de l'Ogôoué, — et ils ont des imitateurs ! — ne sont pas exploités par des gens venus de loin, puisqu'ils s'asservissent mu- tuellement en quelque sorte, en vue d'un bénéfice douteux à réaliser. Ces populations noires paraissent donc privées de sens moral aussi bien que de sensibilité. Ceci nous amène à rappeler bien des cruautés commises sur le sol africain par les Africains eux-mêmes ; mais comme dernier mot sur l'esclavage, n'oublions pas de dire que sur les côtes de l'ouest, dans les parties du littoral où le commerce des Noirs a été ruiné par l'abolition de la traite, dans l'impossibilité d'utiliser les captifs tom- bés entre les mains des vainqueurs dans les guerres de peuplade à peu- plade... on les tue. Voilà un résultat que n'avaient pas jjrévu les Wilber- force, les Clarkson et les Bnxton. Kamrasi, roi d'Ounyoro, avec qui Speke eut plus d'un démêlé, assu- rait son autorité sur ses provinces en les parcourant, suivi d'une sorte de garde prétorienne, forte de cinq cents hommes. Ce corps, comme on le pense bien, possédait le privilège de piller sur le chemin du roi et ne manquait pas d'en user. Une simple faute commise par l'un des sujets était punie de mort, après un jugement des plus sommaires, et le cou- pable, pieds et poings liés, périssait sur l'heure sous le bâton. Lorsque le capitaine Speke arriva à la cour de Mtésa, le jeune roi d'Ouganda, le voyageur constata avec effroi que la vie des gouverneurs, des officiers les plus élevés, ne tenait qu'à un caprice. Le moindre soup- L'AFRIQUE. 627 çon, un rêve fâcheux, pouvait entraîner leur mort. Il m'est arrivé, di- sait Mtésa à Speke, de faire tuer jusqu'à cent courtisans dans la même journée. » Et il manifestait l'intention de punir d'une manière semblable la négligence dont les serviteurs pourraient se rendre coupables envers son hôte, car il savait comment on guérit la désobéissance ». Hâtons- nous de dire que Mtésa s'était un peu humanisé depuis le visite de plusieurs explorateurs, et lorsque la nouvelle de sa mort est arrivée en Europe à la fin de septembre 1883, elle a provoqué de véritables regrets. Ses officiers, ses sujets devaient s'agenouiller ou s'accroupir autour de lui, et ne l'approcher qu'en rampant et le regard baissé. Toucher au trône, aux vêtements du roi, même par mégarde, ou lever les yeux sur ses femmes, entraînait la peine de mort. » Quant aux nombreuses femmes du harem, la vie de ces malheureuses créatures était attachée à l'observation minutieuse des lois d'une éti- quette bizarre comme les tyrans seuls en savent imaginer. La moindre intempérance de langue , un geste involontaire , un acte quelconque, non prévu ni voulu par un maître fantastique et jaloux de son pouvoir, pouvait les faire sans délai traîner à une mort ignominieuse. Les jeunes pages du roi remplissaient à leur égard l'office de bourreau. Il ne s'est point passé de jour, a écrit le capitaine Speke, que je n'aie vu conduire au supplice quelquefois une, quelquefois deux et jusqu'à trois'ou quatre femmes du harem de Mtésa. » Faut-il s'étonner après cela qu'il vint à l'esprit de ce tyran de déchar- ger une carabine sur un homme inoffensif, uniquement pour s'assurer que l'arme avait été régulièrement chargée ? Speke vit cela la carabine était un présent fait par lui au roi. La férocité de Nacer, roi de ïagali, était proverbiale, et il en tirait lui-même une étrange vanité. Un jour qu'il rentrait à son quartier, il entendit une panthère rugir. Comment, dit-il, il y a dans le royaume de Nacer une panthère qui crie la faim? Mais c'est une honte pour Nacer! » Et, désignant au hasard un de ses hommes, il le fit jeter en pâture à la bête affamée. Le Casembé, visité par le docteur Livingstone au centre de la région des lacs équatoriaux, était Un usurpateur cruel pour une faute légère 028 L'AFRIQUE. commise par un de ses sujets, il lui faisait couper les oreilles, le nez ou les mains, il vendait ses enfants, il saisissait les bestiaux 1. Au Dahomey, on excite le peuple par des spectacles sanguinaires. Le roi ordonne journellement des exécutions. Et l'on peut voir, soit sur la place du marché, soit à la porte du palais du roi, ce que Jules Gérard voyait chaque jour à Ahomey, des têtes coupées, des cadavres de sup- pliciés, les uns pendus, d'autres disposés par dérision comme des hom- mes qui s'apprêtent à marcher. D'autres fois, dit le docteur Répin, justice faite, — ce mot de jus- tice n'est-il pas profané ici ? — la tête du supplicié, séparée du tronc, est placée sur les crochets de fer qui surmontent les murs d'enceinte de la case royale. Que deviennent les cadavres? J'ai souvent, ajoute le doc- teur, posé cette question à des Dahomyens de diverses classes, et je n'ai jamais pu obtenir une réponse bien catégorique. Cependant je ne crois pas les Dahomyens anthropophages. La sanglante tragédie qui se joue chaque année à la fête des Coutumes » n'a d'autre but que la satisfac- tion de cet instinct inné de cruauté qui porte la plupart des enfants à faire souffrir les êtres plus faibles qu'eux et qu'on retrouve chez ces peu- ples toujours en enfance. Il pourrait se faire, néanmoins, qu'ils atta- chassent quelque idée superstitieuse à la consommation de ces restes et qu'ils servissent à de secrètes et révoltantes agapes; mais, je le répète, je n'ai là-dessus que des soupçons qu'ont fait naître dans mon esprit l'hésitation et l'embarras des Noirs que j'ai interrogés à ce sujet. » Ce voyageur, en parlant de Coutumes », fait allusion à des sacrifices humains qui ont lien à certaines époques périodiques, comme des so- lennités publiques. Des prisonniers sont cloués contre un arbre par la tête, la poitrine, les pieds et les mains. A l'époque des Coutumes, chaque jour on immole des victimes humaines. Un Anglais, lieutenant de vais- seau, qui se trouvait il y a quelques années à Abomey, manifesta sa dé- sapprobation ; on l'avertit que s'il ne se taisait pas le roi lui ferait tran- cher la tête ; il demanda à s'éloigner ; on lui dit qu'il ne partirait qu'après les Coutumes. 1 En 179G le Portugais Pereira estimait l'année du Casembé, roi du Londa, à vingt mille soldats. Les mes de sa capitale Loucenda bien déchue aujourd'hui étaient arrosées réguliè- rement ; mais on sacrifiait chaque jour vingt personnes. s L'AFRIQUE. 629 Le roi, entouré de ses officiers, força le lieutenant à l'accompagner au lieu de la cérémonie. Dans une plaine immense, couverte de milliers de spectateurs, trois mille esclaves et trois mille bœufs ou moutons étaient rangés sur deux lignes ; le roi se promena au milieu de cette allée vivante j>uis sur un signe fait avec son bâton royal, les six mille têtes tombèrent à la fois. Les guerriers dahomyens se précipitèrent sur les victimes et mangèrent la chair sanglante des animaux. Fig. 223. — Eue à Loucenda près du Tanganyika. De pareilles horreurs se renouvellent chaque année dans cette Afrique mystérieuse. Le pauvre lieutenant en perdit l'esprit. De retour en Angleterre il croyait toujours voir tomber devant lui des milliers de têtes et poussait des cris d'horreur. Lors des Coutumes, si le roi a été battu dans une des dernières rencontres et n'a pas fait de prisonniers, il prend simplement trois mille de ses sujets pour victimes. Ceux-ci sont arrivés à un tel degré de stupidité que ceux sur qui le choix tombe s'estiment heureux et fiers. Une autre fois, un négociant hollandais vit apporter vingt-quatre cor- 030 L'AFRIQUE. beilles contenant chacune un homme vivant, dont la tête seule passait au dehors. On les disposa un moment en ligne sur le rebord de la plate- forme où se tenait le roi ; puis on les précipita l'une après l'autre. En bas, une foule ivre de sang, sautant, hurlant, se jetait sur ces corbeilles, chacun s'efforçant d'accaparer une tête à scier avec quelque mauvais couteau ébréché ! Cette tête valait à celui qui l'avait coupée un chapelet de cauris d'une valeur de 2 francs 50 centimes environ. Dans les grandes Coutumes, on sacrifie hommes et femmes avec un certain nombre de chevaux. Les sacrificateurs ont bien soin de mêler le sang des chevaux égorgés à celui des victimes humaines. Dans cet affreux pays le roi donne habituellement audience aux Euro- péens dans une enceinte parée de rangées de têtes humaines, fraîchement coupées , saignant encore. Lorsqu'un roi du Dahomey meurt, on lui érige dans un caveau un monument cimenté du sang d'une centaine de captifs, provenant des der- nières guerres, et sacrifiés pour faire cortège au souverain dans l'autre monde. Le corps du monarque est mis dans son cercueil, la tête repo- sant sur les crânes des rois vaincus par lui. Ces préparatifs achevés, on fait entrer dans le caveau huit abaïas » danseuses de la cour et cinquante gardes du roi. On place auprès d'eux un amas d'ustensiles et de vêtements, des parures, du tabac, des barils d'eau-de-vie le roi pourra ainsi être bien servi ; puis on sacrifie ces malheureux pour qu'ils aillent rejoindre leur maître, qui a besoin d'eux. Chose étrange ! dit le docteur Répin, il se trouve toujours un nombre suffisant de victimes volontaires des deux sexes, qui considèrent comme un honneur de s'immoler dans le charnier royal. Le caveau reste ouvert pendant trois jours pour recevoir les pauvres fanatiques, puis le premier ministre recouvre le cercueil d'un velours noir et partage avec les grands de la cour et les abaïas survivantes les joyaux et les vêtements dont le nouveau roi a fait hommage à l'ombre de son prédécesseur. Dans le pays des Ashantis, les royales obsèques étaient, au commence- ment de ce siècle, encore plus sanglantes. Un envoyé de la Grande-Breta- gne, M. Bowdich, qui, en 1817, visita Coumassie, cette horrible capitale anéantie récemment par les Anglais, raconte que les sacrifices offerts àla royauté se renouvelaient là de semaine en semaine pendant trois mois. L'AFRIQUE. 631 Avec de pareilles mœurs chez les Africains, il ne faut pas s'étonner que de simples représailles soient terribles. G. Lejean, dans la relation de son voyage au Taka, raconte ce qui s'était passé dans un village de la haute Nubie un peu avant qu'il visitât cette région. Un homme de Hafara avait enlevé deux jeunes garçons du village où habitait son beau-père ; c'était avec l'intention de les vendre et il les vendit à Kassala, malgré les protestations du beau-père. Alors celui-ci fit prévenir secrètement sa fille de se tenir prête à un grave événement. Une nuit, il conduisit à Hafara trois cents guerriers bien armés qui envahirent silencieusement le village. A la porte de chaque hutte un homme se posta en sentinelle tandis que deux autres pénétraient à l'intérieur et coupaient la gorge à tous ceux qui s'y trouvaient. Ce fut l'affaire de quelques minutes. Les cinq cents habitants de Hafara passèrent sans résistance du sommeil à la mort. Le premier auteur de cette catastrophe périt, et sa veuve suivit son père et les vainqueurs à Basen. Naturellement ces représailles atroces devaient en amener d'autres. Les voisins des gens de Hafara, aidés des marchands d'esclaves de Kas- sala, firent une razzia chez les habitants si susceptibles de Basen. Us en tuèrent tant qu'ils purent et emmenèrent les jeunes filles et les en- fants pour les vendre à Kassala. Les indigènes du Manyéma dans la région des lacs sont sanguinaires et poussent le mépris de la vie humaine aux dernières limites. L'anthro- pophagie se pratiquait ouvertement chez eux avant que les manifesta- tions de dégoût des trafiquants Arabes les eussent obligés à la dissimuler. L'anthropophagie ! Encore un horrible usage que nous ne pouvions manquer de rencontrer... Les Bassoutos de l'Afrique australe pratiquent l'anthropophagie , et plus d'une fois les Boërs ont dû tenter de ravoir par la force un des leurs, capturé pour servir à des festins de cannibales. On a prétendu que les Niams-Niams du Soudan oriental sont anthro- pophages ; mais il est probable qu'on ne doit accuser de ce goût mons- trueux qu'une seule de leurs tribus, celle des Bindgie. Le rivage nord-ouest du Loûta Nzidjé est bordé de montagnes qui plongent à pic dans le lac ; elles sont habitées par des tribus suspectées d'anthropophagie. G32 L'AFRIQUE. Mais les Monbouttous du bassin de l'Oùellé se livrent au canniba- lisme avec bien plus de passion. Ce qui est une exception chez les Xiams-Xiams est la coutume chez eux. Lorsque Schweinfurth visita le roi Mounza, on tuait chaque jour pour la table de ce monstre un des pe- tits enfants ramenés à la suite d'expéditions fructueuses. Chaque année, comme s'il s'agissait de grandes chasses, ces expéditions s'organisent contre les peuplades qui vivent sons l'équateur. Les Monbouttous man- gent sur place les morts restés sur le champ de bataille et emmènent leurs prisonniers pour les manger à loisir. Le docteur Schweinfurth s'étant arrêté devant un étal de viandes ap- pétissantes, proprement exposées sur des feuilles de bananier, apprit que cette marchandise était de la chair de vieilles femmes engraissées pour les gourmets. — Sur la côte occidentale, les Pahouins sont également anthropophages. D'aurte part, il faut le dire, il y a des populations, — comme les rive- rains du Nyassa et de la Rofouma, — qui ont horreur de l'anthropopha- gie, à ce point qu'ils s'abstiennent même de toucher à la chair des ani- maux qui se nourrissent de l'homme, tels que le lion et la panthère. II. Populations africaines. — Nègres et Noirs. — Condition de la femme. — Les sorciers blancs. — Albinos africains. — Les jolies négresses. — L'embonpoint exigé pour la beauté féminine. — Les nains. — Traits caractéristiques des races. — Coiffures bizarres. — Nudité et vête- ment. — Ornements du visage. — Colliers, bracelets, etc. — Attirail guerrier. — Armes offensives et défensives. — Caractères. — Religions. — Fanatisme et superstition. — Le a mauvais œil ». — Devins et sorciers. — Le culte des serpents. — Les missionnaires. — Les marabouts. — Mœurs et coutumes. — Gouvernements. — Supplices. — Épreuves judi- • ciaires. — Habitations. — Villages. — C Kraals ». — Tembés ». — Zéribas. » — Nourriture. — Industrie. Ainsi nous sommes en Afrique sur une terre qui, sans sa nombreuse population, semblerait un continent nouvellement créé les siècles n'y apportent avec eux aucun changement, et il en sera ainsi tant que les Européens n'auront pas fait la. conquête de ce vaste sol pour le plus grand profit de la civilisation et le relèvement de l'humanité. Quelle est donc cette race si rebelle à tout progrès? Elle est assez diverse. Il y a des populations d'une laideur repoussante ; il y en a d'as- sez belles ; il y en a d'étranges ; nous pouvons même montrer des Nègres blancs, des géants et des nains. Nous ne parlerons, bien entendu, que des races ou groupes d'hommes qui ont une physionomie distincte, remar- quable les autres participent de traits généraux que nous indiquerons. Sous le nom de Nègres beaucoup de voyageurs, de missionnaires et d'ethnographes ont confondu des races qui se dérobent à cette classifica- tion et qui n'ont même aucune parenté entre elles. Nous citerons, après M. Duveyrier, les Koï-Koïns ou Hottentots, les Fouillés, les Haousas, les Bantoas et les Mâbas comme exemples d'autant de peuples, ou de grandes familles de la Nigritie, entre lesquelles on chercherait vaine- ment des caractères communs soit physiques soit intellectuels ou ethno- logiques. La nature laineuse des cheveux est le véritable cachet du Nègre. Tout peuple qui n'en est pas marqué, dit M. Vivien de Saint-Martin, quelque CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 80 634 L'AFRIQUE. foncée que puisse être d'ailleurs la teinte de son épiderme, quelle que soit même la coupe de sa physionomie, n'appartient pas à cette classe inférieure de la famille humaine. Ce pourra être un peuple noir, ce ne Fig. 224. — Hottentot Kora. sera pas un peuple nègre. Les Cafres sont des Noirs, ce ne sont pas des Nègres. Les Fellatas ou Foullas, cette grande nation qui domine aujour- d'hui sur la moitié du Soudan, sont un peuple noir; ce n'est pas un peuple nègre. On en peut dire autant des Tiboûs, branche adultérée de la race berbère, aussi bien que des Bischaris et des autres tribus nu- biennes, qui sont les Éthiopiens des Grecs ; on peut étendre également L'AFRIQUE. 635 cette distinction aux Abvssius et à bien d'autres tribus de l'Afrique orientale. » La haute région forestière située dans le triangle formé par le lac Tan- ganyika et les lacs Moëro et Bangoueolo semble être, selon Liviug- stone, la patrie de la race noire. Les habitants, hommes et femmes, y sont en général très beaux, particulièrement ceux de l'Itahoua. On trouve parmi eux des têtes bien faites, de belles formes, de petites mains. C'est à croire que les êtres disgraciés qui vivent dans les marais pestilentiels des côtes constituent une race dégénérée, tandis que le vrai type nègre serait celui de l'Égyptien des temps antiques. En dehors de l'islam, il y a des populations qui peuvent répudier le nom de sauvages, mais qui assurément sont encore en pleine barbarie ; tels sont les Môssis qui vivent au sud de Tombouctou, et les Achantis de la Guinée. Examinons d'un peu plus près les caractères physiques et moraux des populations africaines. Les Onolofs sont grands et bien faits ; leur peau est d'un noir d'é- bène ; ils ont les cheveux crépus, les lèvres fortes, le nez un peu dé- primé, la physionomie plutôt avenante que repoussante. Les Peuls ont la peau assez claire, d'un brun rougeâtre; ce sont des Nègres cuivrés, leurs cheveux sont crépus comme ceux des Nègres, mais leurs lèvres, beaucoup moins épaisses, laissent au profil quelque chose de la régularité des types européens. Un grand nombre de Peuls portent deux tresses de cheveux tombant des tempes, assez semblables aux tresses d'ordonnance de nos anciens hussards. Les naturels de l'Egba ont la couleur du cuivre. Ce sont plutôt des négroïdes que de véritables Nègres. L'œil, chez eux, est beau, la lèvre peu épaisse, mais les gencives sont bleues, les joues proéminentes, le menton rentré, le front fuyant. Leurs formes sont parfaites. Les femmes relèvent leurs cheveux sur la tête comme une touffe de laine, et cette coiffure leur donne une ressemblance lointaine avec les bêtes à cornes. Elles se tatouent et se font des cicatrices sur la peau. Elles se plaisent à pratiquer sur leurs enfants ces sauvages ornementations, et le corps des pauvres êtres porte de la tête aux pieds la marque d'incisions teintes en bleu au moyeu de l'antimoine. 636 L'AFKIQUE. Voici le portrait que le capitaine Burton fait des habitants du Da- homey ce C'est une vilaine race. Ils sont menteurs comme des Crétois, et, sous le rapport de l'intelligence, de vrais crétins. Ils sont lâches et par conséquent cruels ; ils sont joueurs et par conséquent voleurs. Bru- taux, ils ne respectent rien, ils n'obéissent à personne. Au moral, de la vermine. Au physique, ils ont la peau noire, les sourcils jaunes. Ils sont de taille moyenne, sveltes, agiles, bons marcheurs, danseurs infatiga- bles. Voilà pour le sexe masculin. Quant aux femmes, elles appartien- nent à l'ordre des éléphants ; en d'autres termes, elles sont massives et carrées. Ce sont elles qui moissonnent, qui fauchent, qui font les gros travaux. On sait qu'une partie d'entre elles, dans ce pays, portent les armes et forment la garde personnelle du roi. » Un missionnaire écrivait en 1865 Le Nègre est au Dahomey un peu moins sauvage que sur les autres points des environs de la côte ; en présence du blanc, du missionnaire surtout, il est timide et doux comme un agneau; d'un amour peu stable, et le plus souvent feint, il oblige son maître à se tenir toujours sur le qui-vive. Je dis son maître, car ici ils sont tous esclaves les uns des autres... Tous les sauvages sont en gé- néral d'une grande taille et ont le corps bien fait jusqu'au cou ; mais quand on passe à la figure, on dirait des monstres de grosses lèvres, une large bouche, un nez très épaté, une chevelure très crépue, point de barbe une tête de boule-dogue », a écrit Jules Gérard, le tueur de lions, qui passa deux ou trois semaines à la cour du roi de Dahomey ; ils se rasent la tête de toutes les manières. Us sont tous marqués à la figure avec un instrument tranchant... Ici la femme est un être abomi- nable, sans pudeur, sans honte, et méchante comme la vipère. On la voit, la pipe à la bouche, courir de danse en danse, et se livrer ainsi du matin au soir à toutes sortes d'orgies et de crimes. Il y a possibilité de ramener les hommes , mais on n'a presque rien à espérer des femmes. Le Noir, quand il s'agit de travailler, est d'une mollesse à ne pas pou- voir remuer les jambes. Le rotin est aussi nécessaire à ces gens qu'à nous la nourriture. » Les Achantis, qui ont bien des traits communs avec les précédents, se distinguent de la plupart de leurs voisins en ce qu'ils considèrent la femme" comme l'égale de l'homme. Lorsque le roi est mineur, sa mère L'AFRIQUE. 037 G38 L'AFRIQUE. Mais chez les Pahouins les femmes sont traitées eu esclaves. Les filles, dès leur enfance, sont promises au plus offrant. A ces femmes sont ré- servés les travaux pénibles, tels que la culture des jardins, la cueillette et le transport à dos des bananes, etc. Plus elles sont capables de porter de lourdes charges, plus elles sont appréciées et recherchées. Les Pa- houins n'ont pas d'esclaves leurs femmes leur en tiennent lieu et sont cruellement maltraitées ; aussi le suicide n'est-il pas inconnu parmi elles. Ces malheureuses ne deviennent même pas libres à la mort de leur mari les parents en héritent. Dans la Gainée méridionale, à laquelle le Coogo donne actuellement une importance justifiée par la situation de cette contrée, qui est la clef de l'Afrique équatoriale, les diverses races paraissent appartenir à la famille cafre. Elles sont sans exception de couleur noire. Les Mouchi- congos, qui occupent le Congo proprement dit, les Mousserongos, les Ca- bindos, et les Loangos du littoral, ont les yeux bruns et ouverts, une bouche moyenne, avec des lèvres pas trop épaisses, un nez épaté, l'oreille un peu grande ; le front, très bombé chez l'enfant, devient fuyant chez l'adulte. Les cheveux coupés très courts sont laineux ; la barbe n'ap- paraît généralement qu'à un âge avancé; elle est noire d'abord, d'un jaune roussâtre plus tard, et enfin blanche. Si l'on en croit le voyageur suédois Anderson, les Damaras sont une race d'hommes très belle ; une taille de deux mètres est commune parmi eux ; le corps et les membres sont bien proportionnés ; leur visage est régulier, expressif, leurs gestes sont gracieux. La couleur de leur peau n'est pas très foncée. Les femmes sont délicates, bien proportionnées, avec de petits pieds et de petites mains, mais avec l'âge elles deviennent fort laides ; du reste les deux sexes sont très malpropres. Ils s'enduisent d'ocre rouge et de graisse, ce qui répand autour d'eux une odeur nau- séabonde. Les Zoulous ont une véritable beauté de formes, des traits réguliers. Malgré leurs cheveux laineux , ils appartiennent à l'une des races les plus remarquables de l'Afrique. Les habitants de l'Ongogo les Vouagogos sont supérieurs aux tri- bus échelonnées de cet État à la côte de l'Océan indien. Il y a dans leur front, dit Stanley, quelque chose de léonin; leur physionomie L'AFRIQUE. G 39 est intelligente, leurs yeux sont grands et largement ouverts. Ils ont le nez plat, les lèvres grosses, mais pas de cette façon monstrueuse que nous supposons chez tous les Nègres. » C'est à peu près le portrait qu'avait fait d'eux le capitaine Burton. 640 L'AFRIQUE. Cet explorateur a noté que clans l'est et clans le nord de l'Ougogo la race est vigoureuse, avec la nuance claire des Abyssiniens, mais la physionomie est sauvage, même chez les femmes, les lèvres sont épais- ses et d'une expression brutale, les paupières rougies ; la voix est forte, impérieuse. La partie postérieure de la tête est petite relativement à la largeur de la face. Et comme il faut que partout l'homme s'enlaidisse, — quand ce n'est pas la femme, — les Vouagogos s'arrachent les deux incisives du milieu de la mâchoire inférieure. Quelques-uns se rasent la tête, d'autres se tressent une quantité de petites nattes comme les an- ciens Égyptiens, et les enduisent de terre ocreuse et micacée ; ce même enduit sert à embellir le corps ; une couche de beurre fondu par dessus ne gâte rien, paraît-il, aux yeux des plus difficiles en matière de goût. Un peuple étrange entre tous ces Noirs, est celui des Vouasongoras aux longues jambes. Ils ont en aversion tout ce qui est étranger. Cette aversion n'égale que leur amour extravagant pour leurs bestiaux. Si une vache meurt de maladie, dit Stanley, on fouille tout le pays pour découvrir celui qui a dû ensorceler la bête, et y trouve-t-on un étranger, sa vie est en péril... » Chez ces peuples, et aussi bien que chez les Vouarouanda, les Vouagafou, les Vouanyambou et en général les peu- ples vivant à l'ouest du Nyanza, un étrauger mourrait faute d'une goutte de lait qu'on ne la lui donnerait pas. Jamais le roi Roumanika, si géné- reux et si bon qu'il se soit montré à l'égard de plusieurs voyageurs, n'offrit une cuillerée de lait à Stanley pendant le séjour que celui-ci fit auprès de lui. A en croire les rapports faits à Stanley, il y aurait chez les Vouason- goras quelques tribus à jambes si longues qu'ils ne peuvent les con- templer sans un étonnement mêlé de craintes j>. Lorsqu'en 1872 Livingstone et Stanley, explorant le lac Tanganyika, entendirent parler d'un peuple de Nègres blancs qui habitait au nord de l'Ouzidjé, ils se refusèrent d'y croire. Quatre ans plus tard, Stanley reconnut la vérité de cette assertion en arrivant sur la frontière d'Ou- nyoro, au pied de l'énorme massif du Kabongo qu'aucun voyageur eu- ropéen ne connaissait encore. Le géant de ces montagnes est le mont Gambaragara, volcan éteint dont la neige recouvre souvent lê sommet. C'est autour de ce sommet que plusieurs villages sont habités par une L'AFRIQUE. 641 race d'hommes au teint blanc semblable à celui des Eurojéens. Les fonctions de sorciers auprès des rois d'Oimyoro leur sont dévolues. our condiment essentiel le piment, em- ployé à haute dose. Les femmes broient le grain entre deux pierres et font cuire le gâteau daus des fours improvisés ; ou encore elles allument un grand feu sur L'AFRIQUE. G75 un terrain battu, et, quand il est suffisamment chauffé, la galette de pâte est posée dessus recouverte d'un vase de métal sur lequel on fait du feu. Près de la côte occidentale de l'Afrique, les indigènes cultivent des concombres et les mangent en salades assaisonnés d'une huile tirée de la semence même de cette plante. Dans la région du haut Nil, les Noirs riveraios des affluents du grand fleuve ne mangent ordinairement qu'une fois par jour, vers le coucher du soleil; leur principale nourriture est le lait, puis le dourrah, qu'ils consomment en bouillie ou en grains cuits à l'eau. La viande est pour eux un régal qu'ils ue rencontrent que dans les fêtes, les sacrifices, et quand ils perdent une tête de bétail. Ils ont des haricots, des pois, des courges, qu'ils cultivent sur les bords des cours d'eau on dans les îles. Les forêts leur fournissent aussi des ra- cines, des fruits sauvages, des cham- pignons et du miel en quantité. D'autres nourritures semblent ac- cuser chez certains peuples de l'A- frique une réelle dépravation de goût. C'est ainsi qu'on mange des pâtés de moucherons sur les bords du Nyassa et des fourmis blanches dans le Manyéma. Frites dans la poêle, ces fourmis constituent, selon Li- vingstone , un mets très agréable. Excepté l'homme et le chien, dit Schweinfurth, les Bongos sem- blent regarder comme alimentaire toute substance animale, quel que soit l'état dans lequel elle se trouve. Les restes du repas d'un lion, débris putréfiés cachés dans la forêt, et dont l'approche des milans et des vautours leur révèle l'existence, sont recueillis par eux avec joie. Le fumet leur garantit que la viande est tendre, et ils estiment que dans cette condition elle est plus nourrissante et plus facile à digérer que la chair fraîche. Il ne saurait d'ailleurs être question de goût avec des gens qui ne reculent pas devant la nourriture la plus révoltante. Chaque 676 L'AFRIQUE. fois, ajoute le savant voyageur, que j'ai fait tuer un bœuf, j'ai vu mes porteurs se disputer avidement le contenu de la panse, ainsi que le font les Esquimaux, qui prennent la seule idée qu'ils puissent avoir des lé- gumes daus ce que leur fournit l'estomac des rennes. » Faut-il poursuivre cette citation? J'ai vu, dit le voyageur, les Bongos arracher avec calme les vers qui tapissent tout l'appareil diges- tif du bétail de cette région, — d'affreux ampliistomes, — et s'en emplir la bouche. Après cela je ne suis pas surpris qu'ils tiennent pour gibiër tout ce qui grouille et qui rampe , depuis les rats j usqu'aux serpents ; ni de les voir manger sans répugnance du vau- tour dont la chair con- serve l'odeur de la nour- riture habituelle de ces oiseaux de proie ; de l'hyène galeuse, de l'hé- téromètre palmé — c'est un gros scorpion terres- tre; — des chenilles et des larves de termite à l'abdomen huileux. » Les Bnshmen se gui- dent aussi sur les vau- tours pour se procurer les reliefs du lion. Quand cet animal a supris quelque girafe, un buffle, un élan, dès le lendemain les vautours, pla- nant au-dessus des débris de ce festin, en indiquent la place. Les gros os que les mâchoires de la bête fauve n'ont pu entamer, les Bushmen les brisent pour en sucer la moelle. Les Zoulous sont très friands de sauterelles. Ils les mangent au miel, bouillies et réduites en poudre. Il paraît que grillées elles sont supérieu- res aux crevettes , selon l'opinion des Européens qui en ont goûté. Les Zoulous sont gourmets de grosses chenilles, auxquelles ils trouvent une saveur végétale qu'ils prisent fort une énorme grenouille appelée L'AFRIQUE. G77 matlamctlo », qui une fois cuite ressemble assez à un poulet, constitue une des singularités de leur cuisine. Dans l'occident de la région équatoriale, il y a un fruit, la noix de kola on de goûro, dont il est fait une consommation importante. Les Achantis en envoient des quantités considérables au marché de Salaga et les indigènes viennent pour s'approvisionner de plus de 1,400 kilomè- tres. De même des caravanes de Bihé vont chercher entre le Zaïre et le Zambèse de grandes quantités de miel, qui entre dans l'alimentation sous forme d"hydromel. Fig. 215. — Dessins d'objets eu cuir, fabriqués à ïombouctou. Ceci nous amène à dire quelques mots des boissons. Les musulmans, qui dominent à l'ouest de la Nigritie, se désaltèrent avec de l'eau fraîche mélangée avec de la farine de millet. L'infidèle, le fétichiste, boit son pombé ou sa bière de millet et de miel, espèce d'hy- dromel très fort et très enivrant, quelquefois aussi du vin de palmier ou de dattes. Ces bières africaines, — mérissa, caffir, etc., — faites pour la plupart avec une espèce de millet nommé dourrah, — sont des bois- sons acidulées très capiteuses. Sous leur influence, les Noirs se livrent souvent à toutes sortes d'actes de sauvagerie et de brutalité. Quelques mots sur l'industrie des populations africaines trouveront naturellement leur place ici. Certains Noirs se montrent singulièrement doués pour les arts indus- triels. Ainsi les Achantis connaissent le tissage, la broderie, la poterie, 678 L'AFRIQUE. Fig. 246. — Kano. Sandale en cuir. la fabrication des cuirs, l'art de travailler les métaux et même l'orfè- vrerie. Les indigènes de la région forestière située au sud du lac Tanganyika sont très laborieux ; non seulement ils cultivent la terre avec soin, mais ils ont des forgerons qui étirent en fil mince, pour en faire des bracelets , des barres de cuivre apportées du Katannga à l'ouest du lac Môëro. Ils ont aussi des tisserands qui font avec le beau coton que produit la contrée des châles rayés de noir et de blanc. Les habitants de l'Ouuyamouési travaillent assez bien le fer et fabriquent des instru- ments d'agriculture, des couteaux, des ciseaux, des bracelets, des boucles d'oreilles. Les Zoulous se montrent habiles dans la fabrication des armes dont se servent leurs guerriers. Ils emploient aussi avec art différentes manières de préparer les peaux d'auirnaux pour les vêtements. Les Djours sont forgerons et fournissent des ustensiles de métal aux Chillouks, aux Dinkas et aux Nouers. Les Monbouttous, excellents ouvriers dans les travaux de forge, surpassent aussi tous les peu- ples de l'Afrique centrale dans la construction des habitations. Enfin il y a dans le haut Niger dix ou douze millions de Noirs, les plus industrieux sans doute de l'Afrique. C'est qu'en effet la vie est active dans ces grandes villes des royaumes du Soudan. Comment vivraient sans industrie les quarante mille habitants de Kouka, capitale du Bornou? Les cinquante mille habitants de la ville de Kano, dans les États du sultan de Sokoto? A Tombouctou, il y a aussi quelque chose de cette . activité. — Les marchands du Bornou apportent aux marchés de Kouka et des autres localités importantes les produits variés du sol et de l'in- 247. — Djebira, sao de cuir. L'AFKIQU E. 679 dustrie. Ces derniers consistent snrtont en coton filé, corbeilles en pailles tressées, cordes, brides, bâts, sacs de cuir, ustensiles agricoles, plats, vases d'argile, vêtements — tourkédi », draperie bleu foncé dont les femmes s'enveloppent, tobé », blouse flottante que portent les indigènes par-dessus leur large pantalon, tuniques à l'usage des Touaregs, sandales de cuir, etc. — Ils s'approvisionnent en retour de marchandises venues de bien loin par la voie des caravanes. Ajoutons que nous tenons les deux débouchés de cette immense région africaine par l'Algérie et le Sénégal. III. Difficulté de pénétrer en Afrique. — Tentatives des nations civilisées. — Obstacles naturels et autres. — Porteurs exigeants. — Monnaies encombrantes. — Les explorateurs célèbres du continent africain. — Burton, Speke, Grant, Livingstone, Carneron, Stanley, Sctnveinf urth, Serpa Pinto. — Autres voyageurs G. Lejean, Matteucci, G. Rohlfs, Baines, Nacktigal, S. de Brazza, etc., etc. Voilà eu somme des peuples bien étranges qui, par leurs mœurs, leurs idées, rendent presque impénétrable le pays qu'ils habitent. On sait quel a été le sort de la mission Flatters chargée d'étudier l'éta- blissement d'une voie ferrée à travers le désert qui avoisine nos posses- sions algériennes. Notre colonie du Sénégal, — qui est cependant bien placée pour nous donner accès chez les populations de la Nigritie septen- trionale, — ne nous a pas été jusqu'ici d'une grande utilité pour cet objet. L'ouverture du Congo par M. de Brazza n'aura peut-être pas non pins d'avantages immédiats. Les Portugais, qui ont pénétré assez avant dans l'intérieur de l'A- frique, il y a plusieurs siècles déjà, ne sont guère plus avancés que les autres nations européennes dans leurs relations avec le continent no ir. Ils en sont réduits à fonder des comptoirs sur le littoral. Les Anglais établis en sentinelle au Cap ne font un pas en avant qu'au prix d'énormes sacrifices, comme on l'a vu lors de la guerre du Zonlouland, et encore ont-ils eu quelquefois comme auxiliaires, dans cette partie australe de l'Afrique, les Boërs d'origines hollandaise et fran- çaise qui ont fondé les républiques situées au sud et à l'orient du désert de Kalahari. Leur expédition en Abyssinie, leur campagne contre les Achantis , demeurent des faits sans conséquences appréciables au point de vue de la civilisation générale. L'Egypte seule, — malheureusement la moins civilisée des puissan- ces civilisées », — a réussi à ouvrir les régions du haut Nil, mais avec des avantages contestables. Que pouvait réellement organiser l'Egypte ayant besoin, elle-même, que l'Europe aille faire la police chez elle? L'AFRIQUE. 081 Eu 1869, sir Samuel Baker, counu déjà par ses voyages dans la région des lacs équatorianx, fut chargé par le vice-roi d'Egypte de pénétrer dans l'intérieur de l'Afrique, aussi avant qu'il le jugerait utile ; et le vice- roi lui donna le commandement d'une petite armée, d'une flottille, avec un matériel considérable. L'expédition fut faite aux frais d'Ismaïl-Pacha, qui était appelé à en recueillir les premiers bénéfices. Il s'agissait pour lui d'annexer à ses Etats d'immenses territoires ; de souder une vaste oasis aux plaines sablonneuses de la Nubie et du Soudan ; de faire du Nil. dans toute son étendue, un fleuve égyptien. Sir Samuel Baker, revêtu du titre de pacha, à lui conféré par la Porte, et tenant du khédive de pleins pouvoirs militaires et politiques , devait avoir le gouvernement des fu- tures provinces dont l'Egypte s'agrandirait... H fallut en rabattre. Toutefois des stations militaires furent établies jusque sous l'équateur; le khédive détrôna les roitelets qui lui faisaient obstacle et prit sous sa tutelle les rivaux qu'il leur opposa... L'Egypte a-t-elle fait davantage du côté de l'Ethiopie? dans la Négri- tie intérieure? En 1873, Berbera, le grand marché des Somalis, la rivale d'Aden, a été occupée par elle. L'année suivante le Darfour, royaume comptant quatre millions d'habitants, a été conquis; en 1875, Harar, un autre royaume de dix-huit cent mille habitants, a été annexé sans coup férir, et l'Abyssinie, par ces agrandissements successifs de l'Egypte, se trouve enclavée dans les États du khédive... L'insurrection du Soudan, dirigée par le Mahdi, a remis tout en question. Ce n'est donc pas encore de ce côté-là que l'Afrique est ouverte d'ailleurs les voyageurs européens y rencontrent trop de mauvais vou- loir de la part des fonctionnaires égyptiens. Nous demeurons en présence d'une Afrique où. l'on ne pénètre encore qu'avec d'extrêmes difficultés, où la population est hostile, les chefs d'Etat ignorants de leurs véritables intérêts, le climat et le sol meur- triers. L'explorateur qui n'est pas arrêté par les obstacles en quelque sorte insurmontables qui se présentent à lui, doit se sentir couvert, selon l'expression d'Horace, de l'armure de triple chêne et de triple airain. Au delà d'une étroite zone, nul autre chemin que celui que jalonnent CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 86 G 82 L'AFRIQUE. les ossements épars, les squelettes desséchés, traces lugubres des con- vois de voyageurs ou d'esclaves qui ont passé par là; nulle ressource que celles que l'on traîne après soi au prix des plus grandes fatigues , nul gîte que la terre humide ou les sables ; les bois, les marécages, les cam- pagnes sont peuplés de bêtes fauves, de crocodiles aux formidables mâchoires, de serpents et de scorpions; les airs sont infestés de nuées de moustiques à longues jambes qui vous poursuivent jusque dans votre sommeil , — si toutefois les hurlements du chacal et les rugissements du lion vous permettent de prendre quelque repos. Ailleurs, la mouche tsé-tsé tue les chevaux du convoi. Ailleurs encore, c'est la désolation des vastes déserts. Là, les oasis sont semées comme de rares îles au milieu d'un océan de sable , inces- samment soulevé par les vents brûlants; en dehors de ces refuges, pas une ombre rafraîchissante, pas une goutte d'eau pour étancher sa soif, de toutes parts l'horizon dans sa continuité désespérante. Les fourmis blanches dévorent les vêtements et les provisions. Le bois même ne ré- siste pas à leur voracité. En un instant elles ont démoli un fusil. Le voyageur ne pourra s'avancer qu'accompagné de nombreux por- teurs pour ses bagages, gens indisciplinés et de mauvaise foi, toujours prêts à s'insurger ou à déserter. Il n'est pas rare, eu effet, de voir les porteurs, après s'être fait payer d'avance un salaire élevé, décamper la nuit suivante. La précaution de détenir leurs armes et leurs boucliers est loin d'être suffisante, comme certains voyageurs en ont fait la désa- gréable expérience. Avec ses gens à gages sir Samuel Baker ne fut pas plus heureux que Speke et Grant. A un moment, les hommes de peine de son convoi imaginèrent de refuser la verroterie en payement, et d'exiger quatre vaches par porteur, pour prix d'un trajet relativement assez court. Comme, dans ce moment-là, il ne fallait pas à l'explorateur moins de mille hommes pour ses approvisionnements et ses marchan- dises, c'était donc quatre mille vaches qu'il s'agissait de se procurer, si l'on ne voulait demeurer sur place. Les Turcs de l'escorte, en diverses razzias, purent à peine en réunir la moitié... Si l'explorateur compte utiliser les fleuves, il lui faudra remonter leur cours encombré d'îles d'alluvions, franchir des cataractes, se lais- ser emporter par des rapides. Dans d'autres régions, il ne saurait chenii- L'AFRIQUE. 383 rier qu'en caravane avec des chameaux et une nombreuse escorte. Avant le départ que de travail ! Il s'agit de tout organiser, de tout prévoir. Il faut se munir d'armes pour se défendre contre les bêtes fau- ves et contre les hommes noirs. Il faut se procurer des tentes, des usten- siles de cuisine, toutes sortes de provisions de bouche comme pour une longue traversée ; des médicaments pour les maladies à peu près inévi- tables au-devant desquelles on court, et songer surtout aux moyens d'acquitter, en bien des endroits, le droit d'aller au delà, aux moyens de payer le personnel de l'expédition, d'acheter, au besoin, quelques vivres supplémentaires. Pour cela il n'y a que des monnaies encombrantes ou difficiles à réunir. Sur la côte de l'océan Indien , l'explorateur se munira de verroteries di- tes rassades 1, de fils d'archal, de la toile américaine, de la cotonnade bleue, des bracelets de cuivre ; on ne connaît pas d'autre monnaie. Avec quarante mètres d'étoffe par jour il paiera la nourriture de cent hommes ; avec un collier de perles en verre il apaisera les convoitises d'un sultan noir. Mais les peuplades dont il doit traverser les domaines n'ont pas toutes le même goût, et les femmes des rois nègres ont différents capri- ces. Il en est qui préfèrent la cotonnade bleue à la cotonnade rayée de diverses couleurs. Il en est qui repousseront avec un souverain mépris une collection de perles blanches et s'épanouiront à l'aspect d'un collier de perles vertes. Pour épargner ses ressources et prévenir de fâcheuses difficultés, le voyageur doit donc, avant de faire ses emplettes, prendre tous les renseignements possibles sur ces diverses préférences. Sur d'autres points du littoral africain l'explorateur sera forcé de se procurer des cauris. Le cauri est un petit coquillage blanc de la gros- seur d'une noisette, que l'on pêche sur les côtes de Mozambique, de Zan- zibar et de l'île de Ceylan , et qui sert de monnaie courante dans une grande partie de l'Afrique. A la côte des Esclaves, il en faut de 50 à 60 pour représenter une valeur de cinq centimes. Cent cauris ou kourdis y sont le prix de deux défenses d'hippopotame. 1 C'est par centaines que l'on compte les variétés de perles de verre ou de porcelaine. Les plus communes , celles qui font l'office de la monnaie de billon , sont en porcelaine bleue. Les plus recherchées sont rouges de l'écarlate recouverte d'émail blanc et sont le plus souvent désignées sous le nom de sam-sam ». 684 L'AFRIQUE. Dans la Guinée méridionale, le fusil représente l'unité monétaire. L'offre s'exprime donc en tant de fusils »; le paiement s'effectue réel- lement partie en fusils et barils de poudre, partie en tissus, baguettes de laiton, cercles de fer, bouteilles vides. Chose assez singulière, c'est le fusil qui sert pour les achats d'ivoire ; mais pour les arachides l'unité re- présentative est la pièce de tissu ou le mille de matars, — sorte de ver- roterie de Bohême ce sont des morceaux de tubes de verre bleu à facet- tes, enfilés par séries de cent, et qui servent aussi pour l'achat des vivres ; ainsi à Ambrizette une poule coûte de mille à douze cents matars. Chez les Bongos du bassin du Bahr-el-Gazal, le fer préparé en fers de bêche grossiers loggo koûllouti » devient une monnaie courante et remplit roffice de nos valeurs métalliques. Pour traverser les plaines immenses et marécageuses qui forment la ligne de partage entre le Zaïre et le Zambèse, le lieutenant Cameron dut faire une ample provision de poissons secs, seule monnaie ayant cours dans cette partie de l'Afrique. Si l'on pénètre dans le Kordofan et certaines régions voisines, il faut alors une tout autre monnaie, le talari 1. Plus avant, dans l'Ouadaï, dans le Bornou, c'est encore le talari, et pour les petites dépenses, les parfums... Voilà bien des difficultés de détail qu'il s'agit avant tout d'aplanir. Quand le voyageur a trouvé, rassemblé ses trésors , ses provisions de route, il lui faut encore diviser tout cela par portions égales dans des nattes cousues en forme de sac, eu tenant compte du poids des ballots, chacun d'eux devant former la charge d'un porteur, toujours disposé à se plaindre, — surtout s'il est plus chargé qu'un autre. C'est en se faisant suivre d'un nombreux cortège d'hommes armés et de porteurs, que les voyageurs se sont aventurés au milieu de popula- tions toujours en guerre et à travers des pays où il est difficile sinon im- possible de s'approvisionner. La caravane de Speke et de Grant se com- posait, en quittant Zanzibar, de 220 hommes. Plus récemment Stanley, suivant la même voie, emmenait avec lui 191 soldats ou porteurs. Sir 1 Le talari, monnaie qui se frappe en Autriche, n'a cours que dans certaines parties de l'Afrique. Son nom en arabe est rydl. lie talari ou thaler de Marie-Thérèse vaut 5 francs "25 cen- times. L'AFRIQUE. G85 Samuel Baker, en s'avançant à travers l'Egypte et la Nubie, se fît accompagner par une troupe de maraudeurs turcs qu'il retint tant bien que mal sous ses ordres. N'oublions pas que le transport des marchan- dises au milieu des déserts rencontre des difficultés de toute sorte, qu'en venant d'Egypte, par exemple, les cataractes du Nil entre As- souan et Khartoum rendent la navigation à peu près impraticable, et Kg. 248. — Dans le désert, près d'Assouan. qu'il n'est pas facile de se procurer des chameaux lorsque les pâturages ont été détruits par la sécheresse. Par la voie de Zanzibar, on peut se ser- vir de mules et d'ânes. Enfin le voyageur est en route. D'autres difficultés surgissent pour lui, heureux encore si la maladie ne vient point paralyser tous ses efforts , ruiner son énergie! C'est la guerre qui a éclaté sur un point qui coupe le chemin ; ce sont les hommes de l'escorte qui prennent peur plus loin ils croiront à des récits réels ou imaginaires qu'on leur fera sur les disposi- V 686 L'AFRIQUE. tions dépopulations féroces; ils craindront d'être mangés et- refuseront d'avancer. Chaque chef des pays à traverser retient tant qu'il le peut au- près de lui les voyageurs qui le visitent , soit pour en obtenir des pré- sents à force d'importunité, soit pour donner le change à ses ennemis en leur faisant craindre un auxiliaire redoutable. Après tout cela, on peut se faire une idée du mérite qu'il peut y avoir à diriger jusqu'au bout, et avec succès, un voyage d'exploration à travers l'Afrique. Et comment ne pas admirer les dispositions généreuses de Livingstone, le plus hardi de tous les explorateurs, lorsqu'il écrit les li- gues suivantes Quand ou voyage avec la perspective d'améliorer le sort des indigènes, les moindres actes s'ennoblissent. Le plaisir pure- ment physique du voyage en pays inexploré est d'ailleurs très grand par lui-même. Marcher vivement sur des terres de quelque deux mille pieds d'altitude donne de l'élasticité aux muscles ; un sang renouvelé circule dans les veines ; l'esprit est lucide, l'intelligence active, la vue nette, le pas ferme, et la fatigue du jour rend très doux le repos du soir. On a le sti- mulant des chances lointaines de danger soit de la part des hommes, soit de la part des animaux. Tout est fortifié ; le corps reprend ses propor- tions, les muscles durcissent, le visage se bronze ; il n'y a plus de graisse et pas de dyspepsie. L'Afrique, sous ce rapport, est un pays merveilleux. Il y a certainement des obstacles et des fatigues dont ceux qui voyagent sous les climats tempérés ne peuvent se faire qu'une idée affaiblie ; mais quand on travaille pour Dieu, la sueur qui coule du front n'est pas un châtiment ; elle est vivifiante et se change en bienfait. » Nous avons nommé plusieurs fois Livingstone, Speke, Baker, Schwein- furth, Carneron et d'autres explorateurs modernes nous devons plus d'attention à leurs héroïques travaux. C'est à la mission protestante allemande de Rabat Mpia, sur la côte des Souahélis , qu'il était réservé de donner les premières notions bien précises sur les grands lacs de l'Afrique équatoriale, qui ont servi d'im- pulsion à tous les explorateurs de notre temps. Deux officiers de la Com- pagnie des Indes se rendirent alors à Zanzibar, pour y organiser, sous les auspices de la Société de géographie de Londres, une expédition de dé- couvertes vers la région centrale. L'un de ces deux hommes était le ca- L'AFRIQUE. 687 pitaine Speke, que recommandait sa constitution herculéenne et une énergie que n'avait pas entamée le climat de l'Inde. Le second, Burton, était déjà connu par deux voyages où il avait fait preuve d'une audace inouïe; il avait visité le petit Etat abyssin d'Harar, et, sous le costume d'un liadji mulsulman, il avait osé pénétrer eu Arabie jusqu'à la ville sainte du Prophète, que les yeux des chrétiens ne doivent même pas contempler du haut des montagnes voisines. Versé dans la connaissance des langues africaines, habitué aux mœurs de l'Orient, calme, résolu, observateur sagace, Burton était le cligne compagnon de Speke. Les deux explorateurs partirent de Kaolay, dans le courant de 1857, avec une escorte de Souahélis fournie par les chefs indigènes relevant de l'iman. Kaolay est un petit port sur l'océan Indien, à l'embouchure de la rivière Kingaui, rivière qu'ils remontèrent tout d'abord. On connaît la relation de ce voyage, écrite par Burton. Sceptique de son naturel, Burton ne montra pas la même confiance que son émule dans le résultat d'une exploration de l'Afrique équatoriale. Speke recommença un nouveau voyage en 1860. Cette fois il était ac- compagné par le capitaine Grant. Les deux voyageurs quittèrent Zanzi- bar le 1er octobre, après avoir pris soin d'envoyer en avant une cara- vane d'indigènes , qui devaient former, à Kaseh , un dépôt de toutes les choses nécessaires à l'expédition. Ils emmenaient avec eux soixante hommes armés, de plus une troupe de porteurs et un détachement de soldats hottentots que le gouverneur du Cap avait voulu leur adjoindre. La différence de climat entre le sud et le centre de l'Afrique est telle , que ces Hottentots n'y purent résister. La plupart moururent ; il fallut renvoyer les survivants. Dans son premier voyage, de compagnie avec Burton, Speke avait trouvé libre et ouverte la route de Zanzibar à Kaseh ; il en fut , cette fois, tout autrement. Une sécheresse inusitée et la famine désolaient toute l'Afrique orientale. La guerre s'était élevée entre les tribus indi- gènes, et Speke s'attendait à voir intercepter toute communication avec Zanzibar. Aussi employa-t-il près d'une année à atteindre Kaseh, c'est- à-dire à accomplir la portion déjà connue du voyage. Là, il trouva de nouveaux interprètes, et un an après son départ de Zanzibar, il se remet- tait en route. Jusqu'au 15 février 1863, aucune nouvelle des deuxvoya- 688 L'AFRIQUE. geurs ne parvint eu Europe; la Société de géographie de Londres envoya à leur recherche deux de ses membres qui, remontant le Ml, allè- rent à la rencontre de l'expédition l'un, M. Petherick, n'atteignit Gon- dokoro qu'après de longs retards ; l'autre, sir Samuel Baker, arriva assez à temps pour servir utilement Speke et ses compagnons. L'explorateur avait reconnu le N'yanza de Karagoué auquel il donna le nom de Victoria N'yanza, et qui est l'un des grands réservoirs du Ml. Speke et Grant avaient séjourné chez les peuples riverains de cet im- mense bassin d'eau douce. Sur leurs indications, sir Samuel Baker par- vint à un autre grand lac qu'il appela le lac Albert ; c'est aussi un réservoir du Ml. Baker visita les pays situés entre les deux lacs, se donnant pour un prince européen ; traitant d'égal à égal les petits des- potes de ces contrées ; vivant à leurs cours, et se trouvant, bien malgré lui, plus ou moins engagé dans leurs querelles. Pendant que s'accomplissaient les explorations dont nous venons de parler, un autre intrépide voyageur poursuivait de son côté les siennes, entreprises avant les découvertes de Speke et de Baker. Livingstone, parti pour l'Afrique en 1840, y était resté d'abord douze ans. Il y retourna une seconde et une troisième fois après quelques mois de séjour en Angleterre. Quoiqu'il ne fût plus jeune et qu'il eût cruelle- ment souffert, il ne pouvait se résigner au repos. Pendant bien des an- nées, il parcourut l'Afrique australe, le bassin du Zambèse et la région des lacs. Plusieurs fois des rumeurs sinistres se répandirent en Europe sur le sort de l'illustre explorateur. Des expéditions furent organisées pour aller à sa recherche Cameron et Stanley y ont rencontré une célé- brité méritée. Un jour, la nouvelle de cette mort de Livingstone, si sou- vent annoncée, précéda de peu, cette fois, la dépouille de l'homme per- sévérant mort au champ de labeur on le ramenait en Angleterre pour y être inhumé à "Westminster, à côté des rois, des héros et des grands génies de ce pays. C'est surtout en comparant une carte de l'Afrique telle qu'on la con- naissait il y aune quarantaine d'années et les cartes actuelles, qu'on est frappé de toute la prodigieuse étendue des travaux de Livingstone. Avant lui, on se contentait, au-dessous de l'équateur, de dessiner les côtes, le cours du fleuve Orange et, un peu au hasard, quelques montagnes parai- L'AFRIQUE. 689 lèles à la mer. Du Congo, l'embouchure seule était indiquée , un trait incertain figurait le Zambèse jusqu'à deux ou trois cents kilomètres de la côte, un pointillé aventureux donnait au lac Maravi un contour aussi vague que les renseignements recueillis à son sujet, et le reste de l'intérieur était d'une blancheur immaculée. Livingstone est venu, et avec une persévérance qui a peu à peu attiré l'attention et lui vaut au- jourd'hui l'admiration du monde entier, il a poursuivi l'exploration de cette région inconnue. C'est à lui que revient l'honneur d'avoir dressé la Fig. 240. — Rochers sur le TanganyLka. carte actuelle dont le cadre seul existait avant ses voyages. La décou- verte du lac Ngami, des rivières Tioungué et Tchobé, le tracé du cours du Zambèse, la découverte de ce curieux lac Dilolo qui envoie des eaux à l'océan Indien par le Zambèse et à l'océan Atlantique par le Congo, le relevé des côtes du Nyassa le Maravi des Portugais, du lac Pama- lombé, la découverte et le tracé du cours du Chiré, leur déversoir clans le Zambèse, la découverte du lac Cliiroua, de l'extrémité méridionale du lac Tanganyika, du lac Bangouelo, du lac Moëro, du lac Landj et du Loualaba, cette mystérieuse rivière qui relie ces trois lacs et dans le bas- sin de laquelle il s'est obstiné jusqu'à la mort, le tracé de la Rofouma, le relief des contrées que traversent ces cours d'eau, toute cette masse CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 87 G90 L'AFKIQUE. de faits géographiques qui ont si complètement modifié les idées sur l'Afrique, c'est à lui que nous en devons la révélation 1 ». Le lieutenant Cameron avait vingt-neuf ans quand on songea, en 1873, à lui confier la direction d'une expédition dont le bat était d'aller au se- cours de Liviugstone et de l'aider à achever son oeuvre. Il était préparé à cette mission par un long séjour sur la côte africaine et par la connais- sance de la langue kissouahili, parlée dans l'intérieur partout où le commerce arabe a pénétré. Cameron était lieutenant de vaisseau dans la marine anglaise. Il par- tit au mois de mars 1873 de Bagamoyo, et arriva en novembre 1875 au port de Katombéla sur l'océan Atlantique , après avoir traversé l'Afri- que dans sa largeur, presque en ligne droite, non sans courir, comme on le pense bien, de nombreux dangers, dans un voyage aussi extraordi- naire. Il usa toujours vis-à-vis des indigènes d'une extrême douceur, sauf de rares exceptions où il fut obligé de leur faire entendre le son » de sa grosse carabine. Et plus d'une fois aussi il vit fuir devant lui des populations qui, vivant dans la crainte perpétuelle de tomber en escla- vage , redoutaient l'approche de sa caravane. M. Stanley, Américain, correspondant du New- York Herald, fut aussi envoyé à la recherche de Liviugstone par les propriétaires de ce journal. Il rejoignit ce dernier, en octobre 1871, à Oudjiji, sur la rive orientale du lac ïanganyika. Il l'accompagna dans une exploration de la j>artie nord de ce lac, et rapporta en Europe des lettres et un Journal de celui qu'il avait été assez heureux de retrouver vivant, et plein encore de confiance clans l'achèvement de son œuvre. L'explorateur américain réussit, comme avant lui le lieutenant Came- ron, à traverser l'Afrique équatoriale de l'est à l'ouest. Parti du Zan- guebar, il arriva à Saint- Paul de Loanda sur la côte occidentale d'Afri- que avec cent quinze hommes de son expédition. Il avait quitté Nyan- goué le 5 novembre 1876 ; c'est le point d'où Cameron se proposait de gagner le lac Sankora par le Loualaba, et de descendre ce grand cours d'eau supposé en communication avec le Congo, jusqu'à la mer. L'officier anglais avait dû modifier cet itinéraire et tourner brusque- 1 Paul Bourde. L'AFRIQUE. 691 ment au sud jusqu'à Kîsenga, pour marcher ensuite vers Benguéla par une ligne à peu près plein ouest. Stanley s'est davantage rapproché de l'équateur. Après avoir traversé par terre l'Oureggou , ne pouvant plus avancer au milieu de forêts impraticables , il passa le Loualaba et con- tinua son voyage le long de la rive gauche, à travers l'Oukousou du nord- est. Malgré les continuelles attaques des indigènes, l'expédition, pour- vue de dix-huit canots et d'un bateau d'exploration, réussit à descendre le fleuve semé de grandes îles, et aussi de cataractes, qui obligèrent nombre de fois les voyageurs à prendre terre et à traîner leurs embarca- tions le long des rives. De Borna, l'expédition gagna par vapeur Cabinda et, de là, Saint- Paul de Loanda, fort éprouvée par la dysenterie, le scorbut et ces ulcères particuliers à l'Afrique qui rongent les chairs des pieds jusqu'à l'os , et dont Livingstone eut tant à souffrir. Dans une autre partie encore inexplorée de l'Afrique centrale, dans la région arrosée par le Bahr-el-Gazal le rivière des Gazelles et ses affuents, un savant naturaliste a fait un séjour de plusieurs années 1868-1871. Schweinfurth fut séduit surtout par les richesses nouvelles qui s'offraient à lui, se désintéressant de tout ce qui n'avait pas un rap- port direct avec ses études. La relation de son voyage a cependant la plus grande valeur pour la connaissance d'un pays très sauvage, peuplé d'anthropophages et voisin de la seule partie du continent africain de- meurée mystérieuse et figurant encore sur les cartes avec cette mention Région inconnue ». Enfin, plus récemment encore, un officier portugais, le major Serpa Pinto, a réussi à traverser l'Afrique de l'Atlantique à l'océan Indien, ou plus exactement de Benguéla à Durban. Grâce à sa relation, nous avons été renseignés sur bien des contrées inconnues jusqu'ici. Sur plu- sieurs points aussi ses explorations ont complété celles de Livingstone dans l'Afrique australe. Quant au voyageur, il semble avoir couru bien des dangers, s'être soustrait à plus d'une embûche. Il a triomphé de l'astuce des souverains des pays traversés par lui, du mauvais vouloir de ses propres serviteurs, des maladies inévitables, et même des bêtes fé- roces, — car le major n'a jamais hésité à suivre un lion dans les hautes herbes. Une nuit, il en a tué deux, à la faveur de la lumière de magné- 692 L'AFRIQUE. sium on peut bien le croire, puisqu'il a rapporté les griffes de ces ani- maux... Le major Serpa Piuto s'est douné partout comme un envoyé du roi de Portugal le Mouéné Pouto » , comme disent tous les peuples de l'Afrique méridionale en vue d'établir ou plutôt de développer des rela- tions commerciales déjà existantes, et ce, pour le plus grand profit des Lusiades, ses compatriotes. Il y aurait plus que de l'injustice à passer sous silence les travaux, les efforts persévérants, les souffrances et souvent les succès, de plu- sieurs explorateurs qui ont pénétré en Afrique par divers points. Sans remonter trop loin dans le passé une foule de noms se présentent à notre souvenir, — ceux de Claperton, Ouduey, Lainy, du docteur Cowen, du lieutenant Denovan, du fils de Mungo-Park, du jeune et vaillant Yogel, du docteur Overweg et de Richardson, compagnons du docteur Bar th. Plus près de nous, nous devrions encore payer des dettes de recon- naissance à Guillaume Lejean, qui a visité la haute Nubie, au marquis de Compiègne, pour ses explorations du Gabon, du pays des Pahouins, au docteur Matteucci et à M. Massari, son ami, pour leur voyage de la mer Rouge au golfe de Guinée ; à M. Savorgnan de Brazza, qui a fait triompher la politique française et les intérêts français dans cette région du Congo qui est l'une des clés de l'Afrique centrale. On sait que M. de Brazza a été mis par notre gouvernement à la tête d'une expédition des- tinée à donner toute sa valeur au traité signé avec le roi Makoko. M. Trémaux nous a montré le Soudan et l'esclavage ; M. Gérhard Bohlfs est allé à l'oasis de Koufara et aux Montagnes Noires ; le docteur Nachtigal a décrit la région qui s'étend de la Tripolitaine au pays des Gaberis et au delà, par l'Ouadaï. M. Ch. de Rouvre a passé huit années 1870-78 sur les rives du Zaïre, où il a entretenu des relations suivies avec les indigènes et il nous a fait connaître les ressources commerciales de la Guinée méridionale. Baldwin, l'infatigable chasseur, Baines le naturaliste, ont augmenté la somme de nos connaissances sur l'Afrique australe ; Georges Ebers sur la Nubie, Victor Largeau sur le pays de Rirha, Ouargla et Gha- damès, le lieutenant Mage sur le Soudan occidental, Alfred Marche L'AFRIQUE. 693 Fig. 250. — Nubien. sur le Sénégal et l'Ogôoué, M. Lambert et le docteur Bayol sur le Fouta Djalon, le commandant Gallieni sur le haut Niger. Ce jeune of- 694 L'AFRIQUE. ficier de notre infanterie de marine a reçu du gouverneur du Sénégal la mission de pénétrer dans la vallée du haut Niger par le massif mon- tagneux compris entre ce grand cours d'eau et le Sénégal 1880-1881. Ajoutons que M. Gr. Révoil a entrepris une exploration du pays des Sorualis, voisin de la mer Rouge. Nous oublions d'autres voyageurs, et d'autres résultats acquis. Combien ont payé de leur vie leur dévouement à la science et à la civilisation! le baron de Decken et ses compagnons, massacrés chez les Somalis en 1866; C. Anderson, mort en 1867 dans le pays d'Ovampo; Ernest Linant de Bellefonds, mort victime d'une trahison sur le haut Nil Blanc en 1875, etc., et plus près de nous Maes, Crespel, Wau- tier, Deleu, Popelin, Debaize, Madoni, Fraccaroli, Gressi, Piaggia, le Dr Smith, Keith Johnston, Elton, Stahl, Phipson Wybrandt, Pin- kerton, Hildebrandt, Le Saint, Bonnat... Combien aussi de missionnaires , à qui sont dues tant de précieuses communications, n'ont pas été moissonnés par les fièvres entre la côte de Zanzibar et les lacs intérieurs, ou sur le littoral de l'Atlantique! L'Afrique a le don puissant d'exciter notre curiosité, mais c'est une terre meurtrière. IV. L'Afrique équatoriale. — Les lacs. — Les grands fleuves. — Le Nil. — Le Sénégal. Le Ni- ger. — • Le Congo. — Le Zambèse. — Montagnes. — Les savanes. — Les déserts. — Les ri- vages, etc. Mais quelle est donc cette région des lacs, naguère encore si mys- térieuse et qui, tout d'un coup, a surgi comme un nouveau monde, et a pris une si grande place dans les spéculations des savants, des hommes d'État, des philanthropes, des missionnaires et même des commerçants? La partie équatoriale de l'Afrique, clans la région de ses grands lacs d'où sort le Nil, a une hauteur moyenne de 1,000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Cette portion du glohe, composée principalement de roches granitiques, n'a jamais été submergée, ni bouleversée par des volcans, et semble n'avoir subi aucune modification dans son état pri- mitif. Les campagnes sont, pendant une longue saison, arrosées par des pluies qui, dans une zone de six degrés dont l'équateur occupe le centre, tombent depuis février jusqu'à la fin de novembre; mais ces pluies sont surtout abondantes du mois d'avril au mois d'août. Elles re- nouvellent les approvisionnements des lacs et, s'échappant en divers cours d'eau, elles vont au loin fertiliser les terres. Le climat de la région des lacs est assez tempéré. Les ardeurs du soleil y sont rafraîchies par les brises qui soufflent de l'est. Les pluies qui tombent à torrents, char ~>ur, vers le soir, pendant la longue saison dont nous venons de achèvent de rendre la température fort supportable ; mais faute t. suffisante exploitation du sol, l'air est très insalubre. Les lacs équatoriaux sont de Cu. erses grandeurs; pour la plupart ils s'étendent du nord au sud aux pieds de montagnes qui courent C96 L'AFRIQUE. parallèlement à la côte de l'océan Indien. Les dénombrer, les grouper ne peut donner qu'une très imparfaite idée de leurs positions. Essayons néanmoins. En remontant du sud au nord, il y a d'abord, — sans comp- ter le Chiroua, — le lac Nyassa, découvert par Livingstone en 1859. Il est assez isolé et se trouve le plus rapproché de la mer, à la hauteur des îles Comores. Le Nyassa est très profond. A une courte distance de ses rives une ligne de plus de 90 mètres ne touche pas. Un grand uombre de rivières se jettent dans ce lac ; mais à l'extrémité nord il en est une qui en sort. Des montagnes riveraines, hautes de 3,000 à 3,500 mètres, serrent la nappe d'eau de très près. Au nord-ouest du Nyassa, un groupe très remarquable de lacs com- muniquent entre eux ; ils vont perdre leurs eaux dans la région encore inconnue de l'Afrique centrale, peut-être en donnant naissance au fleuve Zaïre ou Coûgo ; ce sont les lacs Bangoueolo, Moëro, Kamolondo, Lincoln on Moura?, enfin un lac innommé, semé d'îles, et d'où s'échappe le fleuve dont nous parlons. Un deuxième groupe est formé du lac Tanganyika, que Burton et Speke virent en 1858, du lac Hikouaou Léopold, duN'yanzadu Karagoué, auquel ce dernier explorateur, — Speke, — imposa le nom de Victoria N'yanza, et du MVoutan que découvrit sir Samuel Baker, en 1864. Il est plus connu sous le nom d'Albert N'yanza. La reconnaissance du lac Victoria ne se fit pas d'ua seul coup, et pendant plusieurs années nous avons vu trois lacs de noms différents figurer sur les cartes dans le tracé de la plus large de ces nappes d'eau placées sous l'équateur. Nous négligeons avec intention quelques lacs secondaires, le lac Baringo, le lac Mauyara, etc.; enfin le lac Ngami dans l'Afrique australe. Le lac Kassali , vu de loin par Cameron, est couvert de végétaux sur lesquels les indigènes, à l'aide de troncs d'arbres et de terre, établissent des îles flottantes qui supportent des cultures et peuvent, au gré des habitants, voyager d'un rivage à l'autre. A l'époque des tempêtes équinoxiales, les gros temps sont terribles sur tous ces lacs. De hautes vagues y donnent le mal de mer, — aux mariniers du Nil. Parfois, sur une longue étendue, leur surface est cou- verte de roseaux ; ailleurs des masses flottantes de végétaux ambatch ou herminiera colorent leurs eaux d'une teinte rougeâtre par la dé- L'AFRIQUE. 697 composition de leur écorce, et sont assez volumineuses pour entraver la navigation. Le Tanganyika, le plus remarquable de tous ces lacs, a près de 700 kilomètres de long et ime largeur moyenne de 40 kilomètres. Cameron a relevé l'embouchure de quatre-vingt-seize rivières qui s'y jettent. Les bords de ce lac ont un caractère uniforme ce sont des montagnes coupées de vallées qui descendent vers le rivage. Aux montagnes, couvertes d'immenses forêts d'un vert sombre, corres- pondent des falaises rouges qui s'avancent en promontoire dans l'eau ; aux vallées, des baies qui s'arrondissent dans l'intérieur des terres. Fig. 251. — Un radeau. Il n'y a pas en Afrique de pays plus fertile que les pays riverains de ce lac. Sir Samuel Baker a trouvé l'Albert N'yanza encombré de ces bancs flottants de roseaux dont nous venons de parler. Ils empêchaient les canots d'aborder. Ces bancs paraissaient s'être formés du détritus d'une végétation aquatique, dans laquelle le roseau papyrus a pris racine. L'épaisseur de la masse flottante est d'environ trois pieds, et si ferme, que l'on peut marcher dessus sans courir d'autre risque que d'enfoncer jusqu'à la cheville dans la vase. Sous ces radeaux de végétation, l'eau est extrêmement profonde , et le rivage se trouve ainsi protégé sans interruption par cette jetée d'une formation si bizarre. Un jour, l'ex- plorateur vit une terrible rafale et le soulèvement de l'eau en détacher CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 88 698 L'AFRIQUE. de grands morceaux, et le vent agissant sur les roseaux comme sur des voiles, .poussa de côté et d'autre sur le lac des îles flottantes de quelques acres d'étendue. Maintenant, pour mémoire seulement, mentionnons le lac Tchad, très au nord, en plein Soudan nous en parlerons plus loin. Si les lacs sont, pour ainsi dire, cantonnés dans la région sud orien- tale, — sauf le lac Tchad qui occupe une position centrale en Afrique, il n'en est pas de même des fleuves. Ils se déversent dans trois mers. C'est le Nil, fleuve immense dont les embouchures sont sur la Méditerranée; ce sont, sur le versant de l'Atlantique, le Sénégal et la Gambie, qui descendent des monts de Kong ; le Niger, qui se jette dans le golfe de Guinée par de nombreuses bouches qui forment un delta aussi considérable que celui du Nil ; c'est encore, sur le même versant, l'Ogôoué, qui atteint l'Atlantique au golfe de Biafra, le Zaïre ou Congo, — sur lequel nous reviendrons, — le Coanza, qui franchit par une série de cascades les derniers gradins des plateaux de l'intérieur, avant d'arriver à la côte; le fleuve Orange, qui roule sur les plateaux de l'Afrique australe ses eaux presque taries avant de parvenir à l'Océan. Enfin le versant de l'océan Indien est arrosé par deux cours d'eau importants le Limpopo et le Zambèse, qui descendent des plateaux intérieurs. De tous les grands fleuves qui sillonnent le globe, le Nil est celui qui, de tout temps, a le plus vivement occupé, et l'on pourrait même dire passionné les esprits. C'est le seul cours d'eau considérable que l'antiquité ait pu connaître, au moins en partie, d'une façon exacte. Le Gange, l'Indus, le fabuleux Hydaspe », dont parle Horace, ne s'offraient à l'étude des anciens qu'à travers les ténèbres d'une incer- titude que les expéditions de Sésostris et d'Alexandre n'avaient pu entièrement dissiper. L'Egypte, visitée de bonne heure par Hérodote, conquise par Alexandre, devenue grecque avec les Ptolémées et romaine avec Auguste, était ouverte aux peuples de l'Occident. Les grands systèmes d'eaux de l'Inde et ceux de la Chine et de l'Amérique sont tous océaniques ; seul, le Nil, après un cours, qui est peut-être le plus long de tous, — plus long que celui des Amazones et que celui L'AFRIQUE. 699 du Mississipi, — se jette dans une mer intérieure, à côté de ces colonies dont la civilisation grecque avait parsemé le littoral de F Asie-Mineure et toute la mer Egée. Ces sept embouchures, formant un double delta, cette fécondité exceptionnelle dont il dotait la basse Egypte, comme s'il voulait se venger d'avoir si longtemps arrosé des déserts, cette crue périodique, tantôt bienfaisante, tantôt, comme aujourd'hui, dévastatrice, ce mystère même qui dérobait son origine, tout le recommandait à l'attention. Les explorateurs de notre temps ont fait faire au problème des sour- ces du Nil le plus grand pas vers sa solution. L'hypothèse de l'existence d'une réunion de lacs sur le vaste plateau de l'Afrique équatoriale, émise, dès 1852, par sir Rod. Murchisson, le célèbre géologue anglais, fortifiée par les découvertes successives de Liviugstone, de Speke, de Baker et de Stanley, est aujourd'hui devenue une donnée scientifique exacte. Il ne reste plus à déterminer que le point de départ extrême du cours d'eau, — rivière on ruisseau, — qui vient du plus loin apporter son tribut, bien modeste peut-être, à l'un des puissants réservoirs qui ali- mentent largement le Nil. C'est encore une notion incertaine, mais qui n'a véritablement qu'un intérêt secondaire et en quelque sorte pure- ment géographique. Il est certain qu'en étudiant le cours du fleuve qui vient répandre la vie dans les sables brûlés de la Nubie et de la basse Egypte, sous un ciel où il ne pleut point, et en remarquant combien sont peu nom- breux ses affluents, et combien sont puissantes ses inondations pério- diques, aux mois de juillet et d'août époque de l'année où partout les chaleurs font baisser les eaux fluviales, on ne pouvait guère s'arrêter à la supposition de commencements modestes pour le Nil, — comme pour tant de fleuves; — l'on ne pouvait penser qu'il sort, mince filet d'eau, du creux d'un rocher. Il ne faut, en effet, rien moins que plu- sieurs grands réservoirs recueillant les eaux tombées sur la surface dévastes bassins, à l'époque des abondantes pluies équatoriales, pour remplir largement, dès sa naissance, le lit d'un fleuve si imposant. Ces pluies lui apportent chaque année une immense quantité d'eau qui élève son niveau. Le fleuve commence à monter dans les premiers 700 L'AFKIQUE. jours de juillet, atteint son rnaximun de hauteur vers la fin de septembre et baisse ensuite graduellement jusqu'au milieu de mai de l'année sui- vante. Le Nil élève continuellement son lit par ses dépôts successifs de limon ; on a calculé que cet exhaussement est de un mètre en neuf siè- cles; cette élévation est plus considérable en dehors du lit du fleuve, dans les plaines où l'eau déborde ou est amenée artificiellement. Fig. 252. — Chutes de Eipou, près du lac Victoria. A mesure que l'on approche de l'équateur en remontant le Nil, la végétation se développe de plus eu plus. Jusqu'à Gondokoro, la navi- gation sur le fleuve ne laisse apercevoir que des marécages sans fin, s'étendant à perte de vue, habités par les hippopotames et infestés de moustiques. Le fleuve, dont les eaux sont grises, charrie des herbes, des roseaux, des troncs d'arbres, sur lesquels sont perchées des cigognes et des grues. Mais, après avoir dépassé Gondokoro, l'aspect du pays se modifie sensiblement. Bientôt on trouve des campagnes magnifiques, L'AFRIQUE. 701 où. les plaines gazonnées alternent avec les bois, et rappellent, en les écrasant de leur supériorité, les créations des jardiniers paysagistes. Le pays de Médi offre dans son entier l'image d'un véritable parc na- turel. Le vert des prairies y est piqué de bouquets de tamarins gigan- tesques au feuillage sombre. Fig- 253. — Crocodile la nuit. L'Ounyoro se présente ensuite avec ses vastes plaines, basses et ma- récageuses, rendues impénétrables par d'interminables forêts de menus arbres, de broussailles et de hautes herbes. Quelques rares collines, d'une forme conique, ne suffisent pas à rompre la monotonie des sites. Les bananes, les patates douces, le césame et le millet forment la mai- gre culture des terres. 702 L'AFRIQUE. Les habitants, à l'unisson avec le pays, se couvrent d'une façon sor- dide de peaux de bêtes, et se réunissent dans de misérables villages, aux huttes étroites et malsaines. En fait de bétail, ils ne possèdent guère que des chèvres, rarement des vaches. Mais, dans ces latitudes, les extrêm es se touchent. Au cœur même de l'Ounyoro, à Eondogani, sur les bords du Nil, les plus riantes perspectives s'offrent à la vue. Le fleuve coule largement entre deux rives verdoyantes, distantes Tune de l'autre de 600 à 700 mètres. Du milieu de son lit, s'élèvent des îlots habités par les pêcheurs, ou des récifs sur lesquels s'abat- tent hirondelles de mer, floricans et pintades, et où les crocodiles se chauffent au soleil, tandis que les hippopotames bruissent à travers les roseaux. Au delà des berges , errent de nombreux troupeaux d'antilopes. Le Soga, qui est une province de l'Ounyoro, semble appartenir aux bêtes sauvages. Les éléphants s'y promènent par bandes. Les jardins de ba- naniers y sont remplis d"hippopotames et les jungles d'antilopes. Les lions s'y montrent fréquemment et sont d'une très grande férocité. Il y a des régions d'une fertilité exceptionnelle, aux environs des chutes de Kipon, situées non loin du point où une branche du Nil sort du lac Victoria. Le Nil présente un phénomène curieux. Depuis le confluent de la Saubat jusqu'au lac Nau, le fleuve, qui a de 1,800 à 3,000 mètres de large, est littéralement couvert par la végétation. Un arbuste, qae les Arabes appellent ambatch et dont le bois est plus léger que le liège, émet ses racines dans l'eau; le vent les arrache de la rive et les jette dans le courant. Quand un obstacle les arrête, elles s'entassent ; des papyrus et d'autres plantes se mêlent à l'ambatch, et bientôt le Nil coule sous un parquet de verdure. — Nous avons vu quelque chose de semblable dans les grands lacs. Le Nil Blanc, qui est un des affluents les plus considérables du grand fleuve africain, est par lui-même si puissant, si large, qu'à 1,000 milles de la mer il ressemble à un lac. Tout ce qu'on y voit y en est rapport avec ses proportions gigantesques. L'hippopotame dresse sa tête à la surface des eaux et se roule dans les courants qui aboutissent au fleuve. D'énormes crocodiles se montrent, la gueule béante, sur le rivage ; des L'AFRIQUE. 703 troupeaux d'éléphants jouent dans les pâtura- ges ; entre les hauts pal- miers marchent fière- ment la girafe ; des ser- pents, gros comme des troncs d'arbres, reposent dans les marais, et des monticules de fourmis, de dix pieds de hauteur, s'élèvent au milieu des joncs. Dans les vastes et épaisses broussailles obstruant les rives, les lions affamés rugissent, et les Noirs apparaissent au loin brandissant leurs lances. A l'endroit où le Ml Blanc se joint avec le Bahr-el-Gazal Fleuve des Gazelles, affluent occidental du Nil, leurs eaux réunies forment ce lac Nau, que nous venons de nommer, sans l'avoir compté toutefois parmi les lacs africains c'est à proprement parler un débordement permanent des deux fleuves. Cette nappe d'eau a une lieue de circonférence ; elle entoure une île couverte d'une végétation toute tropicale. La ligne blanchâtre du fleuve Blanc se dessine distinctement dans cette eau Fig. 254. Chef Bambarra en costume de guerre. Haut Sénégal. 704 L'AFRIQUE. calme, d'une limpidité si parfaite qu'on peut voir les poissons nager parmi les plantes aquatiques qui tapissent le fond du lac. Ce vaste miroir reflétant le bleu du ciel n'est troublé à sa surface que par les ébats des bippopotames. Passons au versant de l'Atlantique. Le Sénégal est le fleuve le plus important de notre établissement colonial sur la côte occidentale d'Afrique. Ce fleuve s'avance vers la mer après avoir traversé de rares collines et un pays plat. A la saison des pluies, qui commence vers le 1er juin, le fleuve inonde la partie basse du pays. Quand les eaux se retirent, elles laissent de larges espaces inondés qui ne peuvent sécher que par l'évaporation. A ce moment pullulent les moustiques. Pendant la saison sèche le fleuve coule entre des berges qui deviennent de plus en plus élevées à mesure qu'on le remonte c'est à cette époque que les hirondelles d'Europe viennent chercher un refuge au Sénégal ; elles creusent les berges du fleuve pour y établir leurs nids. Le Sénégal, comme la plupart des fleuves de la côte d'Afrique, se jette à la mer par une embouchure qui est obs- truée par une barre de sables mobiles, et rendue impraticable durant les basses eaux. Le Niger ou Dhioli-Ba, est le second fleuve de l'Afrique. Dans un par- cours navigable de plus de 3,000 kilomètres, il reçoit près des trois quarts des innombrables affluents alimentés par les pluies périodiques qui se produisent à époques fixes dans le Soudan, comme dans toutes les régions de la zone équatoriale ; le restant de ces eaux se réunit à l'est dans une mer intérieure, sans issue connue le lac Tchad. Malheu- reusement la région inférieure des bouches de ce puissant cours d'eau est d'une insalubrité proverbiale de nombreux marécages tour à tour submergés par les eaux douces et les eaux de la mer y produisent des émanations pestilentielles. A l'embouchure de ces fleuves africains du versant de l'Atlantique se produisent, avec plus ou moins d'intensité, des raz de marée d'une durée de plusieurs jours. La houle se jette sur la côte en vagues rapides de plus en plus hautes et qui, blanches d'écume et grondant Gomme un tonnerre lointain , courent les unes sur les autres et tourbillonnent en bouillonnant sous un ciel de plomb, au milieu de la brume des em- L'AFKIQUE. 705 bruns. Ces vagues finissent par former une sorte de muraille liquide qui s'effondre avec un énorme fracas, produisant sur le rivage une com- motion qui se fait sentir au loin. Un cours d'eau qui a aussi une importance considérable, moins par son volume que par le rôle qu'il est appelé à jouer, comme voie de communication, c'est l'Ogôoué, qui est presque à la ligne de partage des deux Guinées. On connaît les expéditions successives du marquis de Compiègne accompagné de M. Marche , l'expédition allemande du doc- teur Lenz et surtout celle de MM. Savorgnan de Brazza et Alfred Marcbe. M. de Brazza a mené à si bonne fin sa première expédition qu'il a obtenu l'appui du gouvernement français pour en entreprendre une seconde beaucoup plus importante. Nous allons en parler. Le Congo ou Zaïre est le fleuve-roi de la côte occidentale d'Afrique, — bien qu'il n'arrive qu'en troisième ligne parmi les fleuves de ce continent. Son embouchure est immense elle a plus de 11,000 mètres. Cameron compare cette embouchure à celle de l'Amazone et du Yang- Tse-Kiang pour la majesté, la rapidité du courant et le volume. Le Congo est le seul fleuve de la côte occidentale d'Afrique qui n'ait point de barre à son entrée. Il débouche dans l'Océan avec une telle impétuosité qu'à dix lieues au lai'ge la mer est encore colorée par ses eaux, dont le volume est si considérable qu'elles adoucissent les eaux de l'Atlantique. Le Loualaba, ce cours d'eau du centre de l'Afrique qu'on n'a pas encore pu suivre jusqu'à son embouchure, n'est autre chose, selon toute apparence, que le Congo ou Zaïre sous un troisième nom. Coupant la large ceinture de montagnes situées entre le grand plateau central et le littoral, il descend par une trentaine de chutes et de rapides furieux jusqu'au grand fleuve qui se trouve entre les cataractes de Yellala et la mer. Le Loualaba est semé d'îles et malheureusement aussi de ca- taractes infranchissables qui obligèrent maintes fois Stanley et ses compagnons à descendre sur la rive et à traîner leurs embarcations sur le sol. Le grand Loualaba varie dans sa largeur entre quatre et seize kilo- mètres, lia été mesuré par Cameron au dernier point reconnu par Living- stone en 1871 Nyaugoué. Ce fleuve avait dans cet endroit 932 mètres, CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 89 706 L'AFRIQUE. d'un courant très rapide. Le lieutenant Cameron a calculé qu'à l'étiage, le débit du Loualaba était de 126,000 pieds cubes par seconde, c'est-à- dire que ce cours d'eau avait un débit égal à plus d'une fois et demie celui du Gange en temps de crue et à trois fois celui du Nil à Gondokoro. Lorsqu'on pénètre dans le Congo par son embouchure , les rives ap- paraissent bordées d'îles couvertes de palétuviers aux racines énormes enchevêtrées de lianes, au travers desquelles serpentent un grand nom- lire de petits bras. Au milieu de ce delta s'ouvre la voie navigable; à trente mille de l'embouchure le fleuve change d'aspect. A partir de là se succèdent de vastes îles couvertes d'herbes hautes et serrées, pâturage ordinaire des hippopotames et qui ne montrent que de rares bouquets d'arbres. Ces îles, formées de terrains d'alluvion, se détachent parfois au moment des hautes eaux par morceaux de 1,000 mètres et plus qui descendent le cours du fleuve et s'en vont, flottant avec les végétaux et les animaux qu'elles nourrissent, se désagréger en pleine mer. Enfin on aperçoit derrière de véritables murailles de végétation, quel- ques hauteurs, les premières ; au loin les sommets dénudés des monta- gnes apparaissent légèrement teintés de bleu. Puis, sur la rive droite, la montagne se rapproche, nue, plaquée d'énormes blocs étincelants de mica. L'estuaire du Congo prend fin et le paysage change encore d'aspect ; les îles deviennent montueuses. Bientôt tous les bras du fleuve se réunissent en un seul, large de 1,800 mètres et qui coule entre de hautes montagnes descendant sur les rives par des plans très inclinés. Le fleuve, dit M. Charles de Rouvre, gronde comme un gi- gantesque torrent au milieu de passes étroites bordées d'une opulente végétation ; les immenses murailles qui le resserrent s'entr'ouvrent par places pour laisser apercevoir de riants vallons. Le paysage est d'un as- pect à la fois pittoresque et grandiose. » Tel est le Congo jusqu'aux cataractes ou plutôt jusqu'aux rapides de Yellala. On sait ce qui a été tenté sur l'initiative de M. de Brazza pour faire prévaloir l'influence française dans les vallées de l'Alima et de la Niari, ainsi que pour assurer le libre parcours des voies de l'Ogôoué et de l'Alima. Notre chambre des députés a voté en 1 882 un crédit de 1,275,000 francs pour subventionner la mission de M. de Brazza et lui permettre d'établir huit stations principales reliées par douze postes, et devant former les L'AFRIQUE. 707 étapes d'une double route vers le grand fleuve africain, — du Gabon, par l'Ogôoué et l'Alima, et de la mer par le Quillion et la vallée de la Niari, — ces deux routes aboutissant au point où le Congo cesse d'être navigable lorsqu'on remonte son cours. De son côté, Stanley, repris soudain du désir de retourner en Afrique, et soutenu par l'Association internationale africaine, a déployé une Fig. 255. — Sur les rives du Cougo. activité capable d'exercer une grande influence sur la contrée que tra- verse le Congo. Et bientôt plusieurs baleinières à vapeur ont pu faire sur ce fleuve un service quasi régulier entre Isanghila et Manyanga. Les petits steamers remontant le fleuve africain à partir du Stanley- Pool, qui est la partie où il devient navigable, pouvaient sans obstacle sérieux pénétrer jusqu'au cœur du continent noir. L'Association internationale a fondé plusieurs stations au delà du Stanley-Pool. Pour tenir tête, au besoin, aux indigènes, le célèbre explorateur américain a cru prudent de faire venir de Zanzibar deux ou trois cents liommes bien armés ; les i 708 L'AFRIQUE. cadres de cette petite troupe ont été formés des survivants des expédi- tions précédentes et de quelques compagnons de Livingstone, de Speke et de Grant. Il se fait un grand commerce sur cette partie du littoral africain et un certain nombre de factoreries françaises échelonnées sur la rive gauche y représentent des intérêts sérieux. Sur le versant de l'océan Indien, le Zambèse présente l'apparence d'un magnifique cours d'eau, de plus de 1,600 mètres de largeur; mais il est si peu profond, que pendant plusieurs mois de l'année, la na- vigation n'est permise qu'à des canots d'un faible tirant d'eau. A son embouchure, la côte, couverte de palétuviers, a un aspect lugubre; une barre formidable, sur laquelle vient se briser un violent ressac, ne per- met pas de considérer le Zambèse comme une grande voie commerciale. En remontant le fleuve et pendant les cent premiers milles qu'il par- court, le pays a un aspect des plus monotones. Sur l'une et l'autre rives s'étend une plaine couverte d'herbes gigantesques, sans une colline, presque sans arbres. Le sol ne commence à s'accidenter qu'au mont Morumbala ; alors la végétation prend quelque force ; les arbres se mul- tiplient ; les deux rives se bordent de collines. A la plaine nue et mono- tone a succédé un terrain couvert d'une végétation luxuriante. Le sable blanc des rives fait place à un terrain volcanique; de gros blocs de ba- salte forment les bords du fleuve. Dans cette région le fleuve commence à être pointillé d'îlots couverts d'une magnifique verdure. La cataracte de Gogna, en aval des rapides de la Sitoumba, interrompt la navigation du Zambèse. Il faut alors transporter par terre les canots jusqu'à un endroit nommé le Mamoungo. Il y a encore d'autres cata- ractes et d'autres rapides, jusqu'à la grande chute de Mosi-oa-Tounia la Fumée qui monte, nommée par Livingstone cascade de Victoria ; une auge, une crevasse gigantesque, » selon l'expression du major Pinto. C'est un abîme profond par lequel le Zambèse se précipite sur une largeur de plus de mètres. D'après la relation du major Serpa Pinto, le Zambèse se jette dans la crevasse qu'il rencontre par trois cataractes grandioses le courant est divisé en trois bras par deux grandes îles. La chute perpendiculaire est de 80 mètres. L'une de ces îles est couverte de la végétation la plus riche. 710 L'AFRIQUE. La chute la plus petite est aussi la plus belle ou, à dire vrai, elle est la seule qui soit belle, car pour tout le reste Mosi-oa- Tourna n'est qu'une sublime horreur. Ce gouffre énorme, noir comme le basalte où il est béant, sombre à cause de l'obscurité du nuage qui l'enveloppe, s'il eût été connu aux temps bibliques, eût été pris pour l'image des régions infernales, pour un enfer d'eaux et de ténèbres plus redoutable peut- être que celui de feu et de lumière... Parfois, quand l'œil pénètre jus- qu'aux profondeurs , à travers le brouillard éternel, il aperçoit une masse aux formes confuses, pareilles à des ruines aussi vastes qu'effroyables. Ce sont des pics de rochers d'une hauteur énorme, sur lesquels l'eau qui les fouette se convertit en une nuée d'écume 1. » Aux environs de cette chute le Zambèse est parsemé d'îles verdoyan- tes et fleuries. Les eaux transparentes prennent une teinte vert glauque ; çà et là des crocodiles, des hippopotames gigantesques émergent et re- plongent parmi les ondes rapides. Dans sa traversée du Barozé, le fleuve, lors de la saison des pluies, inonde la plaine, qui a une étendue de plus de 50 kilomètres. Des colonies portugaises occupent le cours inférieur du Zambèse. Elles se composent généralement de sangs-mêlés, gens d'une santé lan- guissante, d'un aspect grossier et plus ou moins engagés dans le trafic des esclaves. En fait de montagnes, — nous ne nous occupons, qu'on ne l'oublie pas, que de la partie inexplorée ou peu connue de l'Afrique, — les cimes nei- geuses du Kilima-Ndjaro et du mont Kénia, situées dans le pays des Masaïs, non loin de l'océan Indien, marquent les points les plus élevés dans l'état actuel de nos connaissances sur ce continent. Ces géants africains, suivant le baron de Decken, n'auraient pas moins de 20, 000 pieds de hauteur. Le ciel étant clair, dit-il, je pus voir en plein la montagne de neige ; elle semblait -un mur gigantesque, sur le sommet duquel j'aperçus deux tours immenses. Ces deux tours, placées à peu de distance l'une de l'autre, donnent à la montagne un aspect imposant, qui me jeta en de profondes rêveries. Le Kilima-Ndjaro a un sommet en 1 Comment j'ai traversé V Afrique. L'AFRIQUE. 711 forme de dôme, mais le Kénia a la forme d'un toit gigantesque, sur le- quel ces deux tours se dressent comme deux énormes piliers qui, sans aucun doute, sont vus par les habitants des contrées avoisinant les lati- tudes septentrionales de l'équateur. » Fig. 257. — Guerrier Touareg. Il existe, en Afrique, beaucoup de vastes étendues abandonnées à la solitude. Ce continent a ses savanes comme le Nouveau Monde. Couver- tes pendant la saison pluvieuse d'herbes serrées et dures qui atteignent jusqu'à six ou sept pieds de hauteur, elles présentent de loin l'aspect de verdoyants pâturages parsemés de place eu place de points noirs formés par des arbres, — le plus souvent quelques baobabs isolés, ou des bou- 712 L'AFRIQUE. quets de palmiers. Elles sont alors peuplées de myriades d'animaux de toute sorte. A la saison sèche, les herbes jaunissent et les Noirs les bmlent, afin de repousser les fauves, les serpents, et de détruire les in- sectes malfaisants. Quant aux véritables déserfs, — les déserts de sable, — ils occupent une large place sur le sol africain. Les principaux sont le Sahara au nord et au centre, le désert de Libye à l'orient, et le désert de Kalahari dans la région australe. Le Sahara et le Kalahari n'ont pas toujours été les déserts qu'on voit aujourd'hui. Ces contrées étaient autrefois sillonnées de fleuves et de ri- vières et parsemées de lacs, dont il ne reste plus que les lits et les co- quilles ou les ossements des animaux qui vivaient dans leurs eaux. D'anciennes traditions permettent de croire qu'à une époque impos- sible à préciser, le Sahara tout entier était recouvert par une expansion des eaux de la Méditerranée. Ces eaux, contournant la chaîne de l'Atlas, seraient allées se joindre, d'un côté à celles de l'océan Atlantique, de l'autre peut-être à celles de la mer Rouge, avant que le Nil, étendant ses alluvions, eût donné naissance au sol de la basse Egypte. De cette manière, la partie la plus septentrionale de l'Afrique proprement dite, ou patrie des Noirs, se serait trouvée reculée bien loin vers l'équateur. Dans le Sahara se trouvent encore de vastes dépressions naturelles, sortes de lacs salés aujourd'hui desséchés que l'on appelle chotts ». M. le commandant Eoudaire a poursuivi pendant plusieurs années le projet d'utiliser les chotts de Rharsa et de Melrin, situés au sud de l'Algérie et de la Tunisie, pour créer une mer intérieure capable de métamorphoser d'une manière très avantageuse les conditions générales de cette partie du grand désert africain. Le golfe de Gabès mettrait les chotts en communication avec la mer au moyen d'un canal. Ce projet, repoussé une première fois par une commission nommée par le gouvernement français, est devenu l'objet de nouvelles études, et l'Aca- démie des sciences, sur l'initiative de M. de Lesseps, l'a pris en considé- ration. Deux populations distinctes habitent le Sahara; l'une sédentaire, ayant des centres fixes dans des villes ou villages ksour aux endroits L'AFRIQUE. 713 où l'eau permanente a permis de s'établir; l'autre nomade, vivant sous la tente c'est la race des Arabes conquérants. Quand on pénètre dans le Sahara par l'Algérie, on traverse d'abord des montagnes. Au fond des ravins l'eau court au milieu des lauriers- roses... Les pentes de toutes les hauteurs sont entièrement couvertes Fig. 258. — Capitale des Eeni-Mzab. de broussailles et leurs sommets couronnés de chênes-verts, de chênes- liéges et d'arbres résineux. Il y a même là des forêts de palmiers ; puis après les montagnes , ce ne sont pins que des rangées de collines encore broussailleuses ou couronnées de quelques pins rabougris ; accidentel- lement on y voit deux ou trois figuiers et autant de lentisques. Bientôt, sous l'éclat du jour, sous l'action du soleil sur une terre ar- dente, apparaît le véritable désert, annoncé par les brises chaudes. Les CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 90 714 L'AFRIQUE. dattiers ondoient avec des rayons d'or dans leurs palmes ; des plaines succèdent à des plaines, comme dit M. Fromentin ; plaines unies, maré- cageuses, plaines sablonneuses, terrains secs et pierreux, plaines onclu- leuses hérissées d'alfa, quelques palmiers çà et là, et dans le sud-est, enfin, une plaine indéfiniment plate le Pays de la soif » ; pays tout de terre et de pierres vives, battu par les vents arides et brûlé jusqu'aux entrailles, une terre marneuse, polie comme de la terre à poterie, pres- que luisante à l'œil tant elle est nue, et qui semble, tant elle est sèche, avoir subi l'action du feu, sans la moindre trace de culture, sans une herbe , sans un chardon ; — des collines horizontales qu'on dirait aplaties avec la main ou découpées par une fantaisie étrange en dentelures aiguës, formant crochet, comme des cornes tranchantes ou des fers de faux; au centre, d'étroites vallées, aussi propres, aussi nues qu'une aire à battre le grain ; quelquefois, un morne bizarre, encore plus désolé, si c'est pos- sible, avec un bloc informe posé sans adhérence au sommet, comme un aérolithe tombé là sur un amas de silex en fusion ; — et tout cela d'un bout à l'autre, aussi loin que la vue peut s'étendre, ni rouge, ni tout à fait jaune, ni bistré, mais exactement couleur de peau de lion 1. » Il faut qu'on nous permette de citer une magnifique page d'un Été dans le Sahara. C'est un passage pour lequel M. Fromentin, l'habile pein- tre, a mieux fait peut-être avec des mots qu'il n'eût pu le faire avec sa riche palette. Il y a une heure au milieu du jour où le désert se transforme en une plaine obscure. Le soleil, suspendu à son centre, l'inscrit dans son cercle de lumière dont les rayons égaux le frappent en plein, dans tous les sens et partout à la fois. Ce n'est plus ni de la clarté ni de l'ombre ; la perspective indiquée par des couleurs fuyantes cesse à peu près de mesurer les distances; tout se couvre d'un ton brun, prolongé sans rayure, sans mélange ; ce sont quinze ou vingt lieues d'un pays uniforme et plat comme un plancher. Il semble que le plus petit objet saillant y devrait appa- raître ; pourtant on n'y découvre rien ; même on ne saurait plus dire où il y a du sable, de la terre ou des parties pierreuses, et l'immobilité de cette mer solide devient alors plus frappante que jamais. On se demande 1 Fromentiu. L'AFRIQUE. 715 en le voyant commencer à ses pieds, puis s'étendre, s'enfoncer vers le sud, vers l'est, vers l'ouest, sans route tracée, sans inflexion, quel peut être ce pays silencieux, revêtu d'un ton douteux qui semble la couleur du vide; d'où personne ne vient, où personne ne s'en va et qui se termine par une raie si droite et si nette sur le ciel ; — l'ignorât-on, on sent qu'il Fig. 250. — Camp des Chambaas, près de Ouargla. ne finit pas là et que ce n'est, pour ainsi dire, que l'entrée de la haute mer. Alors, ajoute à toutes ces rêveries le prestige des noms qu'on a vus sur la carte, des lieux qu'on sait être là-bas, dans telle ou telle direction, à cinq, à dix, à vingt, à cinquante journées de marche, les uns connus, les autres seulement indiqués , puis d'autres de plus en plus obscurs — d'abord, droit en plein sud, les Beni-Mzab, avec leur confédération de sept villes, dont trois sont, dit-on, aussi grandes qu'Alger, qui comp- 716 L'AFRIQUE. tent leurs palmiers par cent mille et nous apportent leurs dattes, les meilleures du monde ; puis les Chamba, colporteurs et marchands, voi- sins duTouat; — puisleTouat, immense archipel saharien, fertile, arrosé, populeux , qui confine aux Touaregs ; puis les Touaregs, qui remplissent vaguement ce grand pays de dimension inconnue dont on a fixé seule- ment les extrémités, Tembektou et Ghadmes, Timimoun et le Haoussa; puis le pays nègre dont on n'entrevoit que le bord ; deux ou trois noms de villes, avec une capitale comme pour un royaume; des lacs, des forêts, une grande mer à gauche, peut-être de grands fleuves, des intempéries extraordinaires sous l'équateur, des produits bizarres, des animaux monstrueux, des moutons à poils, des éléphants, et puis quoi? plus rien de distinct, des distances qu'on ignore, une incertitude, uue énigme... » Le désert de Libye a quelques-uns des aspects du Sahara. Dans les parties montagneuses, de nombreux défilés coupent dans toutes les di- rections les hauteurs rocheuses qui ressemblent à une agglomération de formes coniques ; les gorges qui les séparent présentent un fond nivelé par les sables que les vents y accumulent. Des carcasses d'animaux et souvent des corps humains indiquent les routes suivies par les caravanes. Ces tristes restes desséchés dans une atmosphère embrasée sont momi- fiés, durcis, et non décomposés. Le désert de Kalahari occupe une très grande place dans l'Afrique australe. Voici ce qu'en dit le major Serpa Pinto, qui en a traversé une partie La nature semble s'être complu à y mettre en juxtaposition les éléments les plus discordants. Ici, la forêt luxuriante longe la plaine sèche et stérile; le sable mobile et délié est continué par l'argile dure; la sécheresse succède à l'eau. Ce désert ressemble tour à tour au Sahara, aux pampas d'Amérique et aux steppes de Russie ; il est élevé d'un mil- lier de mètres au-dessus du niveau de l'Océan ; mais le phénomène le plus extraordinaire qu'il présente est encore le grand Macaricari ou le grand étang salé, bassin énorme dont la longueur varie entre 220 et 280 kilomètres. » Au nord du Kalahari et entre ce désert et le Zambèse, se trouve le dé- sert de moindre étendue qui figure sur les cartes de Serpa Pinto sous le nom de Baines. Ces deux déserts sont séparés par de vastes marais sa- L'AFRIQUE. 717 ]és. Le désert de Baines est occupé en partie par une forêt d'une puis- sante végétation, avec un sous-bois épineux qui obstrue tout passage. En général , nous apprend le major Pinto, la flore de la région est légu- Fig. 260. — Paysage dans l'île de San Thomé. mineuse et compte une immense variété d'acacias. Les fleurs des tons les plus divers et les plus brillants , des formes les plus délicates et les plus charmantes, en même temps qu'elles réjouissent la vue, remplissent l'air de leurs parfums délicieux. » 718 L'AFRIQUE. Dans ces déserts de l'Afrique australe, des espèces d'ouragans, ou trombes minuscules d'un rayon de douze à quinze pieds, sévissent sur leur passage avec une violence incroyable. La trombe fait sa trouée et enlève à une hauteur prodigieuse un tourbillon de feuilles, d'arbustes arrachés et de grosses branches fracassées... Les rivages africains ont leur puissante originalité. Nous avons mon- tré les embouchures des grands fleuves, les barres qui les ferment pour la plupart, les raz de marée ou le ressac. Le Cap, pays anglais actuellement, demeurant par ce fait en dehors de notre sujet, nous ne donnerons qu'un rapide souvenir aux dangers de ;la navigation vers ces parages lointains, daus ces temps d'une science maritime incertaine qui exi- geaient la hardiesse d'un Vasco de Gama pour doubler le cap des Tem- pêtes, devenu depuis le cap de Bonne-Espérance le géant Adamastor, conçu par le génie poétique du Camoëns, serait du reste une réminiscence littéraire quelque peu déplacée ici. Le ce fantôme épouvantable » sorti menaçant du sein des flots avec sa taille gigantesque, ses membres égalant en grandeur l'énorme colosse de Bhodes, son front chargé d'o- rages, sa barbe hérissée, ses yeux étincelants , son regard horrible, sa chevelure épaisse et limoneuse, » n'est plus qu'un épouvantail de poème épique on va de Southampton à Cape-Town eu quelques semaines bien puni celui qui n'arrive pas ! Quant aux îles de l'Afrique, elles sont pour la plupart colonisées par des gouvernements européens ; nous n'en dirons rien, si ce n'est que la nature de leur sol participe directement de la région continentale voi- sine. Ainsi l'archipel de Guinée, — l'île du Prince, San Thomé, Fer- nando-Po, etc., — placé sous l'équateur, se fait remarquer par la végé- tation vigoureuse de l'Afrique équatoriale, et le pic de Clarence, couvert de forêts, s'élève en face du pic grandiose de Camarones, situé non loin du rivage africain ; San Thomé présente une ligne de montagnes pro- fnsément boisées ayant pour tête un pic qui se dresse à plus de 2,000 mètres. Y. Paysages. — Le Eordofan. — L'oasis de Kagmar. — Les galeries » du pays des jSTiams-Niams. — La région des lacs. — Les jungles. — Les plateaux intérieurs. — L'Ouadaï. — Le lac Tchad. — Ses sources. — Ce qu'on appelle une ce éponge ». — Le pays des diamants. Le trait le plus saillant de la structure générale de l'Afrique, c'est l'imperfection de sa charpente montagneuse, assez connue actuellement pour qu'on en puisse saisir les caractères généraux. Le versant de la Méditerranée s'étend par l'Egypte, la Nubie et la moitié de la région des lacs, un peu au delà de l'équateur. Ses bassins principaux sont ceux du Nil et des affluents de ce grand fleuve. Ce ver- sant recueille les eaux du massif montagneux de l'Abyssinie, et, sous le nom de désert de Libye, enlève au Sahara sa partie orientale. Les plateaux de l'Afrique intérieure sont sans écoulements connus. Ils commencent derrière l'Atlas, englohent à peu près tout le Sahara, et du Soudan une partie dont le lac Tchad forme le centre. Le versant de l'Atlantique prend une portion du Sahara, le long dn littoral , du Maroc au Sénégal ; il possède les vastes bassins du Niger et du Congo, avec les monts de Kong, et s'étend par conséquent dans les deux Guinées ainsi que fort avant dans la région équatoriale on sait que les eaux de quelques-uns des grands lacs découverts de notre temps ne vont pas au Nil , mais se dirigent vers l'occident. Ce même versant de l'Atlantique s'étend encore, au sud, jusqu'aux pays des Cafres et des Hottentots. Il trouve sa limite au Cap même. Enfin, le versant de l'océan Indien occupe lapins grande partie de l'Afrique australe avec le Zambèse et le Limpopo pour principaux fleu- ves et les Draken pour montagnes. Ce versant s'empare de la côte jus- qu'au golfe d'Aden. Ajoutons pour mémoire le versant de la mer Bouge, qui n'est autre chose que l'étroite pente orientale des monts arabiques. 720 L'AFRIQUE. Nous avocs déjà indiqué eu quelques traits les caractères des paysa- ges que présentent les deux rives du Nil et des grands cours d'eau qui viennent s'y déverser. Les sables au milieu desquels coule le puissant fleuve ne sont souvent que des déserts ; ils en ont la morne et désolante étendne, le sol brûlant, les plantes rares; l'eau y est plus rare encore; les vents cbauds les balayent ; enfin, — heureusement cette fois comme dans les déserts, — on y rencontre ces îlots de verdure et de fraîcheur, ces oasis qui sont un refuge, un port de salut pour les caravanes exté- nuées. Le Kordofau présente un vaste plateau où l'on ne trouve nulle part de cours d'eau permanent les khor » sont des torrents qui coulent pen- dant la saison des pluies et tarissent à la saison sèche. Mais l'eau dort presque partout à peu de profondeur sous la surface du sol, et les arbres de l'Afrique tropicale ne manquent pas absolument dans le Kordofan. Mais au milieu du Kordofan, Kagmar est une oasis charmante dans un désert aride. L'œil fatigué des sables brûlants se repose avec délice sur ce qui semble être une grande prairie serpentante , d'un vert d'éme- raude. Pendant quatre mois, cette prairie est un lac ; le reste de l'année, l'eau se trouve très près de la surface du sol, et l'on y puise dans plus de deux cents trous qui se trouvent au bord de la zone de verdure. Tous les jours on y voit des milliers de chameaux qu'on mène s'y abreuver de tous les déserts environnants. Aussitôt que quelques centaines de ces animaux s'en vont, ils sont immédiatement remplacés par d'autres, et continuellement on a sous les yeux le spectacle de quatre à cinq mille chameaux couvrant un espace de vingt à trente arpents de terrain. De grands troupeaux de bœufs, de chèvres et de moutons viennent aussi s'abreuver à ces puits précieux. Sur les bords de la tache de verdure, on voit une douzaine de palmiers dattiers et autant de palmiers doûm, ainsi que quelques figuiers. Ici les habitants, qui sont des Quabâbichs, culti- vent le doukhu, le blé, le coton, la bâm'ia. — Des myriades d'oiseaux, d'espèces variées, parmi lesquels prédomine la cigogne noire et blanche, contribuent à animer le paysage 1. » En pénétrant sous l'équateur, la verdure et l'eau sont de moins en 1 Le colonel Colston. L'AFRIQUE. 721 moins rares. L'un des affluents de droite du Nil, — la droite du voya- geur qui remonte le cours du fleuve, — nous conduit presque au cœur de l'Afrique, au pays des anthropophages Niams-Niams et Mombouttous. Le pays des Niams-Niams, bien que situé à 2,000 pieds au-dessus du niveau de la mer, est rempli de sources vives créant des rivières sans nombre profondément encaissées. La végétation est incroyable- ment puissante. A la flore de l'équateur s'ajoutent les plantes qui, au nord de cette contrée, sont brûlées par la sécheresse. Pas une vallée, Fig. 261. — Village près le Gaudo. pas un ravin, dit Schweinfurth, où ne déborde en tout temps le luxe des tropiques. » Les bandes de terre qui séparent les rivières sont en- vahies par des taillis buissonnants ; les arbrisseaux y sont distribués comme dans un parc, alternant avec des plantes à grand feuillage. Au bord des cours d'eau croissent en lignes épaisses des arbres énor- mes plus élevés que tous ceux que le voyageur, se dirigeant vers les sour- ces du Nil, a pu voir jusqne-là, — sans excepter les palmiers d'Egypte. — Ils abritent des arbrisseaux dont les cîmes s'échelonnent sous le feuillage. Vus du dehors, dit le voyageur cité plus haut, ces bois res- semblent à un mur de feuillage ; l'enceinte franchie, vous vous trouvez CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 91 722 L'AFRIQUE. dans une avenue, ou plutôt dans un temple dont la colonnade soutient la triple voûte. Les piliers de cette nef ont, en moyenne, cent pieds de hauteur; les plus bas arrivent à soixante-dix. Des galeries » moins grandes s'ouvrent à droite et à gauche, et donnent accès à des bas côtés, remplis, comme l'avenue principale, des murmures harmonieux du feuillage. » Des arbres géants forment la voûte. Les palmiers, ces princes du monde végétal, » n'ont de représentant ici que parmi les plantes inférieures. Il y a aussi les espèces à grandes feuilles, les buissons épineux; partout des lianes s'élaneant de branche en branche suspendent leurs festons et leurs girandoles. De tout cela résulte un sous-bois qui se ramifie, se mêle, s'enlace, et dont l'énormité du feuillage rend plus épaisse l'ombre verte de la galerie ». Enfin, près du sol , tous les vides sont remplis par un fourré souvent inextri- cable ; surtout par des jungles d'amomes et de costus d'une hauteur de quinze pieds et dont les tiges pressées et rigides vous arrêtent, ou ne vous livrent passage que pour vous faire tomber dans le marais d'où elles s'élèvent. Des fougères merveilleuses, non pas arborescentes, mais ayant des feuilles qui parfois atteignent de douze à quinze pieds de lon- gueur, et qui, par leur délicatesse, forment le plus ravissant contraste avec le feuillage massif des alentours, jettent sur les plantes basses le voile si varié de leurs frondes... tandis qu'une autre fougère, l'oreille d'éléphant, attache ses nœuds à cinquante ou soixante pieds d'éléva- tion, en compagnie de l'angréca et des longues barbes grises de l'usnée. Les troncs d'arbres que ne surchargent pas les fougères de différente espèce sont entourés, pour la plupart, des grappes de corail du cubèbe. Aussi loin qu'il puisse atteindre, l'oeil n'aperçoit que verdure. Les étroits sentiers qui se dérobent sous les fourrés, ou qui les tournent, sont composés de marches, formées par les racines nues et saillantes qui retiennent la terre spongieuse. Des troncs d'arbres couverts de mousse, et plus ou moins vermoulus vous arrêtent à chaque pas. Ce n'est plus la chaleur des steppes inondées de soleil, ni l'air des bouquets ombreux; c'est l'atmosphère étouffante d'une serre chaude pas plus de vingt-cinq à trente degrés; mais une chaleur moite, saturée d'eau par l'exhalation du feuillage, et à laquelle on est heureux d'échapper. Tout d'abord l'ami des jardins est ravi la disposition des groupes L'AFRIQUE. 723 n'est pas moins artistique que la végétation est splendide ; mais les cris des oiseaux, l'activité exaspérante des insectes, la prodigieuse quantité de fourmis d'espèce minuscule, fourmis qui pleuvent de toutes les bran- ches, de toutes les feuilles sur l'envahisseur de leur domaine, gâte bientôt votre extase. Et cependant, si l'on persévère, la majesté du lieu finit par dominer ; un calme solennel couvre tous les bruits ; à peine si le murmure du feuillage pénètre dans l'ombre qui vous entoure. Des quantités de papillons, d'un jaune brillant pour la plupart, animent le repos de cet océan de verdure, et font oublier le manque de fleurs. » L'aspect du pays s'embellit encore lorsqu'on pénètre au sud-est chez les Mombouttous. A la végétation du pays des Niams-Niams se mêlent des bosquets de bananiers et de palmiers élaïs d'une beauté sans pareille. Kevenons vers le cours du Nil, et entrons clans la région des lacs. Le Ganda ou l'Ouganda est situé entre le lac Albert et le lac Victoria. Le pays est mollement ondulé. Des montagnes s'y dressent couron- nées de la végétation la plus variée. Les jardins sont cultivés avec soin. Des chemins larges et bien entretenus relient entre eux des villages dont les huttes sont d'une remarquable propreté. Le Ganda est borné an sud par le lac Victoria, dont les rives offrent de grandes beautés de paysage. Dans le Karagoué, qui contourne le lac Victoria à l'occident, se dres- sent les montagnes de la Lune. Sur de hautes pentes couronnées de fourrés d'acacias naît une épaisse végétation. L'opulente vallée d'Ou- zenga, entourée de collines tapissées d'herbages, et s'élevant à plus de trois cents mètres, y est plantée de grands et beaux arbres partout où ne s'étend pas la culture du bananier. Les sources thermales de Mlagata sont vantées dans la région pour leurs propriétés curatives. Stanley a visité la gorge profonde et boisée où sont ces sources, et où croissent avec une variété surprenante toutes sortes d'arbres, de plantes, d'herbes et de broussailles. Les végétaux, serrés les uns contre les autres, s'y étouffent faute d'espace. Des collines entières semblent n'être qu'une seule et immense plante aux feuillages divers. Au moment de l'arrivée de l'explorateur américain de nombreux malades faisaient leur cure à ces sources. Tous, femmes et hommes, confondus ensemble, demeuraient couchés, à moitié endormis, dans les mares d'eau chaude. 724 L'AFKIQUE. Un peu au sud du Karagoué se trouvent les vallées du Soui, à la vé- gétation luxuriante. Là, se voit une sorte de palmier appelée pandana, des bananiers en grand nombre, de vastes plants d'indigo sauvage. Quel- ques montagnes rougeâtres, aux sommets dénudés du haut en bas par de longues traînées blanches, dominent le pays. Plus loin, vers l'est, du milieu des terres cultivées, s'élèvent des collines aux croupes rondes, en partie défrichées, en partie recouvertes de broussailles. On y distin- gue à peine de petits villages à huttes gazonnées, cachés au milieu de vastes plantations de bananiers. Le bétail abonde dans cette riche contrée. Les vallons de rOunyamouézi sont séparés l'un de l'autre par une suite d'éminences granitiques qui s'élancent, avec des formes pittores- ques, en vastes dômes, en blocs puissants et bizarrement entassés. Il y a, dit Burton, peu de scènes plus douces à contempler qu'un paysage de l'Ounyamouézi vu par une soirée de printemps. A mesure que le so- leil descend à l'horizon, un calme d'un sérénité indescriptible se répand sur la terre; pas une feuille ne s'agite, l'éclat laiteux de l'atmosphère embrasée disparaît ; le jour qui s'éloigne en rougissant couvre d'une teinte rose les derniers plans du tableau que le crépuscule vient enflam- mer ; aux rayons de pourpre et d'or succède le jaune, puis le vert tendre et le bleu céleste qui s'éteint dans l'azur assombri. » Dans toute la partie orientale de ce pajrs, se révèlent des preuves nom- breuses de l'action plutonienue ; elles s'étendent au nord jusqu'aux ri- ves du Tanganyika. Les roches légèrement bombées qui surgissent du sol ont parfois quelques mètres de tour, d'autres fois des centaines de mètres. Elles forment des groupes, des allées... De ces roches, il y en a quelques-unes droites et minces plantées comme les quilles d'un jeu de géant... Couronnées de cactus, zébrées de noir par les pluies, envahies par les plantes grimpantes, ces masses granitiques donnent au paysage son originalité. La saison des pluies commence plus tôt dans l'Afrique centrale que sur la côte du Zanguebar et de Mozambique. Elle débute par des orages d'une violence extrême. Des éclairs aveuglants s'entre-croisent pendant des heures, tandis que les roulements continus du tonnerre ébranlent toutes les parties du ciel à la fois. Si à la pluie doit se mêler de la grêle, L'AFRIQUE. 725 un grondement se fait entendre, l'air se refroidit brusquement, et des nuages d'un brun violet répandeut une étrange obscurité. Les vents se répondent des quatre coins de l'horizon et l'orage se précipite vers les courants inférieurs de l'atmosphère. Le désert qui sépare l'Ounyamouézi de l'Ougogo a reçu des indigènes le nom de plaine embrasée... actuellement on le traverse en une se- Fig. 262. — Caravane. maine. C'est un plateau brûlant, s'étendant de l'est à l'ouest, et dont la largeur est de plus de 200 kilomètres. Aux gommiers et aux mi- mosas se mêlent le cactus, l'aloès, l'euphorbe, une herbe rigide, que broutent les bestiaux quand elle est verte, et que brûlent les caravanes quand elle est sèche, pour favoriser la pousse nouvelle... A l'époque des grandes chaleurs, les animaux que la soif fait beaucoup souffrir, tels que les éléphants et les buffles, y meurent en grand nombre... Dans cette partie de l'Afrique, les routes, on le soupçonne bien, n'existent pas. Les plus fréquentées, au rapport de Burton, ne sont que 72G L'AFRIQUE. des pistes de vingt ou trente centimètres de large et qui reverdissent et s'effacent pendant la saison des pluies. Au milieu de la plaine, le sentier se divise en quatre ou cinq lignes tortueuses; dans les jungles, il dispa- raît sous une voûte d'arbustes épineux; près des villages, il est fermé par une haie d'euphorbe, ou un amas de fascines. Dans les espaces libres, ce sentier se traîne parmi les grandes herbes, traverse des marécages, des rivières au lit vaseux où l'on a de l'eau jusqu'aux aisselles. Tantôt il disparaît au fond d'un ravin, ou s'arrête net en face de montagnes abruptes ; il se transforme alors en une échelle de racines et de quartiers de roche, interdite, on le comprend, aux bêtes de somme. En venant de Zanzibar vers l'Ounyamouézi, le chemin, dit Burton, perce des halliers, parcourt des forêts, où les fondrières l'interrompent, et où la plupart du temps on ne le reconnaîtrait plus sans les arbres écorcés ou brûlés qui en marquent les bords... Dans l'Ouvinza et près de l'Oudjiji, la piste cumule tous les inconvénients à la fois; ruisseaux, ravins, halliers, grandes herbes, rochers à pic, marais, crevasses et cail- loux. On ne sait laquelle choisir des voies transversales qui s'entre- croisent dans les endroits habités ; mais où elles n'existent pas, la jungle est impénétrable, et le conseil donné au voyageur, de préférer les lieux élevés pour y camper le soir, devient une ironie dans cette partie de l'A- frique ; il lui serait plus facile de se creuser un terrier que de s'ouvrir un chemin dans ce réseau d'épines et de troncs d'arbres. » Sur la limite de cette contrée centrale est un vaste plateau ; c'est le pays des Masaïs. Il s'y trouve çà et là quelques dépôts salins et de pe- tits lacs dont les eaux sont saumâtres. Il est terminé à l'occident par une chaîne de montagnes qui y déroule ses anneaux en face des monta- gnes de la Lune. La partie orientale de cette chaîne appartient au versant de l'océan Indieu. Les monts Kénia et Kilima-Ndjaro se détachent par leur majes- tueuse hauteur de cette longue chaîne qui court parallèlement au littoral le plus proche. Entre le Kordofan et le Darfour se trouve la ligne de partage des eaux, celles du versant de la Méditerrannée et celles des plateaux du centre de l'Afrique. De ces eaux les unes sont donc destinées à grossir le Nil; les autres vont alimenter le lac Tchad. L'AFKIQUE. 727 Les plateaux intérieurs s'ouvrent à nous. Le pays situé à l'est est d'a- bord mon tueux, l'eau n'y est pas trop rare, la végétation y montre quelque vigueur. Nos dernières informations sur cette contrée, nous les possé- dons grâce à l'exploration du docteur Pellegrino Matteucci. Le voyageur italien a réussi à traverser l'Afrique, de la la mer Rouge au golfe de Guinée 1880-81. Disons, en passant, qu'en visitant le Darfour au len- Fig. 263 . — Un marché. demain de l'annexion de cet État par l'Egypte, il trouva la capitale El-Fascher et les principales villes tombant en ruines. Dans cette partie peu accessible du continent africain se trouve le petit royaume de Tama, situé dans les montagnes les plus bautes de la région. Les cbameaux et les bœufs de bonne race y abondent. Depuis le voyageur allemand Nachtigal, aucun Européen n'avait péné- tré dans l'Ouadaï lorsque le docteur Matteucci obtint la permission de traverser ses campagnes fertiles mais dépeuplées , et dont les villages, entourés déliantes palissades en osier, semblent abandonnés. Si l'on vient du nord, dans les dernières oasis dominent les acacias à 728 L'AFRIQUE. épines , les dattiers et les hyphènes. Ce dernier arbre , qui n'atteint pas une très grande hauteur, est remarquable par la façon dont se bifurquent régulièrement le tronc et les branches. Son fruit, gros comme une pomme, a un noyau si dur que les riverains du Nil qui l'utilisent le désignent sous le nom d'ivoire végétal. Mais la route est encore pénible par les grandes chaleurs. c3 3 > 2 ' SO O > 3 > >v> > 3 » >33 33 >3> 3 >3 3 > 3333> » > » > > ;> 3 » » 33B> >3> 3> 333 3 3 3 33 3 v » >3 3 o > > 33 33 >3 >3> >3 o v> > 3 >3 >3 7!3* >S> >3 >TJ*2> > 3 3 I 3> >3 > > » » 33 S>33> 3 3 »;» > 3 >r>33 3 3 ;3 > > » 2> > >3 j S >> , 3 3 >3 3> 7m >r> C 3 3 3 3 ijK* j 2>3 3 » 5 >7^>>> / g>f 333 33 3^ 3 ; > > 3 > 7, > > -> 33 337 >BlB>3 3 > 3 > 33 7>3/> » > > y? > > 33 33 > > > 3> . }3 ;> >\ >>3> > > 33 30g gag irs l> > >> } > 33 333 3> 3 v 3 > . > >^ 1> » 3 3> 5j 33 ' 3 >3 3 3 733 > 3 > 3 > • !' 3 > > 3 3 > 3 >3 3 >3'> 3 > • 3 • » 3 3 > 3 > 3 3 ^3 - 3 > ^ 3 > > 3 3 >> > > • ."T» » /-3 3> ô > 3 5 2> ,'>3>^3"> > SH£> » >> 33> 33? T> ^.. 3> 3> 2> 53 X> 3j 3 S >> • 2> 3 X>.3>3J 3^- 33 > -\> 2>-r >. 3 3>> L»3X> >3 >3 m »>"-;3D/C3^ 3 33»35> -3^. 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Pour les eunuques, la pratique de ce jeu est nettement plus difficile... Cette expression a une petite soeur, presque aussi employée "avoir les glandes". A l'origine, ces boules ou ces glandes désignaient sans conteste les coucougnettes ou, dans un langage plus châtié, les gonades mâles ou testicules[1]. Mais la gestuelle qui accompagne parfois l'expression, les deux mains tenant des boules imaginaires et placées sous la gorge, laisse un doute sur les boules dont il s'agit des ganglions ? des amygdales hypertrophiées ?, à moins que la colère soit telle qu'elles soient vraiment très remontées, bien loin du scrotum. Son origine n'est pas réellement connue, mais elle est très récente. Elle semble avoir été popularisée dans les cours des écoles à la fin du XXe siècle où sa concision et sa force ont rendu son adoption rapide. Duneton indique qu'elle était déjà employée par les détenus de la prison de Fresnes dès 1965 où elle signifiait "avoir le cafard". Mais là encore, la genèse de cette expression n'est pas connue. [1] Il paraît que chez nos amis canadiens, ces choses-là s'appellent aussi les 'gosses'. Du coup, je ne sais pas si je vais continuer à laisser mes gosses à l'école le matin... Compléments Les boules sont souvent liées à la colère, puisque "mettre les boules", c'est énerver quelqu'un, et "se mettre en boule", c'est se mettre en colère. Exemples Ne t'inquiète pas, tu ne seras pas le seul à ce dîner à [avoir les boules]. Rire, mais nous sommes les seuls à [avoir les boules] Pour couvrir cette chose de l'intérieur. Vous allez [avoir les boules]. Je vous laisse, je commence à [avoir les boules]. Quand tu craches, [il a les boules] Comment dit-on ailleurs ? Langue Expression équivalente Traduction littérale Allemand auf achtzig sein être à quatre-vingts Allemand einen Hals haben avoir un cou - très énervé Allemand auf der Palme sein être sur la palme Anglais Irlande crith cos agus lámh les pieds et les mains qui tremblent Anglais to be shit-scared avoir peur à en chier Anglais to go bananas devenir bananes Anglais USA to be royally pissed / pissed off être royalement fâché Anglais USA to be scared shitless avoir peur à en avoir la chiasse Anglais USA to be scared spitless avoir peur à en avoir la bouche sèche Anglais USA to have had it up to here en avoir eu jusque là Espagnol Espagne estar hasta los cojones en être jusqu'aux couilles / En avoir jusqu'aux couilles Espagnol Espagne mosquearse prendre la mouche Espagnol Espagne estar hecho un manojo de nervios être comme un paquet de nerfs Espagnol Espagne tener un ñudo en a gargamela avoir un noeud dans la gorge Espagnol Espagne estar cagado de miedo chier dans son froc Espagnol Espagne estar acojonado en perdre ses c Espagnol Argentine tener los huevos en la garganta avoir les œufs dans la gorge Espagnol Argentine hincharle las pelotas a alguien gonfler les boules à quelqu'un Espagnol Espagne estar cabreado être en colère, en rogne Français Canada être en beau maudit Français Canada pisser dans ses culottes Français Canada s'énerver le poil des jambes Français Canada avoir les shakes Français Canada avoir le feu au passage Français Canada avoir la chienne Français Canada avoir / 'Pogner' la chienne avoir très peur Hongrois begurul il roule Hébreu אימה חשכה נפלה עליו éma khachèkha nafla alav une sombre peur lui est tombée dessus Néerlandais Belgique duizend doden sterven mourir mille morts Néerlandais Belgique met de daver op het lijf zitten avoir le tremblement sur le corps Néerlandais een brok in zijn keel krijgen avoir la gorge serrée Néerlandais in zijn broek doen le faire dans son pantalon/sa culotte Néerlandais op de zenuwen werken tapper sur les nerfs Néerlandais opgefokt zijn être passé par un élévage rude Néerlandais zeven kleuren strond schijten chier sept coloris de merde Portugais Portugal estar de saco cheio sac plein Serbe ukenjati se od straha avoir peur à en chier Ajouter une traduction Si vous souhaitez savoir comment on dit avoir les boules » en anglais, en espagnol, en portugais, en italien ou en allemand, cliquez ici. Ci-dessus vous trouverez des propositions de traduction soumises par notre communauté d'utilisateurs et non vérifiées par notre équipe. En étant enregistré, vous pourrez également en ajouter vous-même. En cas d'erreur, signalez-les nous dans le formulaire de contact. Voir aussi en avoir sa claque avoir les jetons avoir les foies avoir la chair de poule grincer des dents avoir la peur au ventre avoir les chocottes en avoir plein les bottes être en pétard serrer le poing serrer les fesses voir rouge avoir les glandes en avoir plein le cul en avoir sa dose être hors de soi ne pas en mener large en avoir marre avoir les grelots Thomas Retour à l’instinct primaire» Je ne comprends pas que l’on puisse abandonner»INTERVIEW - Le comédien et cascadeur de 34 ans, ancien militaire, revient sur ses trois semaines en condition de survie dans un massif montagneux bulgare. Une expérience partagée quelques jours avec Marine avant le départ de celle-ci.

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